J’avais déjà évoqué les débuts de l’Université Paris 8, dont les rhizomes tracèrent leurs réseaux à partir de 1969 à Vincennes, avant de se déterritorialiser à Saint-Denis. Un des moments légendaires de ces débuts est l’unique cours qu’y donne Lacan, devant un amphithéâtre bondé, devenu une sorte d’annexe du souk qui avait lui même pris place au beau milieu de cette université plantée au beau milieu du bois. Les raisons d’être là de l’un et des autres sont diverses, et au sein même des protagonistes, elles peuvent être multiples. Ainsi, Lacan est venu pour des raisons ambivalentes : l’expérience de Vincennes le laisse sceptique. Il trouve certes là un terrain où ses propres idées peuvent être diffusées à plus large échelle. Mais cette université qui place la psychanalyse du côté de la philosophie, et non plus aux côtés de la médecine est aussi, pour lui, source de concurrence, mettant un terme au fragile surplomb sur lequel se tenait son séminaire, au dessus d’une pensée psychanalytique alors en crise permanente. Alors, Lacan vient, mais personne, pas même lui, n’est dupe de ce qui va avoir lieu. Du coup, tout le monde a soigné la mise en scène : parmi le public, on est venu avec la ferme intention d’en découdre, et lui est venu… avec Justine… son chien.
Pour ceux qui n’ont pas connu le vingtième siècle, deux choses vont les étonner : tout d’abord, on y utilisait des techniques d’enregistrement assez rudimentaires, qui donnent cette impression qu’un scribe a directement gravé la bande magnétique au burin. Et bien sûr, pas de video de l’évènement sur youtube. A l’époque, si on voulait être au courant, on se déplaçait, on achetait des journaux (ce qui contraignait à les lire), ou on admettait qu’on ne savait pas, tout simplement. A cette vitesse de déplacement, les moindres conneries avaient du mal à se constituer en buzz. On s’ennuyait plus, mais on avait davantage de temps pour penser (oui, on a la faiblesse de penser que l’ère de l’occupation maximale de l’emploi du temps est nocive pour l’usage qu’on peut faire des neurones, qui tire volontiers parti de longues périodes d’ennui). Ensuite, on y était polémique, et idéologique. On ne sait pas s’il faut le regretter, mais au moins, les échanges n’étaient pas tièdes, et on osait s’affronter sur le terrain des idées.
Pour aider les durs de l’oreille, voici la retranscription des échanges, telle que la magazine littéraire la publiait en 1977, dans son n° 121:
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http://ubu.artmob.ca/sound/lacan_jacques/Lacan-Jacques-a-Vincennes_03-decembre-1969.mp3
« Jacques Lacan – (un chien passant en l’estrade qu’il occupe). Je parlerai de mon égérie qui est de cette sorte. C’est la seule personne que je connaisse qui sache ce qu’elle parle – je ne dis pas ce qu’elle dit – car ce n’est pas qu’elle ne dise rien : elle ne le dit pas en paroles. Elle dit quelque chose quand elle a de l’angoisse – ça arrive – elle pose sa tête sur mes genoux. Elle sait que je vais mourir, ce qu’un certain nombre de gens savent aussi. Elle s’appelle Justine…
Intervention – Eh, ça va pas ? Il nous parle de son chien !
Jacques Lacan – C’est ma chienne, elle est très belle et vous l’auriez entendue parler…la seule chose qui lui manque par rapport à celui qui se promène, c’est de n’être pas allée à l’Université. Me voici donc, au titre d’invité, au Centre Expérimental de la dite Université, expérience qui me paraît assez exemplaire. Puisque c’est d’expérience qu’il s’agit, vous pourriez vous demander à quoi vous servez. (22)Si vous me le demandez, à moi, je vous ferai un dessin – j’essaierai – parce qu’après tout, vous savez, l’Université, c’est très fort, ça a des assises profondes.
J’ai gardé pour vous l’annonce du titre de l’une des quatre positions de discours que j’ai annoncé ailleurs, là où j’ai commencé mon séminaire, le discours du maître ai-je dit, puisque vous êtes habitués à entendre parler de celui-là. Et ce n’est pas facile de donner un exemple comme le faisait remarquer hier soir quelqu’un de très intelligent. Je tâcherai quand même : c’est simple, c’est là que j’en suis, laissant la chose suspendue à mon séminaire. Et certes ici, ce n’est pas de continuer qu’il s’agit. Impromptu ai-je dit. Vous pouvez voir que cette chose à la queue basse me l’a tout à l’heure fourni. Je continuerai sur le même ton.
Deuxièmement, discours de l’hystérique. C’est très important parce que c’est avec ça que se dessine le discours du psychanalyste. Seulement il faudrait qu’il y en ait des psychanalystes… c’est à cela que je m’emploie.
Intervention – Ce n’est pas à Vincennes qu’il y a des psychanalystes en tout cas.
Jacques Lacan – Vous l’avez dit, pas à Vincennes.
Intervention – Pourquoi les étudiants de Vincennes, à l’issue de l’enseignement qu’ils sont censés recevoir, ne peuvent pas devenir psychanalystes ?
Jacques Lacan – (prenant une voix de fausset). C’est justement ce que je vais expliquer, Mademoiselle. C’est justement de cela qu’il s’agit. Parce que la psychanalyse, ça ne se transmet pas comme n’importe quel autre savoir.
