Juste comme ça, en mode récré, il y a quelques photos du G7 qui semblent tout droit sorties d’un épisode de La Clinique de la forêt noire, celui où la dite forêt part en fumée sous l’œil intéressé de, en gros, tout le monde.
L’épisode des insultes brésiliennes dont Mme Macron a été la cible nous a rappelé ceci : en l’absence de véritable propos politique, y compris et surtout même si les enjeux relèvent de ce qu’il peut y avoir de plus grave pour l’humanité, les conjoints font partie des moyens de transaction diplomatique, quand bien même les propos tenus semblent ne pas appartenir au registre habituellement feutré des négociations inter-étatiques. Le mari peut toujours jouer les amoureux outrés, il sait bien que c’est là le prix à payer pour ne pas avoir à aborder de manière sérieuse, c’est à dire de façon fâcheuse, les sujets qu’il préfère survoler, comme s’il était au-dessus de tout. Mine de rien, les insultes brésiliennes lui sont bien utiles, elles lui donnent la posture de celui qui prend de la hauteur. On avait bien besoin de ça, que le premier de cordée parte plus avant encore.
Armure, gloire et beauté
Du coup, pendant que par-dessus l’Atlantique volent les insultes misogynes et les noms d’oiseaux proférés par ceux qui ne sont pas invités à venir débattre d’un problème dont ils sont pourtant le centre, soit qu’ils le provoquent, soit qu’ils en soient victimes (et, en fait, les gouvernements étant très détachés de l’intérêt de leur propre peuple, dont ils se servent plutôt qu’ils ne le servent, généralement, les peuples sont dans les deux situations « en même temps »), dans l’enceinte surprotégée qu’est devenue le Pays Basque, on a joué à fond la carte du glamour. Emmanuel Macron avait prévenu : ce G7 serait l’occasion pour la région d’en mettre plein les mirettes à tous les invités. On voit mal en quoi un quelconque invité serait impressionné par le Pays Basque. Ils en ont vu d’autres, et on n’aimerait pas être à leur place, blasés par la succession ininterrompue des accueils dans les lieux charmants. Le seul à être épaté, c’est l’estivant cloué devant sa télé, qui regarde sur BFM les images d’un monde qui lui est d’autant plus interdit que, pour bien marquer le fait que ces gens là sont absolument détachés de tout peuple, on a bouclé le périmètre, et privatisé l’espace public. Et c’est là une bonne définition de l’homme politique actuel : c’est celui qui a le pouvoir, au nom du Bien public, de privatiser, pour son usage personnel, l’espace commun. Et accessoirement, on fait là tout ce qu’il faut pour que ce territoire soit, plus encore qu’aujourd’hui, submergé par des déferlantes de touristes friqués venus dépenser là leur fric pour mieux consommer tout ce qui peut l’être. Un objectif vachement conforme à la sagesse environnementale et à la préservation de la beauté des lieux.
D’où la présence des fameux conjoints, autour de la fameuse Brigitte. Conjoints qui sont, tous, des conjointes, puisque Joachim Sauer, le mari d’Angela Merkel, ne participe que très rarement à ce genre de moment. Et on le comprend assez bien : lui qui, lors du G8 de 2007 à Heiligendamm, avait invité les conjointes à une rencontre avec un démographe américain, spécialiste des questions de vieillissement de la population, devait envisager avec une certaine réticence, la perspective de participer au programme concoctée par Mme Macron, fait de visites de village folklorique, panier de piments en mains. Conscient de n’être désigné par personne pour tenir quelque rôle que ce soit au nom des autres, et de n’être qu’un citoyen parmi les autres citoyens, il reste à sa place. Il n’en va pas de même pour les femmes des autres dirigeants, ce qui en dit long sur ce qu’est, encore aujourd’hui, le mariage, dans ces sphères ci, dans les pays les plus puissants (soi-disant) du monde. On n’a pas entendu Marlène Schiappa s’en émouvoir. Pourtant, ces femmes ci ne sont qu’un cas particulier dans la catégorie plus large des hôtesses d’accueil. Et on soupçonne qu’en douce, derrière les images polies du glamour politique, elle subissent les mêmes pressions, et la même domination. Sinon, certaines, comme le fait M. Sauer, n’accepteraient pas de jouer ce genre de rôle.
La fonte du papier glacé
Le fait qu’Emmanuel Macron ait utilisé sa femme comme paravent pendant cet épisode politique en dit finalement assez long sur la fragilité de sa situation. Et en tentant de faire pleurer dans les chaumières sur le sort de son épouse bafouée, il a aussi essayé d’associer toutes les femmes à celle-ci. Comme si elles se trouvaient dans une quelconque communauté de destin. Faut-il rappeler les analyses de Simone de Beauvoir ? Une femme bourgeoise est bourgeoise avant d’être une femme. Sa solidarité ira vers sa classe avant d’aller vers son genre. Et bien évidemment, les hommes font de même, mais ça se voit moins, car ça semble aller de soi, les hommes n’ayant pas à se positionner en tant que tels.
