Indécision de Justice

In "CE QUI SE PASSE", 25 FPS, CHOSES VUES, MIND STORM, PLATINES, POP MUSIC, PROPAGANDA, SCREENS
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Alors comme ça, on avait cru que le groupe Justice était de gauche.

Alors comme ça on est tout surpris de les voir, dans leur dernier clip, coller leur logo sur des blousons portés par de jeunes casseurs, majoritairement noirs, et unanimement, comme on dit, issus de l’immigration.

C’est étonnant de s’en étonner. Pour moi, l’affaire était pliée : tout ce qui fait du buzz depuis pas mal de temps en matière de musique parisienne me semble relever de la droite. Ce n’est pas tant que la musique soit elle même politisée (tout ce petit monde évite soigneusement la question), mais plutôt que le public semble être, lui, un certain public. J’avais déjà opposé les idéologies des coupes de cheveux (et je persiste : la coupe à la tondeuse sauvage, la nuque et les côtés dégradés à partir du sabot n° zéro, me semblent relever d’une autre attitude face à la vie, et d’autres idées que les longues mèches de la Sarkozie juvénile), et  on pourrait construire à peu près le même propos à partir des jeans slims, qui donnent tout de même à la plupart de ceux qui les portent une allure suscitant l’envie de leur coller des baffes.

Des baffes, il en vole dans le clip de Justice. Des baffes, des coups de poings, des coups de matraque, des coups de pieds ; comme s’il en pleuvait. Le tout dans un réalisme confondant, qui pousse à se demander comment le clip a été tourné, dans quelles conditions, avec quelles limites (vous verrez plus loin pourquoi je pose la question). On peut s’offusquer sur pas mal de sujets autour de ce petit objet : pourquoi mettre ainsi la violence en avant, apparemment gratuitement ? Pourquoi stigmatiser ainsi la population « de couleur », en leur donnant le premier rôle dans ce riot urbain ?

Mais à lire les articles écrits sur la question, je ne peux pas m’empêcher de me demander comment se comportent ceux qui les ont écrits : sont ils du genre à fermer les yeux sur ce qui se passe autour d’eux dans le métro, dans le bus, dans la rue même, voire en bas de chez eux ? Ne se sont-ils jamais retrouvés dans une de ces situations où subitement l’ambiance dégénère et le trajet quotidien en bus se transforme, sans prévenir, en bagarre générale ? Il y a en effet dans le clip, au delà des excès dûs au fait que l’objet se veut spectaculaire, au delà de son aspect faussement documentaire, des coups d’oeil à des expériences du quotidien au cours desquelles on se répète en leitmotiv « jusque là, tout va bien ». Le trajet en bus est symptomatique de cela : c’est un lieu qui possède ses frontières géographiques, ses règles dans la manière de se placer, de s’asseoir ou de rester debout, de se déplacer, ou pas, de trouver sa place ou de se faire petit dans l’angle aléatoire du soufflet, dans les trajectoires que sont censés respecter les regards. Tous ceux qui prennent le bus le savent, on ne peut pas tout se permettre dans un tel lieu, et les interdits ne se limitent pas aux lois, ni même à la charte de l’aimable voyageur convivialement placardée par la RATP. Un regard déplacé, un mouvement d’exaspération devant la musique écoutée speaker on, sonorisant le bus entier avec le dernier Vitaa, ou le tout nouveau Bouba, et le navire commun risque de ne pas atteindre sa destination sans avoir auparavant heurté un gros iceberg dérivant négligemment dans la Mer du Vivre ensemble, un gros cheveux dans la soupe sociale. Et le clip dresse assez bien le tableau de cette frange de la jeunesse qui par l’expression brutale de sa force, est capable d’imposer sa loi dans l’espace public, avec un aplomb qui ne connait que peu d’obstacles.

Evidemment, en écrivant ça, on marche sur des oeufs; surtout si on rappelle ce que je pointais plus haut : les personnages du clips sont quand même très souvent noirs, et quand ils ne le sont pas, on devine qu’ils viennent, tout de même, du sud de la Méditerranée. Alors, évidemment, pour tout ce p’tit monde qui a cru qu’épingler une petite main affirmant « touche pas à mon pote » au col de sa veste pouvait tenir lieu de pensée, il y a motif à scandale, puisqu’on stigmatise ceux-là même qu’il ne fautpas toucher. Mais après tout, on a quand même le droit de se demander où est le scandale : dans le fait de représenter cette horde sauvage sous la forme de jeunes de couleur ? Ou bien dans l’observation que, dans les faits, quand de tels groupes effectuent ce genre de choses, il s’agit effectivement souvent de jeunes de couleur ? J’admire la manière dont les articles passent cela sous silence, oubliant qu’au delà de la manière dont le clip joue commercialement (et de manière irresponsable, on y reviendra) avec la réalité, il y a néanmoins une réalité avec laquelle le clip joue, et s’il fonctionne, c’est bel et bien parce qu’il fait référence à une certaine forme de représentation fictive de la banlieue, telle qu’on le croise quotidiennement à la télévision, telle que TF1 l’a créée, dès les années 80, dans ses JT, et telle que la TNT la multiplie, soir après soir, comme des petits pains bien juteux, à longueur de reportages anxiogènes. Le clip de Justice  tisse la même toile, en faisant mine de creuser plus profondément le sillon, en nous plongeant au sein même de ces fameux jeunes dont on est censé avoir si peur. Mais ces fictions ne sont pas créées de toute pièce. Car si, , quand on prend le bus quotidiennement, la plupart du temps en apparence, ça se passe bien, et si les incidents ne sont pas graves, s’ils ne se multiplient pas, tous les usagers le savent bien, c’est qu’en fait le plus souvent on préfère laisser faire : tel ado a décidé de devenir le DJ du bus ? Ça se passe bien tant qu’on ne dit rien. Mais cette belle cohabitation prendra fin dès l’instant où l’un des passagers interviendra pour faire valoir sa volonté d’écouter, lui, sa propre musique, avec son propre casque. En d’autres termes, ça se passe bien tant que tout le monde a la faiblesse de faire comme si de rien n’était. Dans le petit jeu des regards que je décrivais plus haut, je n’ai pas envie d’écrire que les jeunes banlieusards sont plus doués que les ptits blancs, décrits comme victimes idéales dans le clip. J’ai plutôt envie d’écrire que les ptits blancs en question y sont singulièrement mauvais, non pas parce qu’ils dédaignent ce genre de rapports, mais bien parce qu’ils ne les osent pas, qu’ils en ont peur, et que ça se sent. Le bien pensant est d’ailleurs coincé dans ce genre de petit jeu : s’il accepte le défi du regard, il sait qu’il va à l’affrontement et adopte une attitude qu’il ne cautionne pas. Mais la seule manière de l’éviter est de laisser l’autre gagner. Et il en va du jeu des regards comme des autres formes de prédation dont l’espace public est le théâtre. Et je le répète : il ne s’agit pas de faire peur à tout le monde en disant que ces relations sont systématiques, qu’on ne peut pas traverser un des ces quartiers (qui n’ont de quartier que le nom, et qui n’ont pourtant pas d’autre nom que quartier, où qu’ils se trouvent) sans être agressé, ne serait ce que symboliquement. Ce serait faux, et heureusement. Mais on ne peut pas non plus nier le fait que quotidiennement, les déplacements d’un grand nombre de personnes se font dans une tension qui est due au fait que, précisément, nul ne sait ce qui va bien pouvoir se passer au cours du trajet. Sans parler de terrorisme, il y a dans de nombreux endroits, sur des lignes identifiées, un « inquiétisme » qui est à l’oeuvre, et dont les acteurs sont d’autant plus conscients de l’effet qu’ils provoquent, qu’ils le constatent immédiatement, dès l’instant où on baisse les yeux sur leur passage, et où on les ferme sur leurs incivilité (et je rajouterais qu’on n’est pas au bout de nos peines, car ce sont aujourd’hui des collégiens qui sont capables (en groupe, certes) d’exercer ce type de pouvoir sur des troupeaux d’adultes dont ils perçoivent bien, dès lors, à quel point ils sont aisés à maîtriser.

