Il y a quelques jours, Denisot, se croyant encore aux commandes de son vaisseau à l’inertie pachydermique, depuis bien longtemps en pilote automatique, alors qu’il était en train de présenter le coffret DVD de son collègue Ardisson a été pris d’une soudaine clairvoyance, dont il sembla lui même tout étonné : alors qu’il faisait l’article de ce dont il était chargé de faire la publicité, il fut pris d’un brusque élan d’authenticité, et affirma soudain comme si c’était une révélation, qu’il se transformait en Pierre Bellemare surpris en flagrant délit de présentation de télé-achat. A se demander si Denisot réalise encore bien ce qu’il fait quand il présente chaque soir de nouveaux produits en interdisant à lui et à son équipe le moindre regard critique sur ce qui se présente, ce qui lui fait parfois dire des trucs étranges, comme quand il annonce que le live (« live » est un grand mot quand la musique est une bande musicale sur laquelle la chanteuse dont le nom suit gémit péniblement son texte, heureusement soutenue par un bataillon d’effets numériques qui viennent donner un semblant d’ampleur à ce qui reste un beuglement) de Rihanna est le meilleur qu’ait connu le Grand Journal. Wow, c’est Prince qui a du être content de se voir battu par la nouvelle couleur de cheveux de Rihanna. Mais on se souvient que le live de Prince avait eu le mauvais goût d’entrer en complète collision avec l’une des pages de pub qui traversent de manière un peu tonitruante l’émission en clair de Canal, mettant en évidence que sur cette chaine qui se veut différente des autres, si on aime la musique, on préfère quand même les revenus de la pub. Et Denisot, qu’on le mette ainsi en scène sous forme de roi nu, on dirait qu’il aime pas ça.
Mais même les rois ont un maître, et Denisot a sa maitresse : Oprah Winfrey.
Jingle bells, jingle bells, jingles all the way
Concomitants sont les tintements des clochettes de noël et le tintinnabulement de la monnaie en circulation sur le vaste marché de noël, à tel point qu’on ne saurait plus distinguer ce qui appartient à la naïveté joviale des échanges familiaux, et ce qui s’est réduit à la mise en scène de la recherche du profit tous azimuts, parvenant même à ce réjouissant exploit : transformer une fête païenne, libre manifestation du désir qu’ont les hommes d’échanger dévoyée en célébration religieuse réservée à une poignée de croyants, eux contre les autres ne croyant pas assez pour mériter une messe. Peu à peu oublié de la fête, l’enfant qui en était le centre et qui devait conseiller quelques années plus tard de demeurer dans une saine pauvreté, se vautre sans doute malgré lui aujourd’hui au milieu des chocolats, des jouets et gadgets multimédias, écoutant les flux des transactions bancaires, les tergiversations des clients pestant contre les exigences de ceux qui leur ont remis leur liste de desideratas, bien trop coûteuse évidemment, et interdisant à l’avance que l’échange des choses puisse être, à quelque moment que ce soit, un don de soi et un accueil d’autrui.
A tel point qu’à strictement parler, on ne puisse plus parler de « marché de noël », mais plutôt de Noël, le marché, Noël, prototype et fantasme de ce que le marché voudrait être, en permanence.
Alors, que deux mois à l’avance on mette en rayon pour des clients qui ont, dès lors peur, deux mois avant l’échéance que les mêmes rayons soient déjà vides, cela ne témoigne que de la volonté de faire de la vie entière un noël permanent, une débauche sans fin de marchandises et de bouffe, une foire interminable.
Si on en voulait une illustration, et on en veut une illustration, même si on sait bien qu’on abuse peut être un peu complaisamment de ces illustrations, on pourrait la trouver dans le show spécial que donne Oprah Winfrey, chaque année dans la période des achats de noël, au cours duquel elle offre au public présent ce jour là les objets qu’elle a considérés comme particulièrement alléchants pendant les douze mois qui ont précédé pour lesquels elle a signé un contrat de promotion. Personne ne sait à l’avance quelle sera la date de cette émission spéciale, chacun tente un peu au p’tit bonheur la chance de tomber sur le bon jour, et pour ceux qui ont eu le nez creux, c’est à peu près comme si la main de Dieu en personne, sur le plafond de la chapelle Sixtine, tendait à Adam une American Express avec un crédit illimité, sans remboursement. Vas-y, empiffre toi, c’est cadeau de la vie.
Chaque année, donc, aux deux tiers de Novembre, une bande d’excités vient s’entasser dans un studio avec le secret espoir que ce soit le jour J, LE jour où on rase gratis. Et pour se donner du cœur à l’ouvrage, il semblerait que personne ne lésine sur la surexcitation, chacun conservant à l’intérieur de soi toute l’excitation qu’il subit à cause de l’attente, faisant mine d’écouter l’interview du jour comme si de rien n’était, comme si cela avait une quelconque raison de l’intéresser, se transformant peu à peu en véritable cocote minute, débordant par tous les orifices (et il faut y intégrer chaque pore, ce qui en fait quelques uns) du manque de ce dont il n’a pas idée, peu importe d’ailleurs, puisqu’il s’agit de marchandise, ce dont il manque depuis qu’on l’a programmé pour manquer, et ça fait un bail que ça dure, à voir les gesticulation nerveuses qui animent tout le public.