Le psychanalyste a une position qui se trouve pouvoir être éventuellement celle d’un discours. Il n’y transmet pas un savoir, non pas qu’il n’ait rien à savoir, contrairement à ce qu’on avance imprudemment, puisque c’est ça qui est mis en question : la fonction dans la Société d’un certain savoir, celui que l’on vous transmet. Il existe.
Intervention – Est-ce que vous ne pourriez pas parler plus lentement parce que certains étudiants n’arrivent pas à prendre des notes ?
Intervention – Il faut être débile pour prendre des notes et ne rien comprendre à la psychanalyse et à Lacan en particulier
Jacques Lacan – (se tournant vers le tableau). Ça c’est une suite, une suite algébrique…
Intervention – L’homme ne peut pas se résoudre en équation.
Jacques Lacan –… qui se tient à constituer une chaîne dont le départ est dans cette formule :
S2 a s S
S1 S S a
Un signifiant se définit de représenter un sujet pour un autre signifiant. C’est une inscription tout à fait fondamentale. Elle peut en tout cas être prise pour telle. Il s’est élaboré, par mon office, une tentative qui est celle à laquelle j’ai mis le temps qu’il fallait pour donner forme, qui est celle où j’aboutis maintenant, une tentative d’instaurer ce qui nécessitait décemment de manipuler une notion en encourageant des sujets à lui faire confiance, à opérer avec ça. C’est ce qu’on appelle le psychanalysant.
Je me suis d’abord demandé ce qu’il pouvait en résulter pour le psychanalyste, où il était lui ; car sur ce point, il est bien évident que les notions ne sont pas claires. Depuis que Freud – qui savait ce qu’il disait – a dit que c’était une fonction impossible…et pourtant remplie tous les jours. Si vous relisez bien le texte vous vous apercevrez que ce n’est pas de la fonction qu’il s’agit, mais de l’être du psychanalyste. Qu’est-ce qui s’engendre pour qu’un beau jour un psychanalysant s’engage à l’être, psychanalyste ?
C’est ce que j’ai tenté d’articuler quand j’ai parlé de l’acte psychanalytique. Mon séminaire, cette année-là, c’était 68, je l’ai interrompu avant la fin, afin, comme ça, de montrer ma sympathie à ce qui se remuait et qui continue… modérément. La contestation me fait penser à quelque chose qui a été inventé un jour, si j’ai bonne mémoire, par mon bon et défunt ami Marcel Duchamp : « le célibataire fait son chocolat lui-même ». Prenez garde que le contestataire ne se fasse pas chocolat lui-même. Bref, cet acte psychanalytique est resté en carafe, si je puis dire. Et je n’ai pas eu le temps d’y revenir d’autant plus que les exemples fusent autour de moi de ce que ça donne.
Intervention – À savoir une surdité relative.
Jacques Lacan – Il est sorti quelque chose comme ça qui s’appelle les Études Freudiennes. Je ne saurais trop vous en recommander la lecture, n’ayant jamais reculé à vous conseiller de mauvaises lectures qui soient par elles-mêmes de la nature des best-sellers. Si je vous le conseille, c’est parce que ce sont des textes très, très bien. Ce n’est pas là comme le petit texte grotesque sur les remarques de mon style qui avait tout naturellement trouvé place au lieu deshabité de la *. Ça, c’est autre chose. Vous en tirerez le plus grand profit. À part un article de celui qui le dirige et dont je ne saurais dire trop de bien, vous avez des énoncés incontestablement et universellement contestataires contre l’institution psychanalytique. Il y a un charmant, solide et sympathique canadien qui dit ma foi des choses très pertinentes, il y a quelqu’un de l’Institut Psychanalytique de Paris y occupant une position très importante à la commission de l’enseignement qui fait une critique de l’institution psychanalytique comme telle pour autant qu’elle est strictement en contradiction avec tout ce qu’exige l’existence même du psychanalyste, qui est vraiment une merveille. Je ne peux pas dire que je le signerais, car je l’ai déjà signé : ce sont mes propos. En tout cas, chez moi, elle a une suite, une certaine proposition qui tire les conclusions de cette impasse si magistralement démontrée. On pourrait dire quelque part, dans une toute petite note, qu’il y a dans un endroit un extrémiste qui a tenté de faire passer ça dans une proposition qui renouvelle radicalement le sens de toute la sélection psychanalytique. Il est clair qu’on ne le fait pas. Et ce n’est vraiment pas pour m’en plaindre puisque de l’avis même des personnes intéressées, cette contestation est tout à fait en l’air, gratuite : il n’est absolument pas question que cela modifie quoi que ce soit au fonctionnement présent de l’Institut dont les auteurs relèvent.
Intervention – Ah, il parle bien !
Intervention – Jusqu’ici, je n’ai rien compris. Alors on pourrait commencer par savoir ce que c’est qu’un psychanalyste. Pour moi c’est un type de flic. Les gens qui se font psychanalyser ne parlent pas et ne s’occupent que d’eux.
Intervention – Nous avions déjà les curés mais comme ça ne marchait plus, nous avons maintenant les psychanalystes.
Intervention – Lacan, nous attendons depuis une heure ce que tu nous annonces à mots couverts : la critique de la psychanalyse. C’est pour ça qu’on se tait parce que là, ce serait aussi ton autocritique.
