Le problème avec le courage, c’est qu’on en fait toujours mieux la promotion lorsqu’il s’agit du courage des autres.
Illustration avec Jean-Michel Aphatie, ce journaliste d’autant plus consciencieux quand il se préoccupe de la conscience professionnelle de ses collègues.
Aphatie est sans doute de tous les journalistes politiques celui qui a les dents les plus acérées sur ses collègues. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il les loupe pas. Evidemment, c’est à l’occasion des interviews présidentielles auxquelles il n’est pas convié (trop rebelle, trop incontrôlable, trop irrespectueux envers le pouvoir, c’est sans doute ainsi qu’il imagine que le pouvoir le voit lui-même, et prend peur dès qu’on évoque son nom (« Aphatie ? Le journaliste fou ?! ») qu’on sent bien que sa conscience professionnelle se téléporte dans la tête de Dada Pujadas et Laulau Ferrari, et qu’il pose dans sa propre tête toutes les questions qu’il reprochera ensuite aux heureux élus de ne pas avoir osé poser.
Faut dire qu’on est tous comme ça : quand on s’imagine vivre une situation, on a tous un peu tendance à héroïser un peu sa petite personne, et à se voir faire des trucs qu’en fait, une fois mis en situation réelle, on ne ferait finalement pas. Aphatie, c’est exactement ça : les lendemains de show présidentiel à la télé, il ne décolère pas et balance au public toutes les questions qu’il aurait osé poser, lui, au président, s’il avait la chance de le tenir à bout portant de micro. Et vas y que je te questionnerais sur le nepotisme, et vas y que je te poserais des questions saignantes à propos des Balkany, et vas-y que je te crucifierais le président à propos des promesses non tenues. Le boucher de canal + est capable de tout.
Dans sa tête.
Parce qu’en réalité, c’est que d’la gueule.
Démo ?
Ce soir même, Henri Guaino, ce type que personne, en France, n’a missionné pour faire quoi que ce soit, ce type qui ne figurait sur aucun programme politique, ce type dont on peut se demander jusqu’où peut bien aller son pouvoir pour qu’il puisse venir, comme ça, sur le plateau de canal +, à l’heure où l’audience est maximale, pour humilier devant tout le monde notre premier ministre, ce type venu annoncer à la France entière, ce soir même que, bonne nouvelle, il en a marre d’entendre dire que la France est en déficit. Parce que oui, ouvrons grandes nos oreilles, parce que les scénaristes de cette série télé qu’est devenu notre pays se sont tirés les doigts du cul pour nous sortir un de ces coups d’éclat permanents auxquels on est tellement habitués maintenant que c’est tout juste si on n’allume pas la télé juste pour voir ce qu’ils ont bien pu nous inventer. Ce soir, Guaino, le Aaron Spelling de l’intrigue politique avait décidé de foutre en l’air la trame soigneusement tissée par Fillon. Aussi soigneux pour écrire ses propres textes que ceux qu’il concocte pour notre président, dont il est finalement le marionnettiste, il s’était réservé une réplique qui devrait laisser la France pantoise et reconnaissante, mais ne va sans doute provoquer qu’une dose d’ennui supplémentaire, tant tout le monde est anesthésié, et tant le droit de suite semble inconnu des journalistes.
Accrochez vous. Guaino, ce fervent défenseur de l’emprunt d’Etat vient de valider sa thèse sur le nécessaire endettement de la France avec cette thèse qui décoiffe : en fait, contrairement à ce que tout le monde (au premier chef desquels on trouve, bien sûr François Fillon himself), la France n’est pas en faillite. A vrai dire, elle n’est même pas endettée. En réalité, pour dire les choses comme elles sont, il faut même avouer qu’elle est tout simplement créditrice. C’est de la compta. Et c’est vrai, puisque c’est Guaino qui le dit.
Sans doute, si c’était n’importe quel autre journaliste qu’Aphatie qui était ce soir en face du conseiller tout de même très spécial de l’Elysée, sans doute Aphatie, devant son poste, se serait il imaginé poser mille questions à Guaino après une telle sortie : Ah oui, « créditrice », et de combien alors ? Et donc, si nous avons tant d’argent, à quoi allons nous l’utiliser, dans quoi la France va t elle pouvoir investir ? Et si nous sommes si riches, comment se fait il qu’à chaque demande sociale, on argumente sur la base du fameux « les caisses sont vides »? Et pourquoi, si tout va si bien que ça, pourquoi ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux ? Ce serait, finalement, juste pour les emmerder ? Juste parce qu’on les aime pas ? Ou bien faut il que tout cet argent dont on dispose finalement soit réservé au bouclier fiscal ? Plein plein de question qu’Aphatie aurait pu poser dans sa tête si il avait été n’importe où, finalement, du moment que ce ne fut pas devant Henri Guaino.
Pas d’bol. Ce soir, en face d’Henri Guaino se tenait Jean-Michel Aphatie. Comment a t il réagi face à cette énormité prononcée là, en direct, devant lui, ses caméras et son micro ? Qu’a t-il fait que ni Ferrari, ni Pujadas, qui ne lui arrivent pas à la cheville, dit il, n’auraient pas osé faire ?
Il n’a dit qu’une chose.
« Des fois, on dit des bêtises ».
Henri Guaino n’en attendait sans doute pas tant.