Ce faisant, le président joue un sale tour à sa femme : quand on passe sa vie à faire en sorte de se dégager de la trajectoire du commun, être ainsi plongée dans le bain commun parce que son mari a besoin de reprendre contact avec le peuple, ce doit être un tout petit peu humiliant. Disons ça autrement : Macron a un tel souci avec le peuple, il l’a tellement en horreur, que pour revenir vers lui, il a besoin d’une protection. Et ses gants Mappa, grâce auxquels il peut caresser un peu la couenne visqueuse de son peuple, c’est actuellement sa femme. Pendant toute la période de « concertation » avec les français, pour mieux éviter de les rencontrer vraiment, il avait utilisé les maires pour faire tampon, leur trouvant soudain une utilité. Mais plus il tente de renouer le contact, plus il est obligé de tenir devant lui quelque chose qui tienne du bouclier anti-radiations.
Et le meilleur écran, finalement, c’est celui qui donne l’impression de montrer, au lieu de dissimuler. Depuis qu’on a écrit des histoires mettant en scène des prisonniers enchaînés dans une caverne, on sait que le meilleur écran, c’est l’image. Parce qu’elle est inattaquable en surface, Brigitte Macron constitue l’image idéale, l’écran que personne n’oserait briser, pour de multiples raisons. A strictement parler, la façon dont Emmanuel Macron joue d’elle relève du bouclier humain, mais comme une telle pratique est quasiment institutionnelle, la femme du président ne peut ni porter plainte, ni appeler à l’aide : qui viendrait la sauver ? On a déjà vu des photos, sur lesquelles Melania Trump semblait lancer au monde un regard qui implorait qu’on vienne la sauver. Et on la comprend. L’illusion dont nous sommes victimes consiste à croire que la situation de Brigitte Macron soit, en comparaison, plus enviable.
Ecran total
Ce prix, il est prêt à le payer depuis le début, ce n’est pas un accident de parcours. Brigitte Macron a toujours été mise en avant, sans que ce soit tonitruant, mais dans les moindres détails. C’est en binôme qui a été élu, avec tout ce que sa situation particulière permet. Si on avait l’esprit mal tourné, on pourrait imaginer des récits plus sombres encore que ce qu’ose jusque là le storytelling. Si jamais la réélection de Macron, pour x raison, devait être mal engagée, si jamais en somme le front national faisait défaut comme adversaire rêvé, il suffirait qu’il arrive quelque chose à Brigitte qu’on voit le président se déplacer avec un bouquet de fleurs à la main, vers le Val de Grâce ou derrière un corbillard, pour que son succès soit assuré. Il faudrait un peuple aux forces politiques surhumaines pour ne pas tomber dans ce genre de panneau. On laisse à des scénaristes sombres (c’est à dire lucides) le soin de développer l’intrigue et les dialogues qui vont avec une telle perspective. Chacun sait ce qu’elle a d’imaginaire, et de crédible aussi. Chacun a pu voir aussi, cet été, comment on testait l’opinion publique en distillant quelques informations mystérieuses sur une opération de chirurgie esthétique qu’aurait secrètement (mais en fait, pas secrètement) subie Mme Macron. Le pouvoir sait aujourd’hui un peu mieux comment réagit le public sur ce terrain, et comment on peut utiliser cette fibre ci, pour remonter les pentes dévalées de l’opinion.
Que la femme du président fasse partie des portes coupe-feu en cas d’incendie, ça a toujours fait partie de ce genre de contrat de travail officieux. L’avantage de ce genre d’écran, cependant, c’est qu’une fois qu’on le regarde comme tel, il dit finalement quelque chose de vrai : si le pouvoir en est là, c’est qu’il y a quelque chose d’énorme dont il faut qu’on détourne les regards. En réalité, ce n’est pas un hasard si cet épisode naît dans la dénonciation par notre président des incendies qui ravagent la forêt amazonienne. Trouvant là l’occasion de se donner en exemple de vertu, et de désigner le coupable de la hausse des températures dans le monde, Emmanuel Macron sait bien que cette attaque ne peut que revenir vers lui, façon boomerang. Parce que se présenter comme vertueux alors même qu’on est client de ce qu’on produit là où on défriche, c’est n’être rien d’autre qu’un Tartufe. Macron le sait bien, mais au moment de le dire, il choisit sa formulation : là où Bolsonaro serait personnellement responsable de ce qui se passe sur son territoire, l’attitude commerciale de la France, elle, est de l’ordre de la responsabilité collective. On saisit la nuance ? Au Brésil, la responsabilité est celle du président; en France, c’est celle de la France. Ou comment toujours poser le poids du devoir sur les épaules des autres.
