« Tu es ma came
Plus mortelle
Que l’héroïne afghane
Plus dangereux
Que la
Blanche colombienne
Tu es ma solution
À mon doux problème »
Carla Bruni
« Protect me from what I want…
Protect me protect me »
Placebo
« Tout est poison. Rien n’est poison. La dose est le poison »
Paracelse
(oui, on a les penseurs qu’on peut…)
Comme tout le monde, je lis les journaux.
Comme tout le monde, je sais lire entre les lignes, parfois.
Bien sûr, « les choses étant ce qu’elles sont » (il faudra un jour consacrer un temps de réflexion au simple fait que cette expression me (nous ?) vienne de plus en plus en tête, tant elle semble consacrer une certaine forme de fatalisme ambiant), on ne sait plus trop si ce qu’on lit entre les lignes se trouve vraiment dans les textes (ou dans la réalité, ce qui devrait revenir au même), ou si on injecte ce qu’on a plus ou moins envie d’y lire.
Si c’est ça, c’est grave, parce que ça signifierait que j’ai envie que notre président se drogue.
Je préfère commencer par ce préambule, parce qu’on peut craindre qu’une certaine « envie de catastrophe » flotte plus ou moins au dessus de nos espoirs piétinés, et qu’il faut simultanément qu’on s’en méfie, et qu’on y réfléchisse.
Toujours est il que si je prends une semaine au hasard (par exemple, la semaine qui vient de passer), je trouve, entre autres, un dessin de Tignous dans Charlie Hebdo, qui montre le président en rage parce que Betancourt, « ingrate », ne lui a pas ramené de cocaïne de son rapt colombien (et, ou on ne comprend pas l’humour, ou ça n’est drôle que si Sarkozy est potentiellement consommateur). Mais je trouve aussi, dans le Canard Enchainé du 9 Juillet, tout un article en première page, qui ironise, lui aussi, sur la connexion mentale facile entre Betancourt, Colombie et drogue, avec en titre principal « Sarko carbure à l’héroïne colombienne ». Ca resterait simplement amusant si ne suivait pas un article, intitulé « les raisons de la colère », qui porte sur les fréquents « emportements » du chef de l’Etat que nous sommes (du moins jusque là). Bien sûr, le titre ne porte pas sur l’article lui même, mais ainsi posé juste au dessus, l’effet est intéressant; ça dit sans dire. Ca sous entend, comme une énorme partie des titres à double sens qui ont fleuri dès la libération de Bétancourt, comme si tout était là, en bourgeons, et que ça n’attendait plus qu’un rayon de soleil pour éclore. Reste qu’il faut encore comprendre le langage des fleurs, et qu’on ne sait pas qui sème.
Parce que ça tire tous azimuts et on a de multiples pièces à glisser dans le dossier d’une éventuelle addiction : une séquence du film de Karl Zéro, où celui ci paraît étrangement complice de private jokes avec Sarkozy, dont le thème tourne autour du repoudrage de nez, le fameux sketch du G8 où il semblait avoir légèrement abusé d’on ne savait trop quoi. Puis ce furent de multiples références sur les forums de discussion, toutes suspectes d’être parfaitement mensongères, toutes trop heureuses d’avoir ce bâton là à mordre, mais constituant simultanément une piste dont le comportement de notre président ne peut (et c’est peut être là le plus significatif) qu’inciter à la prendre un tout petit peu au sérieux. C’est d’ailleurs là un effet secondaire assez intéressant de la chanson de Carla Bruni « tu es ma came » : il y a quelques semaines, si on tapait dans google « Sarkozy cocaïne », on tombait sur des centaines de sites qui abordaient de front cette question. Désormais, la même recherche mènera à des milliers de sites qui parlent… de Carla Bruni, la nouvelle came officielle des narines présidentielles (« je t’aspire, je t’expire »… il faut admettre qu’on semble être entre connaisseurs, mais si la chanson est comprise, c’est bien que tout le monde est plus ou moins connaisseur, finalement). La maîtrise de l’image sur le net, on le sait, c’est comme le reste : « c’est du sérieux ». (Nicolas Princen, si tu nous lis…). Ensuite, ce n’est plus qu’une question de conviction, qui fait qu’on voit des signes partout, et le moindre geste dans lequel le président se mouche, ou se comporte comme une réincarnation de Louis de Funes (ce qui doit constituer 80% de son temps de vie) devient un témoignage de plus.
Du coup, c’est comme pour le reste de ce qu’on lit : la presse est moins l’esclave du pouvoir que la servante du marché (il se trouve juste que ces temps ci (enfin, je ne me souviens pas avoir vécu à une époque durant laquelle ça n’aurait pas été le cas), l’un coïncide fortement avec l’autre) : en période de disgrâce, les lecteurs veulent des éléments de disgrâce, la presse leur en donne plein, ça fait vendre. Sans que je sois très fasciné par le personnage, il faut reconnaître à Daniel Schneidermann d’avoir bien cerné cela dans sa chronique du 26 Mai 2008 (texte originel ici):
« Ce sont des bonbons mentholés, des friandises effervescentes en bouche. On ne les garde pas longtemps, mais quelle sensation ! Ce sont les «confidentiels» que publient certains journaux. Vous savez quoi ? Il paraît que Nicolas Sarkozy, début mai, a dit à un petit groupe de journalistes spécialistes de l’Europe, invités à l’Elysée : «Putain les mecs, il fait chaud, on se fout sur la terrasse.» Si, si ! Je l’ai lu dans la page «Téléphone rouge» du Nouvel Obs. Il paraît même qu’il a ajouté, à propos des questions sur les droits de l’homme en Tunisie: «Rien à foutre, de toutes manières ce sont que des connards qui posent des questions à la con.» Ce Sarkozy, tout de même ! Incorrigiblement grossier ! Des échos non signés, comme celui-ci, le lecteur de presse en lit une poignée par jour, et passe à autre chose. Il est très rare qu’un des protagonistes démente, ou, comme dans le cas célèbre de Sarkozy et du fameux SMS «Si tu reviens, j’annule tout», attaque le journal en justice.
Démentir, c’est pourtant ce qu’a fait, d’abord sur son blog, puis dans le journal, le spécialiste Europe de Libération, Jean Quatremer, présent lors de cette fameuse rencontre. Si Nicolas Sarkozy a en effet entraîné le petit groupe à l’extérieur, c’est en ces termes : «Je ne suis pas contre la distance présidentielle, mais là, quand même, c’est trop. Cette maladie de faire des trucs tristes. ça manque de convivialité. Et si on se mettait dehors, êtes-vous d’accord ?» Et, à propos de la Tunisie, aucun «putain, vous avez compris les connards ?» Sans doute échaudé par l’affaire du SMS, le Nouvel Observateur a aussitôt promis de rectifier.
Quelques jours plus tard, alléchant confidentiel dans Le Figaro du 17 mai. Cette fois, il est question d’un repas orageux de Ségolène Royal en compagnie des membres du Cercle des économistes. «Effarés par les assertions de l’ex-candidate à la présidentielle et par ses perpétuelles comparaisons des enjeux économiques mondiaux avec ceux de la région Poitou-Charentes, les experts, de droite comme de gauche, ont voulu la pousser dans ses retranchements. A court d’arguments, Ségolène Royal a menacé de quitter la table, arguant qu’elle n’était pas venue « repasser le bac ».» Cette Royal, tout de même ! Incorrigiblement nulle ! Seul problème : le président du Cercle des économistes, Jean-Hervé Lorenzi, dément. «Le Cercle des économistes s’indigne de la façon particulièrement inélégante et totalement inexacte dont un participant, dans Le Figaro du 17 mai 2008, a rendu compte du dîner-débat avec Ségolène Royal […]. Ces propos relèvent d’une initiative individuelle et ne traduisent en rien l’ambiance du dîner auquel ils se réfèrent. Le Cercle des économistes rejette en totalité ces propos qu’il déplore et considère comme une intention de nuire regrettable» et rappelle qu’il est «toujours respectueux des invités qu’il reçoit, dans la règle de la plus stricte confidentialité».
Le Cercle, qui regroupe trente économistes, considère que l’atteinte portée à ces principes «constitue un préjudice de nature à demander une sanction judiciaire de cette atteinte à sa réputation». Le Cercle envoie ce démenti au Figaro, qui… refuse de le publier. «Je suis ivre de rage, confie Jean-Hervé Lorenzi au site du Point, […] nous avons fait une centaine de dîners. De Sarkozy à Chirac, tout le monde est venu. Nous n’avons pas à être mêlés à cette manoeuvre politique. Tout est faux ! C’est une pure invention !» Nicolas Sarkozy est grossier, Ségolène Royal est nulle : on voit bien ce qui permet au système des «confidentiels» de perdurer. Le confidentiel va dans le sens de l’idée reçue : il est donc présumé exact. Pas besoin de vérifier, de recouper, puisque, voyons, tout le monde le sait !
Les confidentiels non signés sont vieux comme la presse. Sans doute y en a-t-il moins aujourd’hui qu’hier. Ils permettent de publier à peu près tout ce qu’on veut, dans une impunité quasi-totale. Ils sont bien pratiques. Ils permettent aussi de faire plaisir en peu de lignes, de renvoyer des ascenseurs, de tacler sans risque de représailles. Mais le système ne peut fonctionner que dans la complicité générale. Qu’un journaliste signant de son nom (comme Jean Quatremer) brise la sacro-sainte confraternité, et le système s’écroule. Les deux fois, la fausse nouvelle aura été imprimée sur support papier, et le démenti aura été apporté par des médias électroniques (sites ou blogs). A l’ère de l’internaute-roi, le hautain refus de rectifier apparaît comme un archaïsme indéfendable.