Dès lors, le clip de Justice est effrayant dans sa violence, nauséabond dans ce qu’il soulève, mais on ne va pas aller plus loin dans la mauvaise foi : ils nous fout aussi la honte, car finalement, ce qu’il montre, c’est une bande d’adolescents pour qui la ville est un terrain de jeu sans norme, sans loi, dans lequel ils ne rencontrent aucun obstacle. On pourrait psychologiser pendant des heures, leur trouver des tonnes d’excuses valables. Par exemple, on pourrait imaginer que l’un d’entre eux soit un élève ayant échoué au bac l’année précédente, et que la baisse des effectifs des profs, associée aux petits arrangement avec la carte scolaire, aurait contraint à ne pas redoubler, car on lui aurait proposé de le faire à des kilomètres de chez lui (par exemple…). Mais peu importe : avant de tomber à bras raccourcis sur le clip lui même, on peut au moins essayer d’être honnête sur les raisons pour lesquelles il nous dérange assez profondément.

Maintenant, on peut aussi se dire que derrière ce joli coup publicitaire, il y a quelque chose de profondément malsain, qui relève, tout de même, d’un comportement politique pour le moins questionnant. Tout d’abord, un peu d’infos, parce que tous les sites qui commentent la chose n’informent pas beaucoup sur ce point. Le réalisateur du clip s’appelle Romain Gavras. Au delà du fait qu’il est le descendant du célèbre Costa, ce qui intéresse davantage ici, c’est qu’il est membre fondateur de la société de production Kourtrajmé, qui est capable du meilleur comme du pire. Le meilleur, c’est par exemple les 365 jours à Clichy-Montfermeil, un docu plongeant dans cette ville, et parvenant à en dresser un tableau nuancé sans être mièvre, un petit miracle de conscience et de clairvoyance. Le pire, c’est un clip plus ancien que celui qui semble tant émouvoir tout le monde, intitulé Bâtards de Barbares, qui ressemble étonnamment à celui de Justice, mais moins arty, moins séducteur, tout en allant beaucoup, beaucoup plus loin dans les propos et les images, sans que cela ait semblé bouleverser qui que ce soit.

Ce qui caractérise alors la boite de prod, dans cette diversité, c’est l’absence de ligne éditoriale claire (finalement, tout en se plaçant sur le terrain de la banlieue, en semblant revendiquer d’en promouvoir l’image, elle semble tout aussi bien capable d’entretenir les pires représentations qu’on puisse imaginer à son sujet (on me dira que ça peut être une forme d’honnêteté, on se bornera, moins naïvement, à penser qu’elle y trouve son compte en terme de buzz, et donc de rendement)). En d’autres termes, il n’y a pas de positionnement politique. Ça peut semble sidérant, de lancer un tel clip sur le marché, et de le déconnecter de toute position politique, mais c’est l’attitude revendiquée, tant par le groupe que par son entourage. Ainsi, Thomas Bangalter se contente, en terme de discours, de ça : « On ne dit rien sur le clip. On lance le truc et on voit où ça retombe. » Service minimum, même pas syndical. En même temps, il faut reconnaître que les entreprises de destruction assurent rarement un quelconque service après vente.