Si Dieu n’existait pas, la foi serait créée par les spectateurs d’Oprah Winfrey aux alentours du 20 Novembre, chaque année réitérant une nouvelle fois le miracle de la nativité. Parce que chacun dans la salle sait que les années précédentes ont déjà permis à d’autres de repartir comblés, parce que chacun a en mémoire le noël avant l’heure de 2001, qui permit aux 300 spectateurs de repartir avec une Pontiac G6 flambant neuve, qui attendait sur le parking, enrubannée comme il se doit, que le nouveau propriétaire, heureux comme un divin enfant visité par les rois mages, vienne dégueuler sa joie d’être un peu plus propriétaire de biens matériels qu’il ne l’était en venant au volant de ce qui deviendrait son ancienne voiture, parce que chacun est conscient que subitement les objets de la pub vont atterrir là, directement dans ses mains, chacun vient au studio comme on viendrait à la messe à quelques jours de la venue de Dieu parmi les hommes, sans savoir exactement quel jour cela pourrait bien être.
Si Noël est finalement devenu le rêve accompli du marché, les Favorite gifts d’Oprah Winfrey sont eux-mêmes le rêve d’une télévision qui serait devenue de part en part commerciale, totalement. Des produits comme s’il en pleuvait, des bouches grandes ouvertes, bien plus grand que dans Deep Throat, franchement, pour les y glisser, des hurlements de jouissance, des trépignements de surexcitation, des embrassades, des pleurs, des crises qui auraient valu, il y a un siècle, d’être accueilli par Charcot à la Salpêtrière, des merci jetés à la face de Dieu, comme s’il pouvait y être pour quelque chose, tout est là pour bâtir un monde où on n’attend que ça, de se voir rempli par la marchandise ; d’être comblé ; d’atteindre une telle pléniture rectale qu’on n’a qu’une hâte : aller chier tout ça pour pouvoir être gavé de nouveau.
Alors, comme à la télé rien ne se perd, voici le moment de libération, parce qu’on est ainsi faits qu’on peut quasiment jouir autant que ceux qui reçoivent en les regardant recevoir. Et ça aussi, ça en dit plutôt long sur nous :
Et comme la télé américaine est toujours bigger than life, et que son slogan est ‘There’s more to come », sachez que cette émission très généreuse en cadeaux de tous ordres fit la surprise au public de l’émission suivante de remettre le couvert pour eux, qui croyaient avoir raté de si peu le paradis des gâtés. Alors, après ce court amuse gueule, voici la version longue des mêmes spécimens soumis à la même expérience, devant les mêmes caméras, profitez bien de la robe cachée, des effets de pose devant les cadeaux, de l’apparition finale du bateau gonflable sur lequel aura lieu la croisière (qu’on imagine très reposante, étant donné qu’elle devrait réunir les agités du bocal qu’on voit là; autant dire qu’il faut s’attendre à des meurtres dès les eaux internationales auront été atteintes) :
Et pour ceux qui ne savent pas encore quoi offrir à noël, voici les listes de cadeau qu’Oprag Winfrey offre avec la main sur le cœur :
http://www.oprah.com/packages/oprahs-ultimate-favorite-things.html
Dernier détail : ne réservez pas de billet d’avion pour les USA en Novembre 2011, jusqu’à preuve du contraire, cette saison de l’Oprah Show est la dernière. Vous vous déplaceriez pour rien, puisque rien ne tomberait plus du ciel. On prédit dès lors une brusque perte de la foi pour des millions de téléspectateurs.
NB : L’illustration du haut vient des Favorite Gifts d’été. Ben oui, y a pas de petit profit, Oprah Winfrey, grande prêtresse du télé-achat, grande bénéficiaire de la publicité qu’elle fait pour ces produits tout en faisant mine de les offrir elle même, ne peut plus attendre noël, alors voyant venir l’été et le désoeuvrement qui guette ses ouailles, elle les gave de produits pour qu’ils trompent leur ennui avant de retourner bosser. C’est si charitable.
Euh jkrsb, tu crois que ça nous intéresse vraiment ce genre de truc ? Bon, je sais bien que dans ce blog, je joue le rôle fameux de Jean-Pierre Liégeois, le jeune lecteur du Var, mais justement, autant en profiter pour dire à mon héros (au sourire si doux) que pffff… Qu’en pense Jujube ?
Bon, je n’irais pas jusqu’à dire que c’est follement interessant. Je suis un peu dans une période où je suis focalisé sur d’autres choses, et j’alimente avec des choses pas très très profondes.
Néanmoins, en tombant sur cette vidéo, j’ai été tout de même sidéré par les réactions d’un public qui semble spontanément réagir de cette manière un tout petit peu excessive. Une telle tradition médiatique, qui dure depuis 1996 ne me semble pas anodine.
Maintenant, je suis d’accord, il y a un peu plus grave, mais j’aborderai prochainement des cadeaux de noel un peu plus profondement préoccupant, promis !