ELM

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L’a t-on suffisamment répété ? Le jazz est la musique à venir. Parce que c’est la seule qui soit universelle. C’est aussi la seule qui parvienne à franchir le cap des dichotomies (ouais ouais… ok ok, les plus rapides d’entre les lecteurs auront remarqué que j’avais précédemment publié cet article en écrivant « dichotomie » avec un « y ». Que celui qui n’a jamais fait de faute de ce genre m’envoie le premier Larousse à la gueule, (et, étant donnés les lecteurs que je connais, je risque bien de me prendre une encyclopédie en 24 volumes !)) habituellement évoquées dès lors qu’il s’agit de classer, diviser les courants musicaux : elle déjoue les classes, elle est, dans la musique, la fin de la lutte des richie_beirach1classes, mettant tout le monde d’accord. Il y a deux catégories de musiciens : ceux qui considèrent qu’il y a deux catégories de musiciens et les musiciens de jazz. On y reviendra, mais ce n’est pas un hasard si c’est au sein de ce courant qu’on trouve, liés par bien autre chose que l’intérêt et le commerce, des noms qui semblent provenir des multiples points de fuite de l’horizon. La musique est alors un dialogue, le véritable concert de nations qui ont passé l’âge de se poser la question de leur propre identité.

Ainsi, le jazz est cette musique qui accompagne le repos de ceux qui savent qu’il y a un au-delà de la lutte. Pas étonnant que la plupart de ces musiciens là soient inconnus au bataillon. C’est la musique achevée, et néanmoins en mouvement. Mobile au sein du mobile, Richard Beirach est un de ces soldats du feu sacré.

Né en 1947 à New-York, au confluent de ce que le gros fruit du savoir peut donner de mieux, en matière de liberté, Richard Beirach est un de ces pianistes qui savent transformer un clavier en paysage. Avec des influences qui viennent en partie de ses collaborations (Stan Getz en 1972, Chet Baker en 1990), mais aussi des ambiantistes comme Erik Satie, il chemine sur ses propres plaines, en éclaireur de pianistes contemporains tels que Brad Meldhau (impossible de ne pas imaginer la discothèque de Meldhau sans, au rayon « B », un alignement de CD fréquemment écoutés, de Beirach et de ses collaborateurs).

Sa musique est articulée autour des nuances, tonales, rythmiques aussi, jouant sur les accélérations/décélérations, sur le relativisme du temps. On croirait lire un traité sur les désynchronisations entre temps mesuré et temps perçu, Bergson mis en musique. Pas étonnant dès lors que Beirach provoque, immanquablement, un effet nostalgique sur son auditeur. Son piano semble lancé, à des allures diverses, à la recherche du temps, perdu.

Je ne livre qu’un extrait, ici. ELM, morceau tiré de l’album du même nom, sorti en 1979, aujourd’hui disponible dans une édition japonaise (merci à ce pays d’avoir saisi ce que la mondialisation peut avoir de bon, pendant que nous, de notre côté, semblons nous ingénier à n’en saisir que les effets pervers). L’album, il est utile de le préciser, est édité chez ECM (oui, oui, une filiale de Universal, comme quoi…), ce qui constitue, tout de même une promesse dont ne se demandera même pas si elle est tenue, tant ELM semble simultanément incarner l’esprit de ce label, tout en ne s’y réduisant à aucun moment. Le titre prend toute sa puissance au sein de l’album qui l’accompagne, mais on a tous les éléments de la musique de Beirach. Les résonnances, l’aptitude à installer, immédiatement un décor qui n’est pas une copie d’un quelconque élément du réel, une décalcomanie du monde vécu (on peut aimer ça, parfois, hein, mais là, il ne s’agit pas de ça) : le monde de Beirach est avant tout musical, les pauses, les dentelles de piano superposées sur les errances de la basse et les échos de percussion, au loin, qui tiennent le tout ensemble, miraculeusement, les envolées aussi, moments où la technique disparait pour saisir, simplement, les sens et embarquer pour un autre monde.

Précisément, assez parlé : embarquement immédiat

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