En Mars 2003, les plus inattentifs d’entre nous aux nouvelles formes d’expression sur le net découvraient ce qu’est aujourd’hui le blog en lisant les compte rendus, témoignages et analyses de Salam Pax, sur son blog, depuis devenu exemple et fondation, http://dear_raed.blogspot.com/. Le 21 précisément, il écrivait ce qui demeure sans doute comme l’un des posts ayant suscité le plus pesant des suspens dans l’histoire des blogs : « 2 more hours untill the B52’s get to Iraq », laissant ensuite, quatre jours durant, des lecteurs du monde entier dans une étrange situation, inquiets pour un inconnu comme ils auraient pu l’être pour un proche.
Janvier 2011, internet a entre temps fourni à ceux qui veulent, ou se sentent devoir publier sans passer par quelque autorité que ce soit, de nouveaux outils, encore plus directs, encore plus rapides, pour envoyer dans la noosphère des messages ayant le net avantage sur les bouteilles jetées à la mer, d’avoir la quasi garantie d’avoir un jour ou l’autre des récepteurs. Et si Twitter demeure sans doute encore un des meilleurs moyens de satisfaire ce que l’ego d’une majorité exige en matière de rayonnement, ceux qui avaient des messages urgents à envoyer au monde, non pas à propos de leur petite personne, mais à propos du monde lui même, ont su détourner l’outil pour en faire un des moyens de transmission les plus efficaces que l’humanité ait connu.
Ceux qui ont connu l’antiquité des moyens de communications humains ont peut être eu la chance de passer des jours, et des nuits, devant des postes de réception d’ondes courtes, à traquer des voix émises depuis l’autre bout de la planète, selon la temporalité carrément uchronique des heures GMT. Quelqu’un parlait, depuis un ailleurs indéterminé, vers un autre ailleurs tout aussi aléatoire; intentionnalité floue, discours universel transmis à qui veut bien l’entendre. Emergeant des parasites et larsens, tordues par les efforts de syntonisation, des présences humaines me parlaient sans s’adresser à moi, selon des codes qu’il faudrait apprendre à déchiffrer.
Twitter est l’équivalent de cela. Avec un squelch bien réglé, et en focalisant l’antenne sur les bonnes fréquences, on peut laisser tourner Tweetdeck comme un scanner à informations pour saisir les bouteilles lancées à la mer quasiment au moment même où la main qui les envoie les lance vers l’horizon. Instants de vie attrapés au vol, qui peuvent aller des atermoiements d’une fashionista devant les étals soldés à la géolocalisation d’un opposant tunisien « rassurant » ses followers : non, il n’est pas encore mort, il est juste au commissariat du coin.
Ainsi, ces derniers jours, un des feuilletons les plus suivis sur twitter fut la brusque disparition de Slim Amamou, équivalent tunisien et actuel du Salam Pax de Bagdad, dont les messages cessèrent brusquement d’être émis pour laisser place à un silence inquiétant. Blogueur influant, et activiste ayant su très tôt utiliser les astuces permises par la communication numérique, il avait déjà révélé la manière dont le gouvernement tunisien avait réussi à pirater les comptes mail, twitter ou facebook de milliers d’internautes, afin d’empêcher la mise en place d’actions et de décrédibiliser les informations diffusées sur les réseaux sociaux, lorsque ceux ci n’étaient pas purement et simplement censurés par le proxy gouvernemental.
Suivre le compte twitters de Slim Amamou n’est pas de tout repos, mais c’est une prise directe sur les évènements, du point de vue de quelqu’un qui maîtrise les moyens de se tenir au courant, et les techniques permettant de retransmettre l’information. Les derniers jours de son journal de bord sont épiques, entre arrestation, nouvelle coupe de cheveux, contournements de la censure, décensure quasiment site par site, information et désinformation, dénonciation des messages passés sous piratage de son compte, moments de panique provisoire provoqués par l’ouverture d’une session oubliée sur un autre ordinateur, on capte quelque chose comme un James Bond tourné à la manière de Cloverfield, mais dont l’aspect « documentaire sur le vif » n’est pour une fois pas réductible à un simple effet de mode.
