On dirait qu’on n’aurait pas vécu ces trente dernières années.
On ferait comme si rien ne se serait passé, comme si on n’aurait été bosser pour rien, qu’on n’aurait rien produit de nouveau, rien construit collectivement, comme si les choses auraient été subitement givrées dans le sucre glace des drogues de ces années là, histoire (enfin « histoire », si on peut dire, puisque finalement on semble s’ingénier à empêcher toute forme de repérage historique, préférant instaurer un temps sans durée et sans fin, un retour permanent du même, mêmes têtes, mêmes rêves déjà répertoriés comme hors d’atteinte pour les uns, comme inaptes à rendre heureux pour les autres qui eurent la chance, très relative, de les réaliser, mêmes décors, même éléments de langage, mêmes mots d’ordre, mêmes objectifs hors d’atteinte, même manière de s’oublier, soi et ses insuffisances, mêmes personnages construits comme des héros de pacotille posés là pour donner des espoirs que les personnes réelles qui les incarnent ne cesseront de se réserver à eux-mêmes, parce que c’est les espoirs, quand ils se réduisent à des perspectives économiques, se divsent, ne se multiplient pas ; bref, d’ « histoire » il n’y a pas quand il s’agit d’effacer des mémoires le chemin parcouru jadis ensemble, de raser jusqu’aux fondations les architectures publiques, de saper jusque dans les idéaux qui les ont fait naître les institutions partagées, d’ « histoire » il n’y a plus quand c’est O’Brien qui préside à la gestion des contenus mémoriels), histoire donc de rayer des mémoires tout ce qui fait qu’on a pu jusqu’ici vivre ensemble malgré tout ce qui sépare, histoire (mêmes réserves) de rendre impossible cette vie commune parce que les peuples unis sont ingouvernables (ils se dirigent d’eux-mêmes), histoire enfin de faire du monde un fait accompli auquel il faudra bien se faire puisque paraîtrait il, il n’y aurait aucune alternative.
Donc, nous serions trente ans plus tôt pile poil, et comment mettre mieux en place le décor qu’en recourant à ces panneaux d’affichage permanents que sont les télévisions (de plus en plus grandes, elles ne sont plus des lucarnes branchées sur le monde, mais des éléments du décor intérieur à part entière, des éléments centraux de l’architecture, malléables à volonté pour ceux qui ont pour ambition de dessiner les espaces qui constitueront nos vies) ? Ceux qui ont éprouvé une impression de « déjà vu » quand ils ont vu apparaître sur leurs écrans Sabatier et Sardou lancés avec délice et autosatisfaction dans un remake plan par plan du Jeu de la vérité tel qu’on ne le regrettait pourtant pas particulièrement, vont sans doute se demander s’ils ne souffrent pas d’hypermnésie quand ils vont se poser devant le programme du Samedi soir prochain sur la télévision publique : Drucker (qui partage avec notre président ce goût populaire (mais quand les gens de la haute adoptent des goûts populaires, on sait qu’on parle alors de populisme, mais bref) pour le cyclisme (enfin, « populaire » n’est pas exactement le mot quand on voit le prix de ces vélos qu’il semble falloir acquérir pour fournir ce genre d’effort (ou produire ce genre d’image) propose de nouveau, tel quel, comme au « bon vieux temps » (quoiqu’identifier le « bon vieux temps » aux années 80, pourquoi pas, mais peut être pas en situant la scène principale sur les petits écrans du prime-time du samedi soir), son émission emblématique « Champs Elysées ». Comme si la téléportation était soudainement possible, comme si le voyage dans le temps était à la portée de tous.
La téléportation, c’est l’abolition des distances. Se téléporter dans le passé, c’est abolir la durée qui nous en sépare. Or ce qui nous sépare du passé, c’est la mémoire (désolé pour ceux qui sont convaincus que la mémoire est ce qui nous lie au passé, puisque justement, c’est l’inverse). Ainsi, en se transformant tous les samedis soirs en agence de voyage pour nostalgiques d’un bon vieux temps qui n’était déjà en fait qu’un épisode « bien de son temps » et un appel à demeurer « contemporains » d’un temps qui devait s’arrêter, et avec lequel on devait bien vivre, l’Etat organise ni plus ni moins que l’amnésie, c’est-à-dire l’oubli du temps, la perte du temps qui sépare du passé, ce qui permet d’y retourner et de le regarder, comme si on y était.