Jacques Lacan – Mais je ne critique pas du tout la psychanalyse, il n’est pas question de la critiquer. Il entend mal. Je ne suis pas du tout contestataire moi.
Intervention – Tu as dit qu’à Vincennes, on ne formait pas de psychanalystes et que c’était une bonne chose. En fait, un savoir est dispensé, mais tu n’as pas dit ce que c’était. En tout cas, ce ne serait pas un savoir. Alors ?
Jacques Lacan – Un peu de patience. Je vais vous l’expliquer. Je suis invité, je vous ferai remarquer. C’est beau, c’est grand, c’est généreux, mais je suis invité.
Intervention – Lacan, la psychanalyse est-elle révolutionnaire ?
Jacques Lacan – Voilà une bonne question.
Intervention – C’est un savoir ou c’est pas un savoir ? Tu n’es pas le seul [paranoïa] ici.
Jacques Lacan – Je parlerai d’une certaine face des choses où je ne suis pas aujourd’hui, à savoir le Département de Psychanalyse. Il y a eu la délicate question des Unités de Valeur.
Intervention – La question des Unités de Valeur, elle est réglée et ce n’est pas le moment de la mettre sur le tapis. Il y a eu toute une manœuvre des enseignants du Département de Psychanalyse pour les traîner toute l’année, Les unités de valeur on s’en fout. C’est de psychanalyse dont il est question. Tu comprends ? On s’en fout.
Jacques Lacan – Moi je n’ai pas du tout le sentiment que les unités de valeur on s’en (23)foute. Au contraire, les unités de valeur on y tient beaucoup…C’est une habitude. Puisque j’ai mis sur le tableau le schéma du quatrième discours, celui que je n’ai pas nommé la dernière fois et qui s’appelle le discours universitaire, le voici. Ici, en position maîtresse, comme on dit, S2 le savoir. J’ai expliqué…
Intervention – Tu te moques de qui ici ? Le discours universitaire il est dans les Unités de Valeur. Ça c’est un mythe et ce que tu demandes, c’est qu’on croie au mythe. Les gens qui se réclament de la règle du jeu que tu imposes, ça coince. Alors, ne nous fais pas croire que le discours universitaire est au tableau. Parce que ça, c’est pas vrai.
Jacques Lacan – Le discours universitaire, est au tableau parce qu’il occupe, au tableau une place en haut et à gauche…
Intervention –En haut et à droite de Dieu, c’est Lacan.
Jacques Lacan –… déjà désigné dans un discours précédent. Car ce qui a de l’importance dans ce qui est écrit, ce sont les relations, c’est là où ça passe et là où ça ne passe pas. Si vous commencez par mettre à sa place ce qui constitue essentiellement le discours du Maître…
Intervention – Qu’est-ce que c’est qu’un Maître ? C’est Lacan.
Jacques Lacan –…à savoir qu’il ordonne, qu’il intervient dans le système du savoir. Vous pouvez vous poser la question de savoir ce que ça veut dire quand le discours du savoir, par ce déplacement d’un quart de cercle, n’a pas besoin d’être au tableau car il est dans le réel. Dans ce déplacement, quand le savoir prend le manche, à ce moment là où vous êtes, c’est là où a été défini le résultat, le fruit, la chute des rapports du maître et de l’esclave. À savoir, dans mon algèbre, ce qui se désigne par la lettre, l’objet a. L’objet a, l’année dernière, quand j’avais pris la peine d’annoncer quelque chose qui s’appelle « d’un autre à l’autre ». J’ai dit que c’était la place révélée, désignée par Marx comme la plus-value.
Vous êtes les produits de l’Université et vous le prouvez que vous êtes la plus-value, ne serait-ce qu’en ceci : ce à quoi non seulement vous consentez et ce à quoi vous applaudissez – et je ne vois pas ce en quoi j’y ferais objection – c’est que vous sortez de là, vous mêmes, égalés à plus ou moins Unités de Valeur. Vous venez vous faire ici Unités de Valeur : vous sortez d’ici estampillés Unités de Valeur.
Intervention – Moralité, il vaut mieux sortir d’ici estampillé par Lacan.
Jacques Lacan – Je n’estampille personne. Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi présumez-vous que je veuille vous estampiller ? Quelle histoire !
Intervention – Non, tu ne nous estampilleras pas, rassure-toi. Ce que je veux dire, c’est que des gens ici sont estampillés de ce que, voulant tenir le discours que tu tiens pour eux, ils ne peuvent le tenir sur le mode qui s’apparente à leur présence ici. Des gens veulent parler au titre d’une contestation que tu qualifies de vaine. Il en est d’autres qui font dans leur coin Tralala, Boum-Boum, Tsoin-Tsoin et c’est ça qui fait le mouvement d’opinion. Tout ça ne se dit pas sous le prétexte que c’est à toi de le dire. Ce que je voudrais, c’est que tu aies le désir de te taire.
Jacques Lacan – Mais ce qu’ils sont bien ! Ils pensent que je le dirais beaucoup mieux qu’eux (puis usant comme il sait le faire, d’une voix aiguë). Moi, je rentre chez moi, c’est ce qu’on me reproche.
Intervention – Oh ! Lacan, ne te moque pas des gens, hein !
Jacques Lacan – Vous apportez un discours qui a des exigences telles…
Interventions – Moi, ce que je propose, c’est qu’on ne se moque pas des gens quand ils posent une question. On ne prend pas une petite voix comme tu l’as déjà fait à trois reprises ; on répond et puis c’est tout. Alors, qu’est-ce que tu as posé comme question ?
Et puis il y a autre chose, puisqu’il y a ici des gens qui pensent que la psychanalyse c’est une histoire de problèmes culs, il n’y a qu’à faire un love-in. Est-ce qu’il y en a qui sont d’accord pour transformer ça en love-in sauvage (commençant à se déshabiller, il s’arrête après avoir retiré sa chemise).
Jacques Lacan – Écoutez, mon vieux, j’ai déjà vu ça hier soir, j’étais à l’Open Theater, il y a un type qui faisait ça, mais il avait un peu plus de culot que vous, il se foutait à poil complètement. Allez-y, mais allez-y, ben continuez, Merde !
Intervention – Il ne faudrait quand même pas charrier. Pourquoi Lacan se satisfait-il d’une critique aussi mineure de la pratique du camarade. Dire du camarade qu’il ne peut pas se déshabiller en tapant sur la table, c’est peut-être très drôle, mais c’est aussi très simpliste.
Jacques Lacan – Mais je suis simpliste
Intervention – Et ça les fait rire, c’est intéressant.
Jacques Lacan – Mais je ne vois pas pourquoi tout d’un coup ils ne riraient pas.
Intervention – Moi, je voudrais bien qu’ils rient à ce moment-là.
Jacques Lacan – C’est triste
Intervention – Tout comme c’est triste de voir les gens sortir d’ici comme d’un métro à six heures du soir.
Jacques Lacan – Alors, où est-ce qu’on en est ? Il paraît que les gens ne peuvent pas parler de psychanalyse parce qu’on attend que ça soit moi. Et bien ils ont raison parce que je le ferai bien mieux qu’eux.
Intervention – Ce n’est pas exactement ça puisqu’ils éprouvent le besoin de parler entre eux.
Jacques Lacan – C’est prouvé !
Intervention – Il y a un certain nombre de gens, les mêmes qui prennent des notes et qui rient, qui, lorsque Lacan opère une reprise en main de l’assistance, se disent sans jamais dépasser un fauteuil, car c’est de l’ordre d’une certaine topologie, un certain nombre de choses. Et bien ce sont ces gens-là que je voudrais entendre.
Intervention Mais enfin, laissez donc parler Lacan
Jacques Lacan – En attendant vous ne dites rien.
Intervention – L-A-C-A-N avec nous !
Jacques Lacan – Je suis avec vous. Alors, l’heure s’avance, tâchons quand même de vous donner une petite idée de ce qui est d’ailleurs mon projet.
Il s’agit d’articuler une logique, qui, quelque faible qu’elle en ait l’air (mes quatre petites lettres qui n’ont l’air de rien sinon qu’il faut savoir selon quelles règles elles fonctionnent) est encore assez forte pour comporter ce qui est le signe de cette force logique, à savoir l’incomplétude…
Ça les fait rire ! Seulement ça a une conséquence très importante, spécialement pour les révolutionnaires, c’est que Rien n’est Tout.
Intervention – Oh ! Bien !
Jacques Lacan – D’où que vous preniez les choses, de quelque façon que vous les retourniez, la propriété de chacun de ces petits schémas à quatre pattes, c’est de laisser chacun sa béance. Au niveau du discours du maître, c’est précisément celui de la récupération de la plus-value ; au niveau du discours universitaire, c’en est un autre. Et c’est celui-là qui vous tourmente. Non pas que le savoir qu’on vous livre ne soit pas structuré et solide et que vous n’ayez qu’une chose à faire, c’est à vous tisser dedans avec ceux qui travaillent – c’est-à-dire ceux qui vous enseignent – au titre de moyens de production et du même coup de plus-value.
Au niveau du discours de l’hystérique qui est celui qui a permis le passage décisif en donnant son sens à ce que Marx historiquement a articulé. C’est à savoir qu’il y a des événements historiques qui ne se jugent qu’en termes de symptômes. On n’a pas vu jusqu’où ça allait jusqu’au jour où on a eu le discours de l’hystérique pour faire le passage avec quelque chose d’autre qui est le discours du psychanalyste. Le psychanalyste d’abord, n’a eu qu’à écouter ce que disait l’hystérique.
Intervention – Donc l’hystérique est le maître du psychanalyste…
Jacques Lacan – Je veux un homme qui sache faire l’amour… Et bien oui, l’homme s’arrête là. Il s’arrête à ceci qu’il est en effet quelqu’un qui sache. Pour faire l’amour on peut repasser. Rien n’est Tout et vous pouvez toujours faire vos petites plaisanteries, il y en a une qui n’est pas drôle et qui est la castration.
Intervention – Pendant que ce cours ronronne tranquillement, il y a cent cinquante camarades des beaux-arts qui se sont fait arrêter par les flics et qui sont depuis hier à Beaujon, parce que eux, ils ne font pas des cours sur l’objet a comme le mandarin ici présent et dont tout le monde se fout, ils (24)sont allés faire un cours sauvage au Ministère de l’Équipement sur les bidonvilles et sur la politique de M. Chalandon. Alors je crois que le ronronnement de ce cours magistral traduit assez bien l’état de pourrissement actuel de l’Université.
Intervention – Parce que franchement, tout ce qu’il dit, ce sont des conneries hein ?
Jacques Lacan – Ouais !