Pour ceux qui veulent sauter dans ce train en marche, les messages de Slim Amamou peuvent être suivis sur son compte : http://twitter.com/slim404. Pour ceux qui ont quand même un peu de mal avec la syntaxe Twitter (mais ce ne sont que quelques codes à apprendre, exactement comme on le faisait du temps du radioamateurisme, quand on participait au JOTI, l’équivalent ondulatoire des Jamborees géorestreints), et pour ceux qui apprécient que la pensée puisse se développer au-delà des fameux 140 caractères, on peut suivre les développements plus longs, mais plus épisodiques de Slim Amamou sur http://nomemoryspace.wordpress.com/.
Enfin, pour suivre l’information dans les jours qui viennent, et au delà, tout en diversifiant un peu ses sources, on peut se rendre sur ce blog collectif : http://nawaat.org. Répertoriant les informations issues de sources extrêmement variées, servant d’interface entre l’infowar et le véritable journalisme, on y trouve une synthèse permettant d’aller nettement plus loin que ce que les médias français proposent.
Mais on l’aura compris grâce à l’épisode de l’intervention d’Alliot Marie à l’assemblée nationale, l’attitude de la France du gouvernement français est tout simplement complice des agissements de son ex-homologue tunisien : maintenir un pouvoir en place grâce à une force dont on aura compris qu’on loue internationalement sa compétence, seconder par la police un gouvernement dont on ne sait pas trop quelle culture permet à un ministre de la culture d’affirmer qu’il n’est pas une dictature, simplement parce que ce pouvoir offre quelques avantages (et on sait combien de nos hommes politiques possèdent, dans ces terres, des résidences secondaires, dont on imagine assez bien quelles concessions elles ont réclamé, c’est sans doute parce que BHL a installé au Maroc sa propre retraite qu’il peut se permettre, lui, de préférer révolutionner contre Ben Ali, et laisser Mohammed VI en paix) qu’il s’agit de protéger. Exporter le savoir-faire français en matière de maintien de l’ordre, voila enfin un secteur qui pourrait constituer une spécialité maison qu’on aimerait effectivement vendre un peu partout dans le monde. Après tout, ne serait ce qu’en matière de censure du net, les hadopi, loppsi, et loppsi2 déjà dans les tuyaux visent bien à faire taire certaines voix, en les identifiant. Après tout, des amis du pouvoir ont déjà montré comment utiliser le net tout en monopolisant les canaux d’information de manière à, précisément, désinformer. Le département du 92 est plein d’affaires liées aux multiples tentatives du pouvoir en place pour mener ses petites affaires en plaçant opportunément les proches des dirigeants (le propre fils du président, rien de moins), aux postes permettant de diriger « efficacement » une communauté urbaine parmi les plus riches d’Europe. Après tout, Christophe Grébert, le rédacteur du fascinant blog Monputeaux.com ne serait pas tellement plus inquiété dans la Tunisie ancienne version qu’il ne l’est aujourd’hui dans les Hauts de Seine. Que Michèle Alliot-Marie donne l’impression de savoir mieux se tenir qu’une Joelle Ceccaldi-Raynaud ou qu’une Isabelle Balkany ne change pas grand chose à sa dangerosité : elle fait partie de ce clan politique qui voit dans le peuple un ennemi, une masse qu’il faut maintenir sous la botte des soldats pour pouvoir gouverner en paix. On serait assez tenté de la parachuter quelque part au dessus de Sidi Bouzid, histoire de voir comment ce peuple qu’elle souhaitait rappeler à l’ordre l’accueillerait. Et on n’espère même pas qu’elle sache mesurer à quel point elle a de la chance de gouverner une nation qui ne lynche pas ses dirigeants, à moitié par soumission, et à moitié par instruction. Qu’elle n’aille quand même pas jusqu’à imaginer que ce même peuple ne devine pas que le message hostile adressé aux citoyens de Tunisie a en réalité les français pour destinataires, qui doivent bien comprendre qu’il est hors de question de s’opposer au pouvoir en place, et qui savent désormais qu’aucune limite n’est donnée au recours à la force pour lui imposer une volonté politique dont il est maintenant clair qu’elle n’est plus la sienne.