La presse traditionnelle creuse parfois sa tombe avec une grosse pelle (fausse mort de Pascal Sevran, fausses photos d’Hiroshima, dont il était question dans cette chronique la semaine dernière). Mais elle le fait aussi, jour après jour, tranquillement, avec une petite cuiller. »
Libération du 26.06.2008
Reste que rien n’empêche de voir plus loin encore, et de penser que vraie ou fausse, peu importe, l’information sert. Et elle sert tout le monde. Elle occupe (et étant donné ce qui se passe dans la réalité, c’est à dire politiquement, il en faut, des grosses diversions pour détourner l’attention). Elle donne du grain à moudre à une opposition dont on peut se satisfaire qu’elle travaille ce matériau là plutôt qu’un autre, elle fait vendre du papier aux copains, et elle contribue au « storytelling » en constituant un énième arc narratif sur le mode « Mike Delfino n’abuserait il pas un peu de la novocaïne ? » (mais méfiance : Nico ne part pas avec la même opinion plutôt positive que Mike… et méfiance (bis), les stages de rehab sont du dernier chic dans le monde de la reconnaissance médiatique, et on prépare peut être bien là un épisode futur, bien au chaud pour le moment où les « hommes politiques » auront rejoint les célébrités sur ce terrain là comme sur les autres).
Une fois de plus, on en revient à la proposition 9 de la société du spectacle : » Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux« .
Et maintenant, un petit exercice. Après avoir lu cela, regardez cette video, tournée le jour où Sarkozy a pris la présidence européenne, et faites vous une idée.
Beaucoup plus vénéneux que les bluettes de la première pouffe de France : « Le tango stupéfiant » (http://www.frmusique.ru/texts/divers/tangostupefiant.htm) dont l’interprétation par Pauline Carton notamment reste gravée pour l’éternité dans la mémoire de ceux qui en furent victimes ! Je ne sais pas si ça se trouve sur eMule : les responsables du site pourraient à juste titre souhaiter protéger leurs visiteurs des ravages de cette chanson à côté de laquelle « Sombre dimanche » (la chanson qui faisait sauter les habitants de Budapest par les fenêtres http://fr.youtube.com/watch?v=YwLXQxQcs1Y) fait figure de délicate plaisanterie.
Même pas besoin de mettre son abonnement internet en danger pour découvrir « Le tango stupéfiant » :
http://fr.youtube.com/watch?v=N12ObIhNXIk
Héhé, je découvre totalement cette sphère musicale, et l’évidence, c’est que la désuétude n’est pas là où on pourrait l’attendre.
Et je ne connaissais pas non plus cette version musicale du pouvoir qu’on attribuait aux souffrances du jeune Werther, et c’est tout à fait fascinant, cette épidémie de défénestrations !
Merci bien, ça va alimenter ma compil de musiques sidérées (ça s’enchaine assez mal avec Pink Floyd, mais je suis suffisamment amateur de télescopages apparemment absurdes pour que ça franchisse le cap des tympans sans dommages excessifs).
Et histoire d’être désagréable (mon fan club serait déçu si je ne sévissais pas), je signale que le mot addiction n’est absolument pas français et que le terme approprié est assuétude. Il est vrai que « un café et l’assuétude, s’il nous plaît », ça la « fait » moins…
Je ne connaissais même pas le mot, et je vois en effet mal ce que j’aurais pu en faire ! Et pour une fois, la simple envie de faire mon Ruquier l’a emporté sur celle d’énerver (mais à la réflexion, faire son Ruquier, voila qui peut, aussi, énerver !)
(sinon, de nos jours, la juste formulation est « ça LE fait », et non pas « ça la fait ». Mais je doute que ceci soit notifié clairement ailleurs que dans la rue ! 🙂
Il n’y a qu’un seul accent à « défenestration », mais au point où nous en sommes…
ps : merci pour l’email resté sans réponse. 🙂
Hhhmmmm… Je confesse utiliser assez peu le mot défenestration dans ma vie quotidienne. Un jour peut être !
Etudiant de droit communautaire, je me permets de raconter une petite anecdote sur le monde « sarkozycocaïne »
professeur de cette matiere, invité de longue date dans les forums européens (etc…) nous explique comment fonctionne la création, l’élaboration d’un traité, il revenait juste de Lisbonne :
» Bon c’est simple pour faire un traité, il suffit de « louer » un chateau, d’y enfermet tous les dirigeants du traité concernés, de les enfermer, de fournir, des femmes (pour certains), de la bouffe (énormément), des alcools, et de la coke pour quelques un… Enfin non, celui la se fait directement livrer par un dictateur qui aprécie le camping ! je n’ai rien dit »
Alors que penser ? Qu’un prof de fac aime jouer avec ses étudiants en s’adonant à un spectacle permanent ?
Ou alors juste un constat d’un oeil présent et parait il avisé ?