Comme tout tenancier de bar doit bien, de temps en temps, se demander ce que ses clients viennent chercher dans son rade, le tenancier de blog ne peut pas s’empêcher de jeter un coup d’oeil sur les raisons qui amènent ses lecteurs à venir le lire.
On en connait évidemment qui viennent juste pour trouver des bonnes raisons de s’énerver (on le remercie); on en connait aussi qui viennent dès qu’ils ne se donnent pas pour défi d’effectuer en un week-end des travaux universitaires qui demanderaient à un homme normalement constitué une année de travail (et on le remercie aussi); on en connait qui viennent quasiment à jour et heure fixe de lastfm pour venir jeter un coup d’oeil (et on le remercie aussi); on a repéré quelques anciens élèves, quelques auteurs d’autres blogs, quelques partenaires de pensée (et on remercie tout ce petit monde qui constitue la petite trentaine de visiteurs quotidien de ce bar suffisamment peu peuplé pour que chaque client puisse y avoir sa bouteille personnelle).
Mais en dehors des habitués, comment les autres atterrissent ils dans les parages ? En faisant des recherches sur Google.
Et là, on découvre avec un certain effroi que la plupart des visiteurs de ce blog sont en réalité des naufragés, et qu’ils ne doivent pas tellement y trouver ce qu’ils cherchaient. Ainsi, si une écrasante majorité ont surfé sur une requête simple, rédigées sous la forme « ubris » (que cherchaient ils ? Aucune idée ! Ils ne laissent pas de commentaire du genre « Ah parfait, je cherchais la définition de l’ubris, et je suis tombé sur un tract de la gauche unitaire, merci beaucoup ! »), en seconde position, on trouve une recherche bien plus précise, qui porte sur la transformation de Buck Angel, acteur transgenre de porno. Est ce que les autres recherches sont plus politiques, ou philosophiques ? Pas vraiment quand on se rend compte qu’un très vieil article qui évoque Arlette Chabot attire d’obscurs individus qui cherchent, une main sur la souris, l’autre dans le caleçon, les mots « Arlette Chabot + »petite tenue » » sur le net (oui oui, le monde est une merveille de diversité).
Bref, on le devine, le tag d’article parfait est celui qui tisse un filet apte à capturer des nageurs qui naviguent en eaux troubles, et si ces eaux manquent un peu de clarté, on le sait depuis que Renaud nous l’a appris, c’est que les poissons y baisent dedans. Bref, le sexe demeure la première raison d’être d’internet, et il est assez réjouissant de se dire que même les plus sérieuses pages sont en fait souvent visitées par des types qui sont en fait à la recherche d’un petit supplément d’âme dans leurs activités de remplissage de corps caverneux.
Dès lors, « letagparfait« , c’était le nom idéal pour un site qui, justement, se donnerait comme mission de s’intéresser sans être simplement complaisant, à cette frange un peu particulière du film qu’est le porno. J’ai bien une vague rubrique « intelligent porno » qui traine dans un coin des catégories, mais elle est pour le moins délaissée (j’ai quelques idées pour la remplir, à vrai dire, mais ce n’est pas ma priorité). Là, le blog d’Agnès Giard, les 400 culs, trouve son fucking buddy occasionnel, puisqu’une équipe de rédacteur s’attaque à cet embranchement un peu honteux du cinéma, celui qu’on met un peu à part dans les repas de mariages, le X. Pas seulement la vidéo, d’ailleurs, mais plutôt tout ce à quoi le sexe peut s’attacher, c’est à dire, en gros, tout.
D’ailleurs, à la réflexion, les présocratiques, s’ils n’avaient pas été un tout petit peu lobotomisés par une manière légèrement contraignante de pratiquer le sexe de manière finalement surtout pédagogique, auraient peut être eu l’idée, au moment de chercher ce qui pouvait constituer l’élément fondamental de la nature, le cinquième élément, qui ne serait ni l’eau, ni la terre, ni le feu, ni l’air, mais qui les constituerait tous, la quintessence de l’univers, d’identifier le sexe. Dans le conte pour enfants de Besson, tout le monde a d’ailleurs bien compris l’image subliminale des sortes de parpaings antiques qui ont des petites bites qui se dressent vers le ciel pour la jouissance cosmique, non ? Bref, si les physiciens de Millet avaient connu la règle 34 de l’internet ( « If it exists, there is porn of it. No Exceptions« , ce qu’Héraclite aurait traduit par « Rien de ce qui est n’est sans être accompagné de sa version sexuelle, sans exception »), alors l’histoire de la philosophie aurait été radicalement différente, et Socrate aurait pu se contenter de se laisser séduire par les jeunes gens alentours sans nécessairement avoir comme méthode de drague de faire mine de vouloir leur tirer les vers intelligibles du nez.
Mais revenons au tagparfait.
Au premier abord, c’est très agaçant, parce que c’est intelligemment fait, et qu’on aimerait bien avoir fait soi même les choses intelligemment faites. Le ton est complice, ça pense sans prendre de postures réfléchies, ça n’oublie pas ce dont ça parle, ça revient le plus souvent sur sa cinquième patte après avoir effectué des paraboles autour de l’obscur objet du désir. Ca ne se prive pas non plus de regarder droit dans les yeux du lecteur, aussi bien dans les meilleurs moments que dans les petites phases d’auto humiliation; comme dans les pornos, justement. C’est, en somme, contemporain, au sens où ça sait très bien ce qu’on peut chercher dans ce genre de production, et dès lors, ça se permet de voir, à travers les expériences évoquées, comment le spectateur, c’est à dire, nous tous, peut être envisagé globalement à partir de ses pratiques intimes. Et c’est finalement bel et bien d’anthropologie qu’il s’agit, puisqu’on y découvre l’homme tel qu’il ne se connaît pas officiellement lui-même, un peu comme si on se mettait à écrire un guide du routard de sa propre libido à l’écart des circuits touristiques déjà mille fois parcourus.
Comme porte d’entrée, je conseillerais assez volontiers les articles écrits par l’auteur Gonzo, c’est toujours bien vu et il y a quasiment une idée rédactionnelle par phrase. Du coup, l’écriture est particulièrement adaptée à son objet, laissant de côté toutes les scènes d’exposition (en gros, c’est l’inverse de ce qui se passe ici, où on ne coupe rien, si vous en avez marre de ce style, je vous conseille d’aller faire une cure d’écriture qui va à l’essentiel sur letagparfait), toutes les transitions, pour aller directement à l’os qu’on a envie de ronger, l’expérience elle-même. Alors, évidemment, puisqu’il s’agit de sexe, on pourrait craindre que ça soit rapidement vulgaire, mais l’écrit sauve tout : même allant à l’essentiel, et même attentif à la manière dont le sexe est vécu, il s’agit de parler du cul, de le mettre en mot, et donc de s’élever au dessus de la chose. Pour autant, ça ne fait pas de chichis, ça ne se perd pas en métaphores, mais ça parle. Et depuis Platon et son Banquet, on sait que c’est dans la parole que réside le véritable érotisme et l’envol, aussi bien de la chair, quel que soit son calibre, que de l’âme (qui n’a pas de taille, ce qui lui évite de devoir être à tout prix TTBM pour atteindre le septième ciel; bonne nouvelle dès lors, