Je vois ce soir que sort un livre au titre prometteur :
Orange stressé, le management par le stress à France Telecom.
Au-delà du contenu lui même, qui me semble être dans la droite ligne (en pire, parce que décrivant les mêmes méthodes, mais devenues extrêmement efficaces) d’autres ouvrages tels que Carrefour de l’exploitation de Grégoire Philonenko, Orange stressé a le mérite, par son titre, d’appeler l’entreprise par son nom.
Ce n’est pas que France Telecom n’existe plus, c’est juste qu’on comprend mieux pourquoi l’entreprise s’est créé une façade commerciale sous le nom plus neutre de Orange. On pourrait penser qu’il s’agissait juste d’une dénomination ayant pour but de bien passer à l’international. Mais en fait, c’est aussi un bon paravent : après tout, c’est chez France Telecom qu’on succombe à la mode du suicide, pas chez Orange, puisque jamais la façade commerciale du groupe n’est citée. Imagine t-on, sur la longue durée, les effets commerciaux d’un marketing involontaire qui confronterait quasi quotidiennement le bel univers fictionnel, soigneusement construit par ses communicants, qu’est devenu cette couleur aux effets que ce management a sur ce que l’entreprise appelle, elle-même, ses ressources humaines. Le client Orange peut avoir bonne conscience en se disant que ça ne concerne pas les employés qu’il a au bout du fil sur sa hotline.
Ca en dit long, d’ailleurs, sur toutes ces entreprises qui, ces dix dernières années, ont changé de nom, comme dernièrement Rondstadt. Finalement les employés de ces entreprises peuvent sentir le vent tourner, dans ce genre d’occasion : si l’entreprise souhaite agir sous pseudonyme, c’est qu’elle ne souhaite pas porter publiquement, sous son nom, la responsabilité de ses propres méthodes de management.
Autant dire que cela indique assez clairement quelle attitude le consommateur devrait adopter face à ces méthodes : se renseigner, savoir qui est qui, identifier les managements qui sont aussi des maltraitances, et les sanctionner en n’achetant pas, puisque c’est la seule manifestation qui puisse toucher là où ça fait mal. Et communiquer en opposition, en faisant en sorte que de plus en plus, la marque Orange soit associée à l’idée des sacrifiés dont l’élimination est maquillée en suicide.
Que tous ceux qui ne travaillent pas dans cette entreprise ne se réjouissent pas trop. Tout d’abord, on peut présumer que si le taux de suicide est particulièrement élevé dans cette entreprise (mais ce ne sont pas les taux les plus élevés de son histoire, contrairement à ce que la vague médiatique pourrait laisser penser : aux alentours de 2002, c’était pire (vous me direz, on ne sait jamais : l’année n’est pas achevée…)), c’est sans doute parce que le changement de statut a contraint une masse d’employés à changer ses habitudes. En d’autres termes, ailleurs, on n’est pas forcément mieux traité, mais on y est juste habitué, plié. Cela signifie que toutes les employés qui travaillent pour des secteurs où ce genre de modification du management n’a pas encore été effectué peuvent se préparer à des années de service qui vont être vécues dans une ambiance qui ne devrait pas être excessivement marquée par le calme, la volupté et le luxe. Tout particulièrement, on aura une pensée émue pour l’ensemble du secteur public, puisqu’on l’aura compris, il constitue une cible de choix pour ceux qui nous dirigent actuellement et leurs amis proches. L’un de ces secteurs, en particulier, attirera notre attention : là où chez France Telecom on connait un taux de suicide de 11.7 pour 100 000 employés, l’éducation nationale déplore un taux qui « grimpe » à 39 pour 100 000 (on le sait tellement peu que certains employés font, sur eux mêmes, de cruelles erreurs d’orientation : on voit plein d’employés du privé s’éloigner du danger en passant les concours de l’éducation nationale; ainsi, un de mes collègues est devenu prof de maths après avoir été employé pour Cap Gemini (hmmm… ambiance on met les futurs suicidés autour de la machine à café, bien exposés dans leur désoeuvrement honteux au regard de ceux qu’on surcharge de boulot), puis pour le technocentre de Renault (ambiance, de nouveau…). Autant dire que ce collègue, qui découvre que certaines classes sont pires qu’un chef de service, on l’a un peu à l’oeil…). Ca montre une première choses : 30 élèves, en matière de pression manageriale, c’est au moins aussi difficile à supporter qu’un patron (mais c’est normal : tout conduit les élèves à se comporter comme les pires des patrons, c’est à dire comme des clients…). On peut craindre que les changements de statuts, les réformes qu’on promet à ce secteur soient, à l’avance, des promesses d’augmentation notable de ce taux. On imagine déjà l’ambiance dans les salles des profs, quand les élèves et le ministère auront compris qu’ils ont ce moyen là d’éclaircir les rangs de ceux qu’ils considèrent comme excessivement nombreux. On s’étonne même que le fameux Suicide, mode d’emploi figure toujours au nombre des livres mis à l’index.
Autre catégorie qui peut se faire un sang d’encre (tiens, voila peut être une méthode fiable : se faire une intraveineuse avec les cartouches d’encre rouge, voila une mort comme qui dirait « signée »), les agriculteurs : certes, officiellement, pas de management violent, puisque pas de management du tout. Pourtant, le taux de suicide chez ceux qui nous alimentent est de 62 pour 100 000. Si on creuse un peu, on devine vite que ce sont les conditions économiques qui provoquent un tel drame (absolument pas relayé, et on ne demande pas les démissions de quelconques responsables politiques face à une telle hécatombe), ce qui montre que, comme on le soupçonnait plus haut, le pire patron qui soit, c’est le marché en général, et plus particulièrement, le client.
Pour une plongée dans l’enfer du décor, on pourra aller voir ce film : Rien de personnel, de Mathias Gokalp, s’il passe encore quelque part. On y verra certaines de ces fameuses méthodes à l’oeuvre. On y verra aussi comment cette réalité y est soigneusement, au sens propre comme au sens figuré, maquillée. Qui plus est, on découvrira, aussi, un véritable film, une construction, un rapport au temps, aux rôles et à la mise en scènes tel que seul le cinéma est apte à le proposer.
Et Mc Do’ dans tout ça ? 🙂
Ah oui, j’oubliais mcDo. A vrai dire, je n’en connais pas le taux de suicide. J’aurais plutôt le sentiment que ce sont les clients qui s’y tuent à petit feu. Plus sérieusement, il me semble que ce qui sauve les employés de chez McDo c’est un mélange de certitude qu’ils ont de ne pas rester dans cette entreprise, de n’y être que de passage, et l’ambiance post-emploi qui y règne (on n’y est pas « employé », mais « équipier », on n’y est pas syndiqué, on vient y bosser parce qu’on ne trouve rien d’autre, etc. …). C’est peut être cette précarité qui, paradoxalement, les sauve.
Félicitation,Monsieur!
Etant à l’heure actuelle hospitalisé à Paris, promis, dès ma sortie j’irai l’acquérir.
Cordialement.
G.P.
Et n-oubliez pas de présenter mes amitiés à Monsieur Du ROY.
G.P.
Merci pour la visite ! Je ne vais cependant pas pouvoir transmettre vos amitiés à Monsieur Du Roy, pour la simple raison que je ne le connais absolument pas !
Bon courage pour l’hospitalisation, (j’espère qu’elle n’est pas due à une quelconque enquête en milieu hostile !). Et je vous signalerai dans les prochains jours un autre terrain sur lequel je fais référence à votre travail. Cordialement ! YouriKane
Et n’oubliez pas:
« Avec Carrefour, le positif est de retour »
Excellente nouvelle…
Cordialement.
G.P.