Puisqu’on se pose la question. Et puisque pour sauver au moins les apparences le jour venu, on cherchera certainement tout un tas d’arguments pour justifier nos compromissions, rafraichissons nous un peu la mémoire.
1936 – Les jeux olympiques ont été attribués par le CIO à Berlin, avant que l’Allemagne choisisse de mettre en oeuvre le projet nazi. Le monde se trouve dès lors un peu pris en otage, face à des jeux dont on devine déjà assez qu’ils vont servir de vitrine publicitaire à un régime autoritaire, officiellement raciste et mettant en place une politique expansionniste, mettant en danger la jeune et fragile paix qui suit les massacres de la première guerre mondiale, qui est encore dans tous les esprits.
Quelques pays débattront d’un éventuel boycott. On organisa même des contre-jeux, aux mêmes dates, en Espagne, mais ces « Olympiades du peuple » furent annulées alors que débutait, en Juillet 36, la guerre d’Espagne. Quand les Etats Unis décidèrent de participer, laissant les athlètes juifs décider eux même de leur propre boycott, les autres pays suivirent le mouvement et la participation à ces jeux fut, dès lors, massive.
On trouva, dans les débats, les mêmes arguments qu’aujourd’hui : dialogue entre les peuples (comme si les athlètes se retrouvaient matin midi et soir dans la grande cantine des JO, et chantaient en choeur des hymnes à la fraternité humaine tous les soirs à la veillée), promotion de la démocratie, pacification, etc.
On sait quel sera l’avenir de l’Europe, à peine les Jeux Olympiques achevés. Et pourtant, à l’époque, le CIO avait des intérêts économiques bien moins importants à sauver. L’évidence, c’est que ce type de manifestation sert le pouvoir qui les organise, dès qu’aucune pression n’est faite sur lui pour que l’image qu’il donne à cette occasion corresponde à la réalité politique.
Il est dès lors « parlant » de regarder cette cérémonie d’ouverture. C’est d’autant plus intéressant pour nous autres, français, que nous pouvons voir les autres délégations passer devant la tribune officielle, et choisir diverses stratégies pour la saluer sans se compromettre. Minoritaires furent les nations utilisant le salut hitlérien. Parmi elles, l’Italie, la Bulgarie, l’Autriche, mais aussi… la France, qui passe devant Hitler, debout pour saluer sa future conquête, le bras droit levé. Après coup, on tentera de se légitimer en affirmant qu’il s’agissait en fait du salut olympique. Un des dirigeants de la délégation française affirma le soir même au journal Paris Soir « Nous avons défilé non en faisant le salut hitlérien, mais bien le salut olympique, qui se faisait le bras droit levé, mais avec une inclinaison tout différente. Tous les autres athlètes effectuèrent d’ailleurs le même salut » (Paris-Soir, 3 août 1936, p. 9). La nuance devait être subtile, car les spectateurs allemands eux mêmes s’y trompèrent, offrant une ovation à ce peuple étranger qui adoptait leurs codes politiques, et faisait corps avec eux avant même d’être envahi, signe qu’après une guerre éclair, la greffe pourrait prendre (c’est d’autant plus surprenant que les allemands auraient pu en vouloir, olympiquement parlant, aux français, puisqu’en 1924, alors que la France était organisatrice, les athlètes allemands avaient été interdits de jeux, officiellement parce que la France n’aurait pu assurer leur sécurité (et là, encore une fois, on admirera la manière dont la diplomatie est parfois une simple technique de camouflage e la lâcheté…)). A lumière de ce que nous savons sur l’organisateur des prochains jeux olympiques, il est évidemment temps de se demander jusqu’où nous souhaitons participer à cette mise en scène d’un internationalisme pacifique et festif dont on sait qu’il est doublement un leurre : la Chine n’est pas une démocratie, n’est pas, intérieurement, en paix, et le monde ne l’est pas non plus, et le sera d’autant moins en Août prochain : à cette date, la récession économique aura commencé à faire son oeuvre, et nous seront officiellement en guerre économique. Et on sait, dans les années 30, à quoi ce genre de crise peut mener.
Il est dès lors peut être encore temps de se demander de quoi nous devrons, dans le futur, nous justifier un peu honteusement en trouvant des arguments qui, aux yeux de l’histoire, relèveront nécessairement de la mauvaise foi.