Billet rédigé devant le troisième débat entre les prétendants à l’investiture socialiste, alors que trainait, sur la table basse, le volume 30 des Oeuvres de Lénine (on a les table books qu’on peut !).
Aussi étrange que ça puisse paraître, Lénine, auquel on prête bon nombre de prophéties, avait prévu qu’un jour, Ségolène Royal briguerait l’investiture socialiste pour l’élection présidentielle.
Oui oui.
On trouve cette prophétie dans le n° 249, daté du 6 Novembre 1919, du journal la Pravda. L’article est intitulé Le Pouvoir des soviets et la condition de la femme. En soi, c’est déjà tout un programme. Bon, comme souvent, on commence par un constat, qu’on ne pourrait plus effectuer tel quel aujourd’hui, les choses ayant un peu évolué entre temps, une égalité de principe ayant été instaurée entre hommes et femmes.
« En fait, les femmes, la moitié du genre humain, n’ont reçu nulle part, dans aucune république bourgeoise même la plus avancée, l’égalité juridique avec les hommes, nulle part elles n’ont été affranchies de la tutelle et du joug des hommes ».
Bon, l’égalité de principe arrange tout le monde, sauf les femmes elles mêmes. On se paie de mots, on fait de belles déclarations, la main sur le cœur. Mais d’égalité de fait, on n’y est pas encore tout à fait, ni face aux salaires, ni face à la retraite, ni même en terme de valorisation.
Allez, on peut quand même décerner à Mme Royal la palme du discours en surventilation artificielle, qui résonne d’autant mieux qu’il sonne comme sonnent les cloches : une grosse masse presque inerte qui vibre autour d’un grand vide. Grands mots, concepts XXL, professions de foi et adhésion aux valeurs évidentes. Tout y est.
C’est exactement ce que discerne Lénine dans cet article. Et on ne peut s’empêcher de penser qu’il imagine déjà, en 1919, le genre de discours qu’il nous faut,, aujourd’hui, supporter :
« La démocratie bourgeoise est la démocratie des phrases pompeuses, des mots solennels, des promesses grandiloquentes, des belles devises de liberté et d’égalité. Toutes ces phrases dissimulent l’asservissement et l’inégalité de la femme, l’asservissement et l’inégalité des travailleurs et des exploités. »
Mais il est probable que Lénine ait eu en tête, au-delà de Ségolène Royal, l’ensemble des candidats à la primaire, qui se sont eux-mêmes désignés, dans le débat de ce 5 Octobre, comme « notables » quand il poursuivait :
« La démocratie soviétique ou socialiste fait litière des phrases pompeuses mais mensongères ; elle déclare une guerre implacable à l’hypocrisie des « démocrates », des grands propriétaires fonciers, des capitalistes, des paysans repus qui s’engraissent en vendant aux prix du marché noir leurs excédents de blé aux ouvriers affamés.
A bas cet ignoble mensonge ! Il ne peut y avoir, il n’y a et il n’y aura pas d’« égalité » entre les opprimés et les oppresseurs, les exploités et les exploiteurs. Il ne peut y avoir, il n’y a et il n’y aura pas de véritable « liberté » tant que la femme ne se sera pas libérée des privilèges que la loi accorde à l’homme, tant que l’ouvrier ne se sera pas libéré du joug du capital, tant que les paysans travailleurs ne se seront pas libérés du joug du capitaliste, du propriétaire foncier et du gros marchand. »
Note du moine copiste : Certes, on dirait un peu un portrait de la brochette de candidats socialistes à l’investiture ; mais pour être honnête, on remarquera aussi qu’à droite, ce sont des personnages bien pires encore qui constituent les têtes de gondole de la proposition électorale. Comment, pour autant, résister aux promesses idéalistes de candidats en général, et d’une candidate en particulier ? En revenant, tout simplement, au réel :
« Nous disons aux ouvriers et aux paysans : arrachez le masque à ces menteurs, ouvrez les yeux à ces aveugles. Demandez-leur :
– L’égalité de quel sexe avec quel autre sexe ?