Et on ne peut pas, non plus, se contenter d’être séduit par l’allure esthétique du clip, précisément parce qu’il est, sur ce point absolument réussi, au sens où il est profondément séduisant. Mais cette séduction fonctionne un peu comme celle d’un bon vieux tube de Céline Dion : ça marche parce que ça tricote des ficelles auxquelles nous sommes déjà très bien habitués. Et Barbra Streisand est à Céline Dion ce que Kubrick est à Gavras et Chapiron, sur ce clip précisément. Parce que la décente en ville, ça nous fait quand même sacrément penser à Orange mécanique, avec les mêmes attitudes de bande, la même absence de limites dans la violence. Ca convoque aussi, en arrière plan, un certain Patrick Bateman, qui lui aussi avait, sur les trottoirs nocturnes, ses habitudes. Mais Orange mécanique et American Psycho avaient au moins la pertinence d’extraire la violence apparente, là où on la voit déjà, pour la remettre en place, là où elle se trouve réellement, c’est à dire du côté de ceux qui, de toute façon, s’en sortiront car ils sont du côté des forces officielles. Kourtrajmé semble ne pas avoir compris que c’est là la véritable subversion qu’on aurait été en droit d’attendre d’eux, puisque de fait, ils ne viennent pas de la banlieue et ne peuvent prétendre parler en son nom, et encore moins pour tenir ce genre de propos. De même, on pourrait voir dans le cadrage dans le dos des personnages un hommage à peine voilé à Elephant, de Gus Van Sant, qui reprenait lui-même, ici, la vue à la troisième personne des jeux vidéo. Mais là où Elephant transformait ce cadrage en un magnifique geste de pur cinéma (le travelling en plan séquence à travers le collège, s’achevant sur un contournement du personnage, offrant son visage en lui est place de la vue imprenable qu’on avait, jusque là, sur sa nuque), Stress ne propose rien, si ce n’est une objectivation galopante de ses personnages, jusqu’à les enfermer dans une BX minable, les séparant de l’équipe de tournage, qui les devance carrément sur le périph’, marquant sa distance dans la mise en scène, qui en dit long, des doigts d’honneur qui lui sont adressés. Même les insultes des banlieues sont, à ce stade, récupérées par cette bourgeoisie qui aime s’encanailler, mais demeure prudemment observatrice et distante au moment de se mouiller.

Réduit à son coeur, (oublions la couleur des personnages), il s’agit purement d’un jeu de destruction. Or on sait que détruire, c’est une des formes que peut prendre le pouvoir, particulièrement quand il s’agit d’un pouvoir qui devient de plus en plus symbolique. Bon, reprenons au début. J’ai pas trop argumenté le fait que je classais le groupe à droite. Je ne vais d’ailleurs pas tellement l’argumenter. Disons que ça relève de ce que Cayce Pollard appellerait « l’identification des schémas ». Ça me semble cohérent. Public, fringues, et maintenant clip, tout ça me semble branchouille à souhait, décomplexé juste comme il faut (ils ne parlent que de ça dans leurs interviews : ils sont musicalement décomplexés). Bref, de droite quoi. Mais disons ça autrement : il ne s’agit pas tant d’être de droite, que d’être tout simplement du côté de l’aisance, et du pouvoir, bref, de la bourgeoisie. certes, toute la bourgeoisie ne prend pas cette forme agressive et violente, la plupart du temps, elle est, à l’image du groupe Air par exemple, simplement indifférente. Mais on peut aussi considérer que cette violence est, maintenant, une part même d’une certaine bourgeoisie, à laquelle appartiennent, et contribuent Justice et Kourtrajme. Je m’explique.

En connectant les quelques concepts que j’avais à l’esprit, destruction, succès, buzz, irresponsabilité, décomplexion, anomie, indifférence, acculturation, je me suis souvenu d’un passage d’un livre de Denis Duclos, intitulé « Société-monde : Le temps des ruptures« . Dans un des premiers chapitres, l’auteur montre comment peu à peu une nouvelle bourgeoisie a été mise en place par les plus hauts dirigeants du régime capitaliste. On appelera cette nouvelle classe hyperbourgeoisie. Je passe rapidement sur la manière dont celle ci se distingue de la précédente, on retiendra que son rôle est précisément d’encadrer et humilier l’ancienne bourgeoisie, en la précarisant, en réduisant son pouvoir d’achat (à lire Duclos, on comprend mieux, d’ailleurs, pourquoi le pouvoir d’achat fut la carotte qu’on s’empressa de retirer du champ de vision de l’âne, dès que celui ci avait fait là où on lui avait dit de faire). Cette hyperbourgeoisie a des caractéristiques spécifiques, incompatibles avec celle de la bourgeoisie ancienne. Et on retrouve précisément dans la description qui en est faite des critères qui transforment le clip de Justice en véritable symptôme :