Alors, on serait dans le passé, et on n’y verrait que du feu. Corps liftés, visages botoxés, mémoires cryogénisées par des maîtres qui doivent ressembler, dans leurs interventions, à ceux qu’on entrevoit dans Dark City au moment où le temps s’arrête pour modeler les mémoires, en les effaçant.
Dorénavant, il semblerait que le présent doive être conçu comme un désormais permanent, une image mise en pause que sa laideur interdira de contempler, mais qu’il faudra concevoir comme un mouvement, malgré tout.
On peut aussi ne pas la regarder.
Malgré tout, en post scriptum marrant, on imaginera en ce dimanche perpétuellement animé pour la maison de retraite nationale par le même Drucker, qu’un spectateur inhabituel, commentateur patient et régulier de cette colonne qui, elle aussi, comme tous les blogs, se déroule comme un présent permanent, se trouve devant un écran (il n’en possède certes pas, mais semble vivre le plus souvent dans des hôtels qui en sont pourvus), puisqu’aujourd’hui le Michel cycliste et ami des stars invite Mélenchon, sans doute pour lui faire jouer les biscuits dans son salon de thé perpétuel.
Qui mangera l’autre ? Pour une fois, la question peut se poser.
Je n’aurai d’écran de télévision à ma disposition qu’à l’heure de mon arrivée à l’hôtel (Mercure cette semaine) vers 20H30 au plus tôt. A mon avis, l’émission de Drucker sera terminée. Je ne suis pas certain (je suis même plutôt persuadé du contraire) que j’aurais regardé l’émission si j’étais arrivé plus tôt à l’hôtel.
Pour autant, Michel Drucker est omnicompatible. Cette année à la fête de l’Huma, c’est lui qui avait la tâche d’animer l’hommage en chansons à Jean ferrat. Certes, il fut quelque peu sifflé au début, mais le public bon enfant s’est lassé rapidement et a préféré écouter Francesca Solleville, Allain Leprest ou Sanseverino…
Peut-être une raison de plus, si également Mélenchon est à la hauteur cet après-midi, de le préférer à André Chasseigne comme candidat du Front de gauche à la présidentielle de 2012…
Après avoir allumé la télé de la chambre 404 de cet hôtel Mercure situé dans la proche banlieue sud-est de Paris, je confirme que Jean-Luc Mélenchon ne joue pas dans PSG – OM.
Quant à André Chassaigne, qu’il veuille bien me pardonner quand il lira ce blog (ce qui ne saurait tarder si sa veille sur internet est bien faite) pour la faute d’orthographe commise sur son nom.
J’ai pour ma part corrigé des copies devant la première partie de l’émission (j’ai malheureusement râté la seconde, où JP Coffe a du cuisiner un plat improbable en chemise de nuit dans sa cuisine pour Mélenchon, ce qui me semble être le comble de l’interview politique). Le héros du jour s’est en tous cas pas trop mal sorti de cette première partie, avec des invités plutôt choisis (à l’exception d’une chanteuse totalement niaiseuse, qui se sentait « concernée » par à peu près tout ce qui concerne les âmes charitables, mais qui semblait malheureusement peu concernée par son activité principale, la musique (sinon, elle aurait su que ce qu’elle fait a déjà été fait mille fois, et que si ça ne lui interdit pas de chatonner dans la salle de bains, ça devrait lui poser question avant d’assomer ses contemporains avec ses mièvreries; elle me donnait envie de la jeter en pâture à Zemour, qui sait quoi faire de ce genre de clientes… :)).
Dans l’ensemble, le propos parvint à demeurer plutôt politique, même quand il s’agissait d’obéir aux émotions prémachées de ce genre d’émission.
Malgré tout, peu d’impact à attendre dans les urnes : à mon avis, tout le monde dort, devant cette émission, non ?