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On l’aura deviné, ici, on aime les mélanges.
Pas simplement parce qu’on aime un peu le bordel (même si on l’aime, c’est clair), pas simplement parce qu’on aime jouer aux savants fous, aux petits sorciers non conventionnés, mais parce que l’opposition de forces judicieusement choisies permet de faire apparaître des formes nouvelles, de nouvelles sensations et de nouvelles images; d’autres perspectives.
C’est ainsi qu’on s’est déjà intéressé aux hybridations musicales, parce que de tous les arts, la musique est sans doute un de ceux qui vit presque uniquement de cette intertextualité, de ces citations, de ces croisements féconds. On avait rencontré DJ Zebra au cours d’un précédent post, on va rencontrer ici un autre sélectionneur de gènes musicaux, un metteur en scène de structures auditives.
Flying White Dots est une sorte de blender qu’on aurait mis en position « velouté ». Loin des mixages à la hâche, il nous propose au contraire des rencontres douces, astucieuses, malicieuses et inattendues (dans le genre malicieux, on pense entre autres au croisement a priori impossible entre le Mama de Genesis, dont on isole ici la voix de Phil Collins, et le titre phare de la B.O. de Kill Bill, sur un ring opportunément nommé « Kill Phil »). On croise sur son dernier « album » (pour peu que ce terme ait aujourd’hui encore un sens) aussi bien Aphex Twin que Squarepusher, DJ Shadow ou Spiritulalized rencontrant les voix de Beck, Damon Albarn, Marvin Gaye, Rickie Lee Jones ou Elton John.
On va livrer ici le titre qui est sans doute le plus magique dans ses dernières productions. « Big eyes », c’est tout d’abord une voix qui, de toutes les voix que la musique pop connaisse aujourd’hui, demeure l’une des plus singulières. Peter Gabriel est en effet, au delà d’un producteur aux ses aiguisés, un chanteur dont on sait bien, après coup, à quel point il constituait la force vive de Genesis, et combien son départ du groupe l’a élevé vers des horizons musicaux bien plus vastes (et a plongé le groupe dans les abîmes de la musique ultra conventionnelle (ok ok, une sorte de rock fm rallongé et plutôt bien tourné, mais rien de plus)). La texture très particulière de cette voix en fait un instrument porteur de messages d’outre-temps, d’outre-espace, d’outre-tombe parfois (on pense par exemple à ce qu’il provoque quand il accompagne les images de Scorcese sur la bande-originale de la Dernière Tentation du Christ, ou celles d’Alan Parker sur celle de Birdy. Cette voix, c’est comme si le sable du désert hurlait, retourné contre son propre silence, c’est comme si la conscience de ce vétéran du Vietnam, en plein ébullition, se mettait à siffler hors de son corps trop emmuré sur lui-même. Ses disques ont cette texture là : de cet homme si proche du commun des mortels résonnent les échos d’une voix qui est au-delà de la simple parole, une voix qui ne se préoccupe pas des mots parce qu’elle EST un langage universel, une voix qui n’a finalement pas besoin de musique parce qu’elle EST la musique.
Cette voix pourrait se suffire à elle-même, aussi, quand Flying White Dots cherche à la marier, il est nécessaire que l’univers sonore soit léger, aérien, qu’il soit un planeur aux ailes larges, au cockpit grand ouvert, pour que la voix de l’ange Gabriel puisse envoyer vers les quatre points cardinaux ses ondes telluriques. Ce vent sonore, c’est ce que sait faire Plaid, groupe anglais, produisant une musique électronique fine, variée, profonde, peu dansante, si ce n’est pour les neurones, qu’elle carresse dans le sens des synapses. De Plaid, les auditeurs de France Inter connaissent au moins un titre, Eyen, qui fut ces dernières années le générique de cette intéressante émission qu’était Charivari (vous savez ? L’émisson de Frédéric Bonnaud qui fait partie de ces spécificités locales du service public, qui ont été sacrifiées l’été dernier sur l’autel de l’audience). Ce générique était une invitation au voyage mental aussi puissante que celui de Daniel Mermet nous invitant à voyager vers les autres.
Eyen deviendra donc le matelas multispires, sur lequel viendra se coucher la voix gabriellienne. On viendra s’y coucher nous aussi, pour simplement planer un moment. Dans ce monde terre à terre , nous avons besoin de refuges aériens, d’alcoves où nous pourrions venir nous lover, non pas pour s’y cacher dans nos angoisses sécuritaires, mais au contraire pour s’aérer les neurones, prendre un bol de grand air, se siroter l’oxygène bien nécessaire pour ensuite plonger dans les eaux troubles de l’existence.
Big Eyes va vous sur-prendre, parce que les morceaux distincts que sont Big Time et Eyend vous ont déjà pris dans leur bras pour vous hisser à eux. Mais leur accouplement existe comme un morceau à part entière, comme si ses deux parents inconscients étaient faits l’un pour l’autre sans même se connaître. Flying White Dots est un entremetteur. Il fait s’accoupler les sons. Et maintenant, c’est à nos enceintes et à nos casques de nous fertiliser le cerveau.
Et comme les choses sont bien faites, cette musique est accessible gratuitement (comme quoi c’est possible):
http://www.flyingwhitedots.com/