« L’hyperbourgeoisie est, en ce sens, anticultivée. La valeur suprême étant l’action sur des capitaux capables de changer la richesse de continents entiers, l’hyperclasse fonctionnelle récuse tout ce qui freine le changement des valeurs attribuées par les humains à leurs objets. Elle est iconoclaste, car la finalité de l’argent est l’évaporation boursière des objets, manifestation ultime de la capacité de ruiner autrui. L’idéal secret du joueur invétéré (flamber le bien, surtout celui des autres, en une dette incomblable) est de l’emporter sur tous les biens, victoire dont la preuve définitive n’est pas l’entassement d’oeuvres achetées chez Sotheby’s, mais leur virtualisation dans l’échange, et enfin leur destruction spéculative.
Individuellement, le héros du jeu de la fortune doit manifester une intelligence hors pair, sur fond de haute culture (MM. georges Soros, Vincent Bolloré, etc.). Mais comme collectif, l’hyperbourgeoisie s’arc-boute sur sa haine des « intellectuels hautains » (qui la forcent à réfléchir sur sa destructivité, là où elle ne veut que flamber) et sur son refus des « dépenses excessives » de l’UNESCO ou de la commission européenne (qui la forcent à se socialiser, là où elle ne veut que s’isoler).
Elle cultive une fascination sauvage des formes ostentatoires de l’unique valeur de domination : avoir plus grand que le voisin, plus visible, mieux protégé, infiniment plus coûteux, etc. Loin d’être l’apanage d’un Citizen Kane des années trente, la fausse villa romaine, les jeux de piscines géantes et les immenses gazons, la symphonie de véhicules multicolores affichent une hyperbourgeoisie se reconnaissant comme telle d’un bout à l’autre du monde. L’écœurant mauvais goût de l’accumulateur s’est imposé en même temps que la rage ludique d’abolir les précieux acquis de l’otium, cette liberté politique de toute classe dirigeante civilisée qui la cultive.
La classe moyenne, socialisée par l’université, se retrouve dès lors prise en étau entre deux incultures s’affirmant comme une même « nouvelle culture mondiale ». Non seulement il est demandé aux infra-classes de choisir leurs valeurs (casquettes, T-shirts, chaussures, prénoms de héros de feuilletons) chez les « vainqueurs du monde », pour mieux narguer leurs propres élites locales, mais ces dernières sont humiliées par « en haut », en voyant puissants et opulents adopter des idéaux vides de toute expérience autre qu’une circulation d’ostentation.
« 

Il ne s’agit pas de dire que le duo auquel on s’attaque est l’instigateur d’un tel phénomène. Mais par contre, on peut voir le clip qu’ils proposent comme le produit du mécanisme décrit par Duclos : On y met en oeuvre la destruction qui caractérise notre mode d’existence économique, et on met cette destruction sur le dos de ceux dont l’ancienne bourgeoisie a le plus peur (en partie parce qu’on ne peut pas avoir consciemment peur de ce à quoi on rêve d’accéder (et tant que cette peur sera niée, tant que subsistera la fascination, toute révolution sera de fait impossible)), alors même que, si on reprend le vocabulaire utilisé par Duclos dans ce passage, on note à quel point les incendiaires et les destructeurs ne sont pas, et de loin, ceux qu’on croit. Ici encore, dans la remise à outils, il semblerait qu’on ait confondu le karcher avec le lance-flammes.

Dès lors, Justice parait comme déjà doublement symptomatique de son temps : il détruit par jeu (et pas du tout de manière situationniste comme a pu le faire, en sonttemps le mouvement punk, il ne faut pas confondre le nihilisme actif avec la simple anomie molle et contente d’elle même).

Histoire de finir en bouclant l’ensemble, et en plaquant sur l’entreprise une politique qu’elle n’assume manifestement pas, jetons un coup d’oeil à l’interview sidérante de connerie qui fut commise par un autre membre du groupe Kourtrajmé, Kim Chapiron, auteur du film Sheitan (que Vincent Cassel trouve suffisamment intéressant pour y accepter un rôle… disons… hmmm… à sa mesure…), film auquel fait référence le mignon clip « Bâtards de Barbares« , puisque le titre est tiré de la BO du film (vous suivez ?).