Intervention – Si on ne veut pas me laisser parler c’est que manifestement on ne sait pas jusqu’à quel point je peux gueuler. Lacan je voudrais te dire un certain nombre de choses. Il me semble qu’on est arrivé à un point où il est évident qu’une contestation peut prendre plus ou moins une forme de possibilité dans cette salle. Il est clair que l’on peut pousser des petits cris, que l’on peut faire de bons jeux de mots, mais il est clair aussi – et peut être d’une façon évidente aujourd’hui – que nous ne pourrons jamais arriver à une critique de l’Université si nous restons à l’intérieur, dans ses cours et dans les règles qu’elle a établis avant que nous n’y intervenions. Je pense que ce que vient de dire le camarade concernant les étudiants des Beaux-Arts qui sont allés faire un cours sauvage sur les bidonvilles et sur la politique de Chalandon à l’extérieur de l’Université est un exemple très important. Cela permet de trouver un débouché à notre volonté de changer la société et entre autre de détruire l’université. Et j’aimerais que Lacan donne tout-à-l’heure son point de vue là-dessus. Car détruite l’Université ne se fera pas avec une majorité d’étudiants à partir de l’intérieur, mais beaucoup plus à partir d’une union que nous devons faire, nous, étudiants, sur des positions révolutionnaires avec les ouvriers, avec les paysans et avec les travailleurs. Je vois très bien que le rapport avec ce que disait Lacan tout-à-l’heure n’existe pas…
Jacques Lacan – Mais pas du tout, pas du tout. Il existe…
Intervention – Il existe peut être, mais pas de façon évidente. Le rapport entre les actions que nous devons avoir à l’extérieur avec le discours, si c’en est un, de Lacan, il est manifestement implicite. Et il serait bon que maintenant Lacan dise ce qu’il pense de la nécessité de sortir de l’Université en arrêtant de pinailler sur des mots, de contester un prof sur telle ou telle citation de Marx. Parce que le Marx académique on en a ras-le-bol ! On en entend baver dans cette fac depuis un an. On sait que c’est de la merde. Faire du Marx académique, c’est servir une Université bourgeoise. Si on doit foutre en l’air l’Université, ce sera de l’extérieur avec les autres qui sont dehors.
Intervention – Alors pourquoi es-tu dedans ?
Intervention – Je suis dedans, camarade, parce que si je veux que les gens en sortent, il faut bien que je vienne leur dire.
Jacques Lacan – Ah ! vous voyez… c’est que tout est là mon vieux, pour arriver à ce qu’ils en sortent, vous y entrez…
Intervention – Lacan, permets je termine. Maintenant tout n’est pas là parce que certains étudiants pensent encore qu’à entendre le discours de Monsieur Lacan ils y trouveront les éléments qui leur permettront de contester son discours. Je prétends que c’est se laisser avoir au piège.
Jacques Lacan – Tout à fait vrai.
Intervention – Si nous pensons que c’est en écoutant le discours de Lacan, de Foucault, de Dommergues, de Terray ou d’un autre que nous aurons les moyens de critiquer l’idéologie qu’ils nous font avaler, nous nous foutons le doigt dans l’œil. Je prétends que c’est dehors qu’il faut aller chercher les moyens de foutre l’Université en l’air.
Jacques Lacan – Mais le dehors de quoi ? Parce que quand vous sortez d’ici vous devenez aphasiques, quand vous sortez, vous continuez à parler, par conséquent vous continuez à être dedans…
Intervention – Je ne sais pas ce que c’est aphasique.
Jacques Lacan – Vous ne savez pas ce que c’est aphasique ? Alors c’est extrêmement révoltant si vous ne savez pas ce que c’est un aphasique. Il y a quand même un minimum…
Intervention – Je ne suis pas 24 heures sur 24 à l’Université.
Jacques Lacan – Enfin vous ne savez pas ce que c’est qu’un aphasique ?
Intervention – Lorsque certains sortent de l’Université, c’est pour se livrer à leurs tripatouillages personnels. D’autres sortent pour militer à l’extérieur. Voilà ce que veut dire sortir de l’Université. Alors Lacan, donne rapidement ton point de vue.
Jacques Lacan – Faire une Université critique en somme, c’est-à-dire ce qui se passe ici. C’est çà.
Vous ne savez pas non plus ce que c’est qu’une Université Critique. On ne vous a jamais parlé… que voulez-vous…
Intervention – Rien à comprendre.
Jacques Lacan – Bien. Je voudrais sur çà vous faire une petite remarque. La configuration des Ouvriers-Paysans a quand même abouti à une forme de société où c’est justement l’Université qui a le manche. Car ce qui règne dans ce qu’on appelle communément l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, c’est l’Université.
Intervention – Qu’est-ce qu’on en a à foutre ? C’est pas du révisionnisme dont on parle, c’est du Marxisme-Léninisme !
Jacques Lacan – Allez. Assez. Assez. Un peu. Vous me demandez de parler, alors je parle. Je ne dis pas des choses qui sont dans l’atmosphère, je dis quelque chose de précis. Là.
Intervention – Tu ne dis rien.
Jacques Lacan – Je ne viens pas de dire comment je conçois l’organisation de l’U.R.S.S. ?
Intervention – Absolument pas.
Jacques Lacan – Je n’ai pas dit que c’était le savoir qui était roi. Je n’ai pas dit ça. Non ?
Intervention – Et alors ?
