[MEDIA=79]
Ce que vous allez lire à été écrit en 1988, et revient sur une idée qui trottait déjà dans le cerveau de son auteur depuis quelques temps.
Frank Zappa, c’est ce personnage qui est pris par beaucoup pour un énergumène produisant une musique indéfinissable et néanmoins prolifique (il fut une époque où on aurait dit qu’il avait l’ambition de remplir la totalité des rayons des disquaires, contraignant ceux ci à toujours décaler vers la gauche le début de la zone « Z » de leurs rayonnages), et qui est reconnu par quelques autres comme une des pierres de voutes de l’histoire de la musique contemporaine, pierre d’autant plus nécessaire qu’elle se trouve à la croisée de plusieurs arcs majeurs, qui pourraient aller de la musique de cirque au rock en passant par toutes les sous formes du jazz ou la musique sérielle est dodécaphonique contemporaine.
Bref, une sorte de potache intello, capable de stimuler la curiosité de tous les publics, et de les décevoir presqu’immédiatement. Un artiste quoi, qui n’en donne jamais pour son argent parce qu’il joue sur des terrains toujours inattendus.
En 1988, il publie son autobiographie « Zappa par Zappa ». Le livre est très ludique, très graphique aussi, héritier des expérimentations freak des publications des années 60/70. Mais il est aussi (au dela de conneries monumentales), un terreau d’idées visionnaires, dont… l’usage que fera le Net de la musique.
Frank Zappa, inventeur de la licence globale ? L’idée est pour le moins intéressante quand on lit par ailleurs dans le même livre, les récits des enregistrements de ses oeuvres par des orchestres symphoniques dont il connait le coût. Bien sûr, un disque de Goldman, de Diam’s, de Bruel ou des BB Brunes (Haha, voila en quelle compagnie on les retrouve, ceux là, au moment même où leur soit disant âme est marchandisée sur un plateau présenté par Olivier Min; Hey, Manoeuvre, c’est donc ça le rock’n roll actuel ?!!) doit coûter moins cher à produire, ça doit utiliser le sampling à tour de bras (pour ceux qui ne saisissent pas, il faut lire le reste du livre de Zappa, qui explique bien le principe sur la base de son propre usage du Synclavier, et pour ceux qui n’auraient vraiment pas saisi, il leur suffira de regarder Goldman plaquer ses riffs de gratte… sur un clavier dans le clip de la chanson des restos du coeur, on saisira combien ça coûte de produire ce genre de choses), et pourtant tout ce ptit monde se solidarise autour des projets de flicage du net, pour assurer la survie de ces auteurs, qui semblent ne pas avoir encore suffisamment gagné (mais c’est bien connu que, si on laisse faire les gens, ils ont l’impression de ne jamais en gagner assez). Zappa, lui, dès 88 (et dieu sait qu’à cette époque, on n’avait encore jamais entendu parler du net !), saisissait à quel point le numérique allait bouleverser la diffusion de la musique, et cernait bien en quoi les maisons de disque allaient perdre de leur influence… à moins bien sûr qu’elles n’installent aux bons endroits les bonnes personnes pour protéger leurs intérêts dont seule notre actuelle ministre de la culture (Hey !! franchement, si la culture demeure quelque chose qui est partagée par tous, ça fait pas un peu rire, ce titre, pour une personne qui a de tels projets ?) peut tenter de nous faire gober qu’il s’agit d’intérêts vraiment collectifs (parce que bon, sincèrement, si Hallyday arrêtait de sortir des disques, ça provoquerait quoi ? Si jamais certains se taillaient les veines à cause de ça, faudrait y voir une très grande perte ?). Mais bon, personne n’en est surpris, et il est probable que la culture véritable soit ce qu’on est prêt à sacrifier pour bénéficier de cette fameuse augmentation de pouvoir d’achat, et ce que deviendra l’éducation nationale le montrera certainement, dans l’indifférence et la hausse des taux de satisfaction généralisées.
Voila donc ce texte, que vous pourrez retrouver dans l’avant dernier chapître de ce livre « Zappa par Zappa », qui vous ravira, vous verrez.
« Le commerce classique des disques phonographiques tel qu’il existe aujourd’hui relève d’une circuit aberrant qui consiste pour l’essentiel à déplacer des pièces de vinyle, enveloppées dans des pochettes en carton, d’un endroit à un autre.
Le volume de ces objets est très important, et leur expédition est coûteuse. Le procédé de fabrication est complexe et archaïque. Les contrôles-qualité de pressage des disques sont des opérations vaines. Les clients mécontents retournent régulièrement des exemplaires rayés inutilisables.
La nouvelle technologie numérique est de nature à régler le problème des rayures et à offrir aux auditeurs une qualités d’écoute supérieure sous forme de compact-discs [CD]. Plus petits, ils permettent aussi de stocker plus de musique et réduisent en toute hypothèse les coûts d’expédition […], mais se révèlent plus chers à l’achat ainsi qu’à la fabrication. Pour les écouter, le consommateur devra acquérir un équipement numérique à la place de sa vieille hi-fi (de l’ordre de 700 dollars).
La majeure partie des efforts promotionnels consentis par les producteurs de disques porte, aujourd’hui, sur les NOUVEAUTES, les derniers nés, les plus beaux, que ces renifleurs de cocaïne épilés ont décidé d’infliger au public cette semaine-là.
Bien souvent, de telles « décisions d’esthètes » finissent sous forme de montagnes de vinyle/pochettes invendables et sont retournés direction la décharge ou le recyclage. Des erreurs qui coûtent cher.
Ne parlons pas, pour le moment, des méthodes classiques de commercialisation, et considérons plutôt tout ce gachis d’articles de fond de catalogue, soustrait du marché par suite du manque de place dans les bacs des disquaires et de l’intarissable obsession des représentants des maisons de disques, rivés sur leurs quotas : remplir le petit espace réservé aux nouveautés de la semaine, et lui seul.Tous les grands éditeurs ont leurs caves bourrées d’enregistrements éminents d’artistes majeurs (et de droits inaliénables qui vont avec) dans tous les styles de musiques imaginables, susceptibles de procurer de l’agrément au public, pour peu que ces disques soient distribués sous une forme commode.
LES CONSOMMATEURS DE MUSIQUE CONSOMMENT DE LA MUSIQUE ET PAS SPECIALEMENT DES ARTICLES EN VINYLE DANS DES POCHETTES EN CARTON.
Notre proposition : tirer avantage des aspects positifs d’une tendance négative qui frappe aujourd’hui l’industrie du disque : le piratage domestique sur cassettes de la production sur vinyle.
Prenons conscience, avant tout, que les enregistrements de cassettes à partir d’albums ne sont pas nécessairement motivés par la « radinerie » des consommateurs. Si l’on enregistre une cassette à partir d’un disque, la copie rendra nécessairement un son de meilleure qualité que celle d’une cassette commerciale dupliquée à haute vitesse, produite à bon droit par l’éditeur.Nous proposons d’acheter les droits de reproduction numérique des MEILLEURES OEUVRES de fond de catalogue que les maisons de disques peinent à écouler, de les centraliser sur un serveur, puis de les connecter par le téléphone ou le câble directement au magnétophone de l’utilisateur. Lequel utilisateur aurait le choix entre un transfert direct numérique sur F-1 (le DAT de Sony), sur Beta Hi-Fi, ou sur un autre support analogique ordinaire (avec installation d’un convertisseur numérique/analogique dans le téléphone […], opération rentable, puisque la puce ne coûte qu’une douzaine de dollars).
Le décompte du paiement des royalties, la facturation à l’acheteur, etc., seraient automatiquement assurées par la gestion informatisée du système.
Le client s’abonne à une famille thématique ou davantage et se voit facturé mensuellement, QUEL QUE SOIT LE VOLUME DE MUSIQUE QU’IL SOUHAITE ENREGISTRER.
Proposer un tel volume de catalogue à prix réduit ne peut que faire chuter la tendance à la copie et au stockage, puisque l’offre est permanente, de jour comme de nuit.
L’envoi des catalogues mensuels actualisés réduirait d’autant la consultation en ligne du serveur. Tous les services seraient accessibles par téléphone, même la réception locale passe par le cable télé.
Avantage : dans la mesure où ces chaines cablées (au nombre d’environ soixante-dix à L.A.)ne multiplient guère les happenings, un affichage du graphisme de la pochette, des textes des chansons, des notes techniques, etc., serait couplé au téléchargement. Ce qui contribuerait à redonner aux albums, sous des dehors électroniques, leur statut initial d' »albums » tels qu’ils sont aujourd’hui proposés dans les différents points de vente, tant il est vrai que bon nombre de consommateurs aiment carresser les pochettes, objets de fétichisation, quand ils écoutent de la musique.
Dès lors, le potentiel tactile fétichiste [PTF] est préservé, réduit du coût de distribution du cartonnage.
Au moment où vous lisez ces lignes, la quasi totalité de l’équipement requis est disponible dans les magasins; il ne vous reste plus qu’à brancher le tout et mettre ainsi fin au marché discographique sous la forme que nous lui connaissons aujourd’hui. »« Zappa par Zappa » – Frank Zappa; 1989 – extrait du chapître « De l’échec« .
Je suis fan 🙂 J’ai toujours su que Zappa était un être à part et profondément visionaire, en voilà une magnifique preuve !
Ah ben je savais pas que tu étais fan !
Quoique les amateurs de Prince ne peuvent être insensibles aux qualités des musicos de Zappa; sans être le même univers, c’est la même exigence et la même aptitude à maîtriser de bout en bout la création.
En tous cas, je trouve qu’il est bien oublié, qu’on en parle peu alors qu’à des tonnes de points de vue, il était en avance (pas sur tout, cependant, la lecture de son livre le montre bien, aussi)