Alors, quelle est la ligne directrice de Kim Chapiron, jeune réalisateur devant l’éternel ? Laissons le répondre lui même :

« Le cinéma en France est un « Art-mou », les réalisateurs, acteurs producteurs n’osent pas. « C’est pas commercial, on va se taper la honte » etc… J’ai eu la chance de taffer avec Vincent Cassel qui n’a pas hésité à jouer ce personnage super bizarre de Joseph et qui m’a fait confiance en tant que producteur pour faire des scènes comme le plateau de charcuterie ou la branlette du chien. Ces scènes semblent maintenant avec le recul être les scènes qui ont le plus marqué les gens. »

Et un peu plus haut, il nous donne ce morceau d’anthologie, qui pourrait sembler relever du surnaturel s’il n’était pas en fait dicté par un déterminisme aussi bête que méchant :

« Tout est entièrement tiré de faits réels vécu ou rapporté par des proches. La branlette du pitt, c’est moi, j’adore la sensibilité canine… (Rires)
Sheitan est un mélange de scènes très réalistes et de fantasmes. Ce que je trouve génial avec ce métier c’est que
tout est possible, tu peux faire des choses que jamais tu n’aurais eu l’occasion de faire dans la vraie vie. Un vrai métier de schyzo ! » (allez, je donne la source, sinon vous n’allez pas me croire)

 

Maintenant, si on n’avait pas deviné, nous savons ce qui se cachait derrière le slogan « Tout devient possible ». Branler un pitt ( puisque Kim Chapiron insiste, insistons aussi ), mettre une ville à feu et à sang, foutre en l’air les classes moyennes en les humiliant devant celles qui leur sont inférieures pour mieux asseoir le pouvoir des détenteurs des capitaux. Le clip de Justice n’est qu’un élément du décor, un effet collatéral d’un processus bien plus large.

Et soyons heureux, les raisons de s’émouvoir ne vont pas manquer : on nous a prévenus, ça ne fait que commencer et de toute évidence, certains ont encore un peu de mal à se repérer parmi les motifs d’inquiétude. Patience, ça va venir :

There’s more to come !

9 Comments

  1. Je ne connais rien de tout ca, de toute cette « culture ». Et les formulations un peu imprécises du début du texte du jkrsb n ont gu`ere aidé `a ma compréhension. Mais peu importe.

    Ce que je voudrais pointer ici, c est que ce que le jkrsb nous décrit nous ram`ene tout simplement et directement `a la notion de lumpen prolétariat. Celui que le camarade Besancenot au moment des émeutes de banlieue instituait, contre toute la pratique et la théorie marxiste-révolutionnaire des 150 derni`eres années, comme jouant un rôle dans l émancipation de la classe… Le m^eme Besancenot qui sera l invité de Drucker ce dimanche apr`es-midi. Drucker apr`es Les grosses t^etes…

    Certes le raccourci auquel je me livre est un peu saisissant et frôle la mauvaise foi. Et on pourrait `a bon droit me taxer de simplisme. Mais il ne sera pas dit que j abandonnerai le jkrsb tout seul sur la pente glissante sur laquelle il s est engagé. J essaierai de revenir sur le sujet plus tard.

    Toutes mes excuses pour l écriture relâchée (genre lumpen prolet de banlieue !), mais le clavier serbo-croate a des bizarreries que je g`ere comme je peux…

  2. Je crois deviner ce que tu veux dire, et pour ce que j’en devine, j’approuve :

    qu’on le stigmatise, ou qu’on le victimise, on fait du peuple de banlieue un corps auquel on réclame de se définir, et de se libérer. Et effectivement, Besancenot a eu tendance, par démagogie, à faire croire que ce peuple là allait se libérer tout seul. D’une part ça me semble tout à fait irréaliste, et d’autre part on ne pourrait pas craindre grand chose de pire, étant donnés les quelques zigotos qui menaient la danse.