Jacques Lacan – Et alors ça a quelques conséquences, c’est que, mon cher, vous n’y seriez pas très à l’aise.
Intervention – On a posé une question concernant une certaine société et toi tu parles d’une autre société. Ce qu’il faudrait dire, c’est en quoi tu penses que c’est inéluctable.
Jacques Lacan – Je suis tout à fait d’accord. C’est qu’il y a des limites infranchissables à une certaine logique que j’ai appelée une logique faible mais encore assez forte pour vous laisser un peu d’incomplétude dont vous témoignez en effet d’une façon parfaite.
Intervention – Moi je me demande pourquoi cet amphithéâtre est bourré de 800 personnes. Il est vrai que tu es un beau clown, célèbre et que tu viens parler. Un camarade aussi a parlé pendant dix minutes pour dire que les groupuscules ne pouvaient pas se sortir de l’Université. Et tout le monde reconnaissant qu’il n’y a rien à dire parle pour ne rien dire. Alors si rien n’est à dire, rien à comprendre, rien à savoir, rien à faire, pourquoi tout ce monde est là ? Et pourquoi Lacan, toi tu restes ?
Intervention – Nous sommes un peu égarés sur un faux problème. Tout ça parce que le camarade a dit qu’il venait à l’Université pour en repartir avec d’autres camarades.
Intervention – On parle d’une Nouvelle Société. Est-ce que la Psychanalyse aura une fonction dans cette Société et laquelle ?
Jacques Lacan – Une Société ce n’est pas quelque chose qui peut se définir comme ça. Ce que j’essaie d’articuler, parce que l’analyse m’en donne le témoignage, c’est ce qui la domine : à savoir la pratique du langage. L’aphasie, ça veut dire qu’il y a quelque chose qui flanche de ce côté là. Figurez vous qu’il y a des types à qui il arrive des machins dans le cerveau et qui ne savent plus du tout se débrouiller avec le langage. Ça en fait plutôt des infirmes.
Intervention – On peut dire que Lénine a failli devenir aphasique.
Jacques Lacan – Si vous aviez un peu de patience et si vous vouliez bien que nos impromptus continuent, je vous dirais que l’aspiration révolutionnaire, ça n’a qu’une chance d’aboutir, toujours, au discours du maître. C’est ce que l’expérience en a fait la preuve.
Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaire, c’est à un Maître. Vous l’aurez.
Intervention – On l’a déjà, on a Pompidou !
Jacques Lacan – Vous vous imaginez que vous avez un maître avec Pompidou !
(25)Alors ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire… Moi aussi j’aimerais vous poser des questions.
Pour qui, ici, a un sens, le mot Libéral ?
Intervention – Pompidou est libéral, Lacan aussi.
Jacques Lacan – Je ne suis libéral, comme tout le monde, que dans la mesure où je suis anti-progressiste. À ceci près que je suis pris dans un mouvement qui mérite de s’appeler progressiste, car il est progressiste de voir se fonder le discours psychanalytique pour autant que celui-là complète le cercle qui pourrait peut-être vous permettre de situer ce dont il s’agit exactement, de ce contre quoi vous vous révoltez. Ce qui n’empêche pas que ça continue foutrement bien. Et les premiers à y collaborer, et ici même à Vincennes, c’est vous, car vous jouez la fonction des ilotes de ce régime. Vous ne savez pas non plus ce que ça veut dire ? Le régime vous montre. Il dit : « Regardez-les jouir »…
Bien. Voilà. Au revoir pour aujourd’hui. Bye.
C’est terminé. »
Et non, non, le chien sur la dernière photo n’est pas la fameuse Justine. Ce doit être un énième intellectuel de ce temps là, dont le nom s’est perdu. Un cynique égaré hors de son temps, selon toute évidence.
Mais franchement, ça ne ressemble pas à une prophétie, ça ?
« Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un Maître. »
On l’a.
Ah non… Pas Lacan (profond désespoir…). L’andidote immédiatement :
François George – L’Effet ‘yau de poêle de Lacan et des lacaniens (Hachette, 1980)
Je ne sais pas si c’est encore disponible, mais c’est une oeuvre de salut public !
Oui, oui. Je ne vais clairement pas me battre pour Lacan. 1 – Je n’y comprends pas grand chose (et je me méfie de tous ceux qui affirment le comprendre !), et 2 – Je ne suis pas sûr qu’il y ait grand chose à y comprendre. Enfin, plus précisément, le coup de l’inconscient structuré comme un langage, mouais… C’est même pas que je sois pas convaincu, c’est plutôt que c’est extérieur à mon domaine de pensée. En revanche, je dois admettre qu’il y a quelque chose, dans certains discours, qui ne parvient pas à me convaincre, mais qui me stimule.
Enfin, en tous cas, cette évocation de Lacan ne voulait pas être un hommage, juste un document sur une époque où on savait répondre. Et c’est un art qui se perd, sans doute parce que, aussi, on ne sait plus écouter. (mon dieu, je deviens un vieux con grincheux !)
Rassure-toi, tu ne deviens pas « un vieux con grincheux », tu es juste nostalgique de cette époque exotique et étrange que tu n’as pas connue, tout comme moi, et tout comme un certain nombre d’étudiants qui s’ennuient fermement dans les universités françaises du XXIème siècle où il ne se passe rien et où, tragiquement, on ne sait plus parler français !
