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Quand on commence à mettre des ingrédients dans le blender, avant de les mixer, on sait que l’objectif est certes de les mélanger, tout en espérant qu’il reste quelque chose de chacun d’eux. Et mine de rien c’est pas si facile, parce qu’il y a pas mal de risques que les ingrédients, une fois mis ensemble, ne donnent rien de bon, qu’on n’en reconnaisse plus aucun, que l’un d’eux bouffe tous les autres, bref que ça fasse finalement une bouillie peu digeste.
En musique c’est un peu pareil : quand on commence les mélanges, ça donne vite la gueule de bois. Et pourtant, la musique, comme la cuisine, n’existe que par les mélanges qu’elle propose. A moins de ne la considérer que comme une suite de sons qui ne se juxtaposeraient que successivement dans le temps (comme quand on chante tout seul, sans accompagnement), la musique est en fait aussi une juxtaposition de sons synchrones, donc joués en même temps. Et c’est bien pour ça que c’est un art qui se pratique souvent en groupe, et que si on le pratique seul, ça réclame souvent d’utiliser pas mal de machines jouant quasiment toutes seules leur propre partition. Mais au delà de ce présupposé technique, les mélanges en musique sont aussi ceux des références, puisqu’un musicien est avant tout quelqu’un qui aime la musique, à commencer par celle des autres. Il est donc peu étonnant de voir la reprise et la citation d’autres morceaux devenir un genre à part entière dans le monde musical. Certains se sont même fait une spécialité du mélange de morceaux parfois improbables (comme les excellents titres des 2 many DJs, en particulier). Mais d’autres vont s’ingénier à reprendre des grands classiques en les détournant totalement de leur direction originelle. C’est le cas de ce duo, qui demeurera, avant les Daft Punk, les premiers à se présenter sur pochette de disque et sur scène, affublés de casques de robots : the Moog Cookbook. Constitué de deux musiciens (se faisant appeler Meco Eno et Uli Nomi), ils se sont ingéniés à utiliser majoritairement des synthétiseurs analogiques (dont le plus célèbre demeure le fameux Moog), et à ne reprendre que des titres qui a priori ne peuvent précisément pas être repris avec un tel matériel.
Ils ne sont pas les inventeurs de ce genre : à la fin des années 60, au moment où apparaissent de manière massive les premiers vrais synthétiseurs, apparaissent aussi les Moog Records, qui sont des albums de reprises des titres du moment au synthé, s’approchant assez de ce qu’on appellait il n’y a pas si longtemps de l’easy listening. L’un des plus connus de ce genre est l’album « Switched on Bach« , de Wendy Carlos, qui restera dans l’histoire comme le premier album entièrement « joué » avec sur des synthés Moog. Autant dire qu’aujourd’hui, à l’heure où on est passé depuis longtemps à la génération des synthétiseurs numériques, ces engins semblent tout droit venir de la préhistoire, et qu’ils sont amplement dépassés par les machines actuelles. Cependant, nombreux sont ceux qui demeurent nostalgiques de cette période, regrettant l’analogique, qu’ils considèrent volontiers comme une sorte d’idéal musical vers lequel il faudrait retourner. The Moog Cookbook permet d’entretenir cette fascination pour les synthé « old school » (avec plein de potentiomètres dans tous les sens), avec cette particularité de reprendre non pas des oeuvres issues du répertoire classique, ni des standards des sixties, mais des titres qui nous sont bel et bien contemporains, ou presque, puisqu’ils s’attaquent par exemple au cultissime Smells like teen spirit de Nirvana, qu’ils transforment en bluette easy listening totalement inoffensive (mais c’est parfois là que se cache la véritable subversion, et on reparlera un jour de la manière dont la scène punk sera capable d’utiliser de telles méthodes apparemment fort peu violentes pour produire des disques pourtant redoutables (en somme, on reparlera de Taxi girl un de ces jours)).
Mais c’est à l’écoute enthousiaste d’un autre titre que je vous convie ici, simplement parce que c’est le plus terrible que le duo ait proposé, au sein des deux seuls albums qu’ils ont proposés durant leur courte carrière. Parmi les classiques des classiques, ceux qui sans doute font partie de ces morceaux qui ne peuvent être joués que par ce qu’on appelle classiquement un « groupe », avec des « vrais » instruments, ces morceaux qu’on apprécie même encore un peu plus quand ils sont joués « unplugged », il y a cet incontournable « Hotel California« . Alors bien sûr, le principe même du « moog records », c’est que les parties vocales sont elles mêmes jouées par le synthé. Exit dont les paroles étranges et subliminales du titre des eagles, seule reste la mélodie. Evidemment, on peut craindre le pire, et le pire serait que ça sonne un peu comme du Charly Oleg massacrant le répertoire classique au Bontempi. Alors oui, oui, a priori ça sonne un peu comme ça. Mais accrochez quand même vos ceintures, parce que l’oncle Charly semble bel et bien avoir abusé un peu de tout un tas de substances illicites, et il va réussir à arracher le morceau à ses racines, et à le mettre immédiatement sous perfusions, à le brancher à tout un tas de machines lui permettant d’accéder à une nouvelle vie. Et, cas unique dans les morceaux de Moog Cookbook, le morceau prend une telle liberté qu’il traverse successivement plusieurs styles musicaux, jusqu’à aller rencontrer, dans un « Gig » final un peu invraissemblable mais totalement « naturel », le classique de la musique électronique qu’est Pop Corn, et l’indémodable titre de Dave « Vanina« . Oui oui, c’est possible. Incongru quand on ne l’a pas encore entendu, mais absolument « normal » après écoute.
Et pourquoi Pop Corn vous demandez vous ? (puisque bon, Vanina, c’est carrément au delà de tout questionnement !) Eh bien tout simplement parce que la nature est bien faite, et qu’en 1969, année où sortait Switched on Bach, sortait aussi un album de Gershon Kingsley, intitulé « Music to Moog by » (décidément…), dans lequel apparaissait la première version de ce titre devenu depuis un classique de la musique electro : Pop Corn.
En écoute, donc, le titre de Moog Cookbook, accompagné par son ancêtre, non pas la version des Eagles de Hotel California, qui n’aurait ici que peu d’intérêt, mais la reprise que Gershon Kingsley a faite, lui même, de son propre morceau, en 2000 pour la géniale compilation « At home with the Groovebox« , projet qui consistait à donner à des musiciens ou groupes contemporains un synthétiseur de la fameuse série Roland x0x, et de leur demander de composer, sur cet instrument, un titre de leur choix, en suivant comme unique règle de n’utiliser QUE les ressources de cet instrument, qui se définit habituellement par les mots suivants : « a band in a box » (NB, on y retrouve aussi bien les contemporains Air que le pionnier de la musique électronique (en particulier sur Moog) qu’est Jean-Jacques Perrey). On est certes entre temps passé à l’ère du numérique, mais on voit bien dans cette compilation l’aptitude de tout ce petit monde à tirer de ce type d’instrument des univers extrêmement variés. Et pour mémoire, on jettera une oreille au titre d’origine, tiré de l’album « Music to moog by » dont il faut se rappeler qu’il date de 1969.
Quelques liens enfin :
Ce qui semble bien être le site officiel du groupe Moog Cookbook.
Une petite sélection de Moog Records. Je présume que quelques unes des pochettes présentées vont vous faire immédiatement saliver !