Quand le corps embarque dans les marges, il ne faut pas s’étonner de voir certains emprunter les chemins de traverses pour vagabonder sur des trajectoires qu’ils parcourront seuls, croisant de temps en temps d’autres travées, parfois autoroutières, parfois vicinales.
Il suffisait de voir apparaître la silhouette épurée de Dominique Dalcan, au début des années 90, pour deviner que celui ci devait se balader depuis longtemps avec la nécessité d’assumer la voie particulière qu’avait emprunté son propre corps. C’était un peu comme si son physique fascinant constituait une prémonition de la musique qu’il composerait, et des voies buissonnières médiatiques qu’il choisirait. Ainsi, quand après des albums de pop classieux mais encore relativement classiques dans le paysage d’une chanson française soigneusement entretenu, à l’époque, par des Art Mengo ou des Alain Chamfort on put glisser les quelques titres de Cheval de Troie dans nos lecteurs, nous sûmes qu’un visage aussi lisse pouvait dissimuler des reliefs d’une complexité inattendue, et que l’allure énigmatique du personnage accompagnait une musique qui ne l’était pas moins. Cela n’avait plus rien à voir avec ce que la musique pop proposait encore en 1996. Mise en scène cinémascope, plans panoramiques embrassant l’histoire au delà même de ce que les récits en divulguent, focalisation au plus près des détails, jusqu’à placer l’auditeur dans l’intimité des héros; on avait vraiment rarement entendu ça jusqu’alors.
Alors quand le corps déjà presque abstrait de Dominique Dalcan disparut derrière le pseudonyme Snooze, on ne s’en étonna pas vraiment : physiquement, c’était un peu déjà comme si Dalcan avait intégré l’idée selon laquelle la spécificité pouvait passer par l’effacement des traits distinctifs. Que le premier album de Snooze ait pour titre The Man in the shadow devait pouvait être compris comme le manifeste de celui qui avait choisi d’exister dans l’ombre des édifices de sa propre musique, qui s’étendait désormais sur des territoires sans limites, à la mesure des trajets dans lesquels elle embarquait ceux qui y prêtaient oreille. Goingmobile et Americana révèleraient que l’ombre n’était pas un refuge planqué dans quelque arrière monde, mais plutôt cette silhouette, reproduction de son propre moyen de translation long courrier, que le passager d’un avion peut voir courir sur le monde au fur et à mesure de sa propre progression, projection en croix, fuselage et ailes croisées sur le monde en réduction. Cette impression de translation en vue plongeante, avec escales à long terme dans les zones d’ombre des radars de l’évidence, c’était à peu près celle que donnait cette musique mise en scène en forme d’installation pour oreilles et cerveau.
Puis ? Silence radio. Une attaque cardiaque, et une escale sans doute un peu plus longue que prévu, et une extinction du son laissaient craindre de ne plus pouvoir entendre de nouveau titre de Dalcan, jusqu’à ce qu’en furetant un peu au hasard dans des blogs tenus par des oreilles avisées, je crus deviner de nouveau dans le ciel, flottant tel un ballon dirigeable, le style versatile de l’homme de l’ombre. Mieux vaut en effet se tourner vers les cieux pour écouter cette nouvelle chanson, puisqu’elle est intitulée Paratonnerre. Si Dalcan y revient vers ses premières amours, la chanson, dans un format plus classique que les expériences tentées sous le nom de Snooze, ce n’est pas pour regagner des pénates auxquelles il semble ne s’être jamais arrêté. mais plutôt pour en faire une escale supplémentaire dans un paysage sonore global, débarrassé de tout exotisme facile, et de tout jetlag.
Voici donc ce paratonerre discrètement érigé au dessus de nos têtes :