Merci pour ce document surréaliste; le brouhaha et la piètre qualité de l’enregistrement le magnifient, le rendent presque magique, mythologique, ou en tout cas d’un autre temps, celui d’un siècle achevé qui semble s’éloigner de plus en plus de nous, irrémédiablement.
Ce document est un voyage effectué à rebours et vers nulle part, une quête pathétique qui porte en elle l’effondrement de notre idéal de perfection, de notre mort aussi. Le dialogue est une illusion. Le communisme en est une autre. Seul le verbe autoritaire peut exister. Seule la parole égoïste est féconde : Et Dieu dit « que la lumière soit ! », et la lumière fut. Point d’interlocuteur dans la création. Point d’interlocuteur dans la destruction. Notre incompréhension vis-à-vis de Lacan est celle de l’humanité toute entière vis-à-vis de sa condition, c’est-à-dire vis-à-vis d’elle-même.
Ca y est, jkrsb, tu as ton geek !
Zut ! Pas ton geek, ton troll ! Suis fatigué même le matin, moi ! Enfin quand même c’est la glouâre ! Un signe extérieur de reconnaissance.
Michel, j’aurais du mal à savoir si Julien est un geek ou un troll, dans la mesure où je cerne de manière très floue le sens que tu donnes à ces mots. Mais pour le connaître un tout petit peu, il me semble qu’aucun de ces concepts ne s’applique à sa personne.
Je le crois plutôt désabusé, et ça a pas l’air de dater d’hier, si je ne me trompe, n’est pas pas ? Du coup, tout semble un peu regardé avec une déception préalable. Autant dire que peu de choses resistent à ce regard. Forcément, quand ça s’attaque à l’Université, celle ci peut difficilement résister. En même temps, j’aurais envie de répondre ça : l’université n’est décevante que si on vient y chercher ce qu’elle ne peut pas offrir : le savoir, et l’ordre. A l’opposé de cela, elle me semble devoir être le lieu de la recherche commune. En d’autres termes, dans les universités, il ne se passe que ce qu’on y fait, rien de plus. Alors, quand il ne s’y passe rien, on sait à qui s’en prendre. Plus largement, on peut tout regarder depuis le bout à l’avance insatisfait de sa lorgnette. Exemple ? L’idéal de perfection s’effondre nécessairement chez ceux qui ne visent que la perfection, et sont dès lors perpétuellement déçus de ne jamais la saisir, parce qu’ils n’ont décidément toujours pas compris que les idéaux sont toujours hors de portée. idem pour les déçus du communisme : seuls sont déçus ceux qui y ont vu un idéal, alors qu’il ne s’agit de rien d’autre qu’un projet matérialiste, concret, quelque chose à faire. Autant dire que, du coup, je suis en désaccord sur le discours communiste considéré comme soliloque égoïste, dans la mesure où, au contraire, c’est nécessairement un discours commun, donc un dialogue. Il me semble que c’est au contraire le capitalisme qui, répétant sans cesse « moi je », s’apparente à un bavardage autocentré sans fin, car diffusé en boucle.
Alors, maintenant, on a une bonne raison de se méfier de Lacan, parce que précisément, sa parole est définitive, et n’ouvre à aucune quête commune. On peut seulement être son disciple éternellement fidèle, donc mauvais.
Cher Youri kane, sache que je préfère nettement le mot de « conscient », voire de « lucide » ou encore de « désespéré » à celui de « désabusé » mais passons, car après tout, l’adjectif désabusé caractérise quelqu’un qui a perdu ses illusions, et je ne vois pas cela comme quelque chose de nécessairement négatif, au contraire ! Cela me paraît être un processus logique également, presque naturel en France en 2009 ! A ce propos, je suis tombé récemment sur un morceau d’entrevue d’Eugène Ionesco avec un journaliste auquel l’écrivain expliquait qu’il ne faisait que des cauchemars parce que le monde est cauchemardesque… Si vous voyez l’allusion !
Là où je m’insurge en revanche, c’est quand Michel me traite de « geek » ou de « troll ». D’abord, nous n’avons pas élevé le bétail ensemble, ensuite, ce sont des inepties. Peut-être que Michel pourrait demander un dictionnaire petit Larousse illustré pour classe de 6ème à Noël ! Enfin, si je suis un troll, Michel est un gnome. Voilà, je me mets à sa « hauteur » (toute petite).
Finalement, j’ai envie d’ajouter que cela fait 5 ans que je suis des cursus au sein de différentes universités et que contrairement à d’autres qui n’y ont jamais mis les pieds, je sais de quoi je parle.
Quand j’affirme qu’il ne s’y passe rien, cela me désole et c’est légitime. L’université n’est qu’une usine à délivrer des diplômes. Des profs vaguement « instruits » débitent de manière autoritaire leurs cours à des étudiants dociles qui attendent leurs bonnes notes pour passer leurs petits concours… Tout cela est pathétique et révoltant. Voilà le fond de ma pensée ! Pas étonnant après ça que Sarkozy et consorts veuillent mettre un magistral coup de pied dans la fourmilière déclinante et nullissime. Et jusqu’à preuve du contraire, c’est quand même aux professeurs qui y font carrière, de dynamiser un peu le tout ! D’ailleurs, on a vu de quoi ils étaient capables, cette année, pour défendre leur chère Université : de RIEN.