– De quelle nation avec quelle autre nation ?
– De quelle classe avec quelle autre classe ? [ Note du moine copiste : écoutons les candidats à l’investiture PS s’accorder sur leur principal point commun : ils sont tous des notables]
– La liberté par rapport à quel joug ou au joug de quelle classe ? La liberté pour quelle classe ?
Qui parle de politique, de démocratie, de liberté, d’égalité, de socialisme, sans soulever ces questions, sans les mettre au premier plan, sans lutter contre les tentatives de les cacher, les dissimuler, les estomper, est le pire ennemi des travailleurs, un loup déguisé en mouton, le plus féroce adversaire des ouvriers et des paysans, le valet des grands propriétaires fonciers, des tsars, des capitalistes [note du moine copiste : en même temps, le tri est désormais complexe, ce midi, un brave type affirmait sur je ne sais plus quelle chaine de télé qu’il ne voterait pas pour les primaires, parce qu’il ne voulait pas être représenté par un bourgeois (pourquoi pas), avant de préciser que lui-même n’avait que 400€ de revenus mensuels, et qu’il avait perdu pas mal d’argent ces derniers jours, puisqu’il était détenteurs… d’actions Dexia…]
(…) A bas ce masque ! A bas les menteurs qui parlent de liberté et d’égalité pour tous, alors qu’il y a encore un sexe opprimé, des classes qui oppriment, alors qu’existe encore la propriété privée du capital et des actions, alors qu’il y a encore des repus qui, par leurs excédents de blé, asservissent les pauvres. Non pas la liberté pour tous, ni l’égalité pour tous, mais la lutte contre les oppresseurs et les exploiteurs, la suppression de toute possibilité d’opprimer et d’exploiter. Tel est notre mot d’ordre !
(…) Tel est notre cri de guerre, telle est notre vérité prolétarienne, la vérité de la lutte contre le capital, vérité que nous jetons à la face du monde capitaliste avec ses phrases doucereuses, hypocrites, ronflantes sur la liberté et l’égalité en général, sur la liberté et l’égalité pour tous ».
V. Lénine, Oeuvres, vol. 30; p. 116 sq, editions sociales, Paris, 1964
Encore une fois, il serait bon que la gauche, de manière générale, revienne au matérialisme qui est censé l’inspirer et oriente son regard davantage vers ce qui est susceptible d’initier un mouvement, plutôt que vers les objectifs idéaux, donc hors de portée, qu’on brandit pour sembler plus pur. A regarder les autres propositions de gauche, à écouter les conversations dans les couloirs des établissements, durant les heures de vie syndicale, le PS n’est pas vraiment le seul à devoir échapper aux tentacules des grandes idées et des motifs célestes : il y a peu, un éminent militant CGT, dans mon entourage, clamait qu’il fallait réclamer une rémunération identique pour certifiés et agrégés, en prenant comme base le revenu de ces derniers évidemment ; autant dire que de tels projets ne coûtent rien puisqu’on est certain que ça n’arrivera pas, et qu’ils sont même contre productifs puisqu’ils incitent les naïfs à s’épuiser dans des combats qui seront nécessairement déçus (accessoirement, cela consisterait à valider pour de bon la capitalisation du savoir (parce que, finalement, l’agrégation, qu’est-ce d’autre ?). Il est peut être temps qu’à gauche, et pas seulement au PS, on revienne vers la construction de situations dans lesquelles se trouveront les véritables ferments d’un changement réel, et qu’on sorte de l’art de faire en sorte que les conditions actuelles du bien être des uns et du mal être des autres demeure juste assez supportable pour qu’on persiste à s’en satisfaire, tout en faisant mine d’en être indigné.
Lénine a aussi écrit : « Chaque cuisinière doit apprendre à diriger l’Etat. »
Maïté présidente !