Prendre une vessie pour une lanterne magique
Récemment, en Suisse, une publicité pour un SUV BMW faisait scandale parce qu’elle exprimait un peu trop clairement le sans gêne des clients de ce genre d’engin puissant et fier de lui, grimpé haut sur ses grande roues. Le slogan était : 1000 pouvoir, 0 devoirs. La campagne a été vite abrégée, car l’opinion publique a immédiatement discerné le mauvais esprit qui y régnait, et trop rares étaient ceux qui assumaient d’être identifiés à cette attitude méprisante. On constate que le progrès fait dans le domaine de la consommation reste à faire dans la sphère politique. Notre président se comporte, dans les faits, comme quelqu’un qui ne prend pas ses responsabilités, tout en rappelant en permanence les autres aux leurs, n’hésitant pas à menacer d’un usage de la force qui lui coûte d’autant moins qu’il envoie quelqu’un d’autre pour donner les coups, mais aussi les prendre. Quand ce n’est pas Benalla, c’est un ministre, quand ce n’est pas un ministre, ce sont les forces de l’ordre, quand ce n’est pas la police, c’est sa femme. Ce président se comporte comme un planqué. Ce n’est pas étonnant, si tous ceux qui aiment l’idée d’être protégés des dangers qui les effraient par des bras qui ne sont pas les leurs se reconnaissent en lui, et lui vouent un véritable culte.
Ce qu’il y a à cacher, c’est – trois fois rien – le fait que ce monde parte en fumée, comme s’il était le vulgaire pneu arrière d’une moto bloquée, poignée droite au taquet, frein avant verrouillé, dans un burn sans fin. Ce qu’il y a à cacher, c’est que des intérêts puissants n’ont aucune intention que cela cesse, parce qu’ils voient dans la fin du monde un but à poursuivre, ou bien parce que tant qu’à faire, si c’est la fin, autant se faire plaisir. Il est tentant, dans un tel moment, de se prendre pour un grand homme : ceux qui ont besoin de se sentir petits et insignifiants pour qu’on n’avoir aucun compte à rendre seront nombreux à lui laisser les commandes, dont il fera ce qu’il veut, tant qu’il les entretient dans ce récit de voyage commode, dans lequel il est capitaine au long cours, tandis qu’ils ne sont que passagers. Nous en sommes encore là : le seul monde qui puisse être le nôtre part en fumée, et sur cette fumée sert elle-même, encore, d’écran. Désireux de regarder la fin du film qu’on y projette, pour avoir davantage le sentiment de ne pas le vivre, nous autres citoyens, transformés en spectateurs, regardons les images en mouvement nous tromper encore un peu.
Peut-être le pouvoir aurait-il tort de se priver, la lanterne magique peut encore fasciner un peu. Les quelques uns qui se laisseront convaincre par les nouveaux habits verts de notre président seront peut-être la poignée d’idiots utiles dont il aura besoin pour conserver le pouvoir. Il protège sa femme, il protège la planète, ce doit être un homme bon. On mesure de plus en plus combien ce qui pourrait mettre un terme à une telle trajectoire serait, nécessairement, perçu par tous ceux dont le regard est captivé par ce spectacle, comme une violence extrême.
Ouistitiiiiiiii…
Au cours de ce G7, une séance photo. En deux temps. Parce qu’il faut donner deux images. Une première, celle des dirigeants tels que les peuples les ont, plus ou moins volontairement, choisis. A une exception près, ce sont des hommes. Image officielle des pays les plus puissants, et de leurs hommes de pouvoir. Puis une deuxième photo, qui laisse deviner le hors-champ de la première : ces femmes qui attendaient, patientes et silencieuses, que les hommes en aient fini avec la photo dont elles sont exclues. Elles les rejoignent alors, et chacune à côté de celui sans lequel elle serait bien moins que ce qu’elle est, une nouvelle photo est prise.
Pour la petite histoire, ces mêmes femmes étaient de retour d’une escapade touristico-commerciale à Espelette. Il se trouve qu’Espelette se trouve à l’extérieur du périmètre de sécurité à l’intérieur duquel les dirigeants et leurs invités pouvaient être certains que rien ne leur arriverait. C’est la première fois dans un G7 qu’une telle excursion hors limites est organisée, à tel point que l’initiative a un peu désarçonné la Maison blanche, qui a validé la participation de Melania Trump à condition que celle-ci se déplace, seule, dans une limousine spécialement envoyée depuis les Etats-Unis pour ce seul usage.
Si on veut bien être honnête, on doit reconnaître que la popularité de ces gens là étant ce qu’elle est, on peut raisonnablement penser qu’effectivement, il y avait un risque objectif qu’une telle colonie de vacances soit importunée, ou agressée. Leurs maris en ont cependant pris le risque, parfaitement conscient qu’au pire, le pire n’arriverait pas, puisqu’ils seraient sains et saufs.
Cette seconde photo, nous pouvons alors la regarder, de nouveau. Nous savons désormais à quoi cette scène nous fait penser : c’est une prise d’otages.