à propos de War, de Idles
mis en scène par Will Dohm
dans le clip visible en fin d’article
Ces derniers jours, parce que je bosse sur un petit projet que j’ai avec mes élèves de première en HLP autour des « pouvoirs de la parole », et parce que je prépare plus ou moins – et plutôt plus que ce que je voudrais m’avouer à moi-même – l’oral de certification cinéma et audiovisuel, je cogite pas mal sur la place qu’a le visage à l’écran. Et à l’heure où nous sommes tous cadrés « à la Sergio Leone », je trouvais intéressant qu’on réfléchisse à ce que devient notre parole, maintenant que nous sommes visuellement bâillonnés. Et bien entendu, le fait que nous soyons masqués ne nous contraint absolument pas au mutisme, pas plus que le cinéma non parlant n’était réellement muet.
Parce que notre silence lui-même parlerait, en vertu de notre aptitude naturelle à parler, parce que le visage est lui-même parole, et parce que dans cette démarche, le reste du corps lui emboîte le pas.
Tout ça m’a mené, en explorant comment Arthur Penn met en scène le silence d’Helen Keller dans The Miracle worker, à fureter du côté du cinéma qu’on dit « muet », pour m’apercevoir qu’en réalité, celui-ci est bien mal nommé, car dès qu’on a des corps à l’écran, ça nous parle.
On peut mettre la bouche hors-champ, ça parle. On peut virer le visage tout entier, ça parle aussi. Et je tombe sur ce clip, réalisé par Will Dohm pour le très parfait titre War, tiré du tout aussi nickel album Utra Mono du non moins désormais incontournable groupe, Idles.
Le clip est un récit focalisé sur des mains filmées en plongée, le champ s’élargissant peu à peu pour dépasser la simple vue subjective. On n’est pas tout à fait dans le même ordre de choses que l’émission Mes Mains ont la parole, mais il y a quelque chose de « parlant » dans l’image des mains en action. D’abord parce que, comme le remarquait déjà Aristote, les mains sont le témoignage de la nature même de l’homme : incomplet, elle sont les prises USB sur lesquelles on va brancher les périphériques offrant au corps humain de fonctionnalités nouvelles lui permettant de s’adapter à tous ces milieux dans lesquels il n’a a priori pas de place. Mais aussi parce que, toujours en action, les mains racontent par leur mouvement, leur inertie, leur état, ce qu’est la vie humaine. Usées, inertes, offertes, tendues, tenues, maintenues à l’écart, tremblantes, hésitantes ou assurées, elles sont la part non protégée du corps, les têtes chercheuses avançant en pionnières dans le monde matériel, ce qui de nous morfle en premier quand le rapport au monde tourne au vinaigre.
Je pensais que ça allait me changer un peu des plans sur des visages.
Et puis en fait, non.