Aujourd’hui, l’ Université n’offre plus que l’ordre mais pas le savoir. Et désolé, mais c’est l’inverse qui devrait se passer, n’en déplaise à certains. Quant à l’idéal de perfection, merci pour le conseil, mais j’avais déjà repéré qu’un idéal , par définition, ne peut être atteint. Cela étant, il me semble bon de le conserver comme horizon et non pas de le fouler aux pieds parce qu’on aime le désordre et mai 68 ou plus largement parce qu’on aime le RIEN. (eh oui, désabusé peut-être, mais pas nihiliste !)
Concernant le communisme, je conseille tout simplement la relecture de mon post car il a été trop vite lu et mal compris (je commence à avoir l’habitude). En aucun cas je n’ai dit que le communisme était « un soliloque égoïste » mais bien plutôt le contraire. C’est parce qu’il n’est pas soliloque égoïste qu’il reste, à mon sens, une utopie. Quand il « s’actualise », quand il tente d’être concret justement, il bascule tout de suite dans l’autoritarisme, pour ne pas dire dans le totalitarisme. ( cf l’épisode soviétique)
L’Histoire a démontré à maintes reprises que c’est toujours cette pensée et ce système qui priment sur tous les autres. Pour ceux qui ne me croiraient pas, j’ai quelques lectures à conseiller. Si c’est un homme me semble être un bon début. Et pour les plus courageux, évidemment, il y a Hannah Arendt !
Bon, je réagis maintenant à ce commentaire pour lequel je me suis tout d’abord simplement dit quelque chose comme « houla houla ».
En suivant ton propos, voila ce qui me vient à l’esprit :
1 – Désabusé n’est pas pour moi péjoratif, dans la mesure où il s’agit bien de sortir de ses illusions. Mais j’ajouterais que si jamais le pessimisme est un dogme, alors l’optimiste est le désabusé de son propre dés-espoir. Est désabusé celui qui ne cède plus aux abus.
2 – Je ne vais pas faire le malin, parce que le ton de ce blog est volontiers du genre « tout va mal ». Cependant, ce n’est pas une pétition de principe, ni une volonté, ni même un goût. Et voir le monde comme un cauchemard, si c’est envisageable, peut aussi être simplement un goût, voire une pause. Et il me semble qu’il peut, aussi, ne pas l’être. D’ailleurs, il ne l’est pas en permanence.
3 – Je ne vais pas jouer les grands frères protecteurs envers Michel, parce que bon… euh… bref. Julien, il faut te calmer un tout petit peu semble t il, et ne pas placer ton honneur là où il n’a que faire. D’abord, si tu étais un peu plus attentif, tu verrais à quel point tes attaques sont un poil excessives : Michel, c’est l’évidence, possède déjà quelques dictionnaires, et semble même les avoir feuilletés; et il semble aussi qu’il ait dépassé l’âge de la 6ème (et de trrrrrrrrrrrrèèèèèèèèèèèèèssssss loin ! :)). En somme, tu le prends au mot sur le terrain qu’il maîtrise le moins : le vocabulaire des djeunes. Je doute fort qu’il emploie les mots « troll » et « geek » dans un sens qui puisse être le moins du monde partagé, et puisque tu sembles avoir besoin d’être rassuré, tu n’es à l’évidence ni l’un ni l’autre. Le plus drôle dans l’histoire, c’est que je suis assez persuadé que, si vous vous rencontriez, il y a des chances que vous trouviez motif à vous entendre.
4 – je ne reviens pas sur l’université. Tu y as passé assez de temps pour savoir quoi en penser. Je suis simplement persuadé que l’université n’existe que des qu’elle dépasse sa simple mission de transmission. Peut être que cela n’apparait pas clairement dans son organisation quotidienne, mais je demeure persuade qu’il y a là un mouvement qu’on ne trouve néanmoins nulle part ailleurs, et qu’il y a là un véritable contre-pouvoir qui ne se dissout pas dans les statuts, les avantages et les manoeuvres politiciennes.
5 – Il me semble un peu paradoxal de viser l’idéal et de condamner sans appel Mai 68. Des montagnes de nuances devraient être apportées sur ce point, parce que, comme tout mouvement, son idéalisme résiste mal à l’opportunisme de ceux qui prennent le train en marche. Mais à tout prendre, je préfèrerais une attitude intellectuelle plus rigoureuse, qui consisterait précisément à reprocher à Mai 68 son idéalisme.
6 – Pour le communisme, je relis ton post, et effectivement, je l’ai un peu tordu. Cependant, cantonner le communisme dans la sphère de ce qui peut être pensé, discuté entre fidèles, mais jamais acté, me semble être précisément ce qui me semble être une des impasses actuelles, qui consiste à avoir la bonne conscience de l’intellectuel qui pense là où il faut et le pouvoir d’achat de celui qui aimerait bien partager son revenu mais est, aussi, content, que ses vues intellectuelles ne soient jamais en mesure de lui demander de passer à l’acte. Et l’autoritarisme n’est pas une fatalité, car il a une alternative : l’éducation.
Enfin, le plus important, il me semble que ce qui importe, au delà des divergences, c’est le principe selon lequel on peut s’éveiller les uns les autres. Se traiter réciproquement d’endormis me semble aller dans le sens contraire. Enfin, il me semble !
Donc, messieurs, il va falloir apprendre à vous connaître !
Bonjour !
« Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un Maître. »
Vous avez un extrait plus complet ?
Bonjour,
je peux chercher ça !