    Par contre, Besancenot chez Drucker, apres tout pourquoi pas : le public de drucker, c’est justement cette ancienne bourgeoisie qu’on aide peu à peu déchoir, tant économiquement, que moralement, que symboliquement. Alors, il faut bien que quelqu’un leur parle, et à choisir, ça sera sans doute un peu plus politique que lorsque c’est mademoiselle Royal qui s’y rend.

    Mais je suis preneur d’un rappel à l’ordre idéologique et historique !

    (et, serieusement, que fait le Michel dans les pays de l’Est, est un agent double ? Forme t il des recrues pour la révolution européenne ? Ca devient suspect ce séjour…)

  3. L époque `a laquelle je faisais passer la littérature de la Quatri`eme Internationale `a l Est est révolue et je ne saurais dire si c est heureusement ou malheureusement, tant de multiples facteurs (politiques et personnels) entrent en jeu !

    Je profite de trois mois de congés sabbatiques durement acquis pour faire le tour de la vieille Europe et la regarder d un oeil toujours curieux. Mais il y a des données intangibles : les Slov`enes sont toujours les rois des terrasses et les Croates ne devraient pas négliger l intér^et d un plan anti-tabac conséquent. Et ce qui reste constant aussi, c est que les quelques douaniers qu on voit encore (au hasard Slov`enes, Croates, Hongrois, Serbes ou Bosniaques) sont bien égaux `a leur réputation universelle…

    Quant `a Besancenot et au « peuple de banlieue », je n en suis pas `a croire qu il puisse se « libérer » tout seul et je ne crois pas que ce soit l opinion de Besancenot non plus (qui, nouveau parti ou pas, reste persuadé du rôle central et messianique de la LCR). Je pense en revanche que, dans la situation actuelle, c est un monde en voie de tr`es grave désocialisation qui peut ^etre utilisé selon des modalités diverses (dont les journaux donnent des exemples au quotidien) par le pouvoir et le capital contre la classe. Le lumpen prolétariat n est pas spontanément révolutionnaire : au contraire, il est tr`es souvent utilisé pour déstabiliser les contre-pouvoirs ouvriers.

  4. Ah et puis Besancenot je ne le verrai pas demain chez Drucker : c est retransmis sur TV5 Monde mais je serai dans le train entre Zagreb et Graz !

  5. Y’a des jours où y m’énerve, mais y m’énerve ! y c’est le jkrsb, pas Besancenot !

  6. Bon, plus sérieusement :

    Evidemment, que Besancenot va devenir très médiatique, évidemment qu’il va avoir la faveur des médias. Pour peu qu’on veuille lui donner un coup de main, on pourrait même en faire la victime d’un complot (et si je ne m’abuse, c’est même déjà fait).

    Et c’est bien nécessaire : 4 ans, c’est pas tant que ça, et si la sape de la gauche apte à gagner des élections nationales est déjà bien entamée, il reste quand même des doutes sur la force dont disposera la droite le jour venu.

    Alors, une montée en puissance de Besancenot ne pourrait qu’être bienvenue : tant qu’il aura du succès, et tant qu’il se tiendra soigneusement, et un poil dogmatiquement loin du pouvoir, il mettra suffisamment de batons dans les roues de la gauche pour que celle ci perde à tous les coups.

    On sait, quand même, pour qui roule Drucker. L’invitation n’est pas cordiale, elle est utile.

    Mais je suis peut etre paranoiaque (ce qui ne prouverait pas qu’on ne nous veuille pas du mal !)

  7. Up!

    Le clip de La Caution, c’est juste le délire de l’ultra-violence, ils s’amusent à choquer rien que pour rire des retours qu’il y aura dessus.

  8. P.S:

    Dans la même interview que toi, je trouve ça:

    « Gentiment je t’immole (Version de ma petite sœur Mai Lan) ou Bâtards de barbares (Version La Caution) sont des satires de ce courant musical ultra violent qui pousse les gens à la haine gratuite… Les jeunes sont énervés contre des choses qu’ils n’arrivent même pas à définir.
    Le clip de ‘Bâtards de Barbare’ est prévu pour le 11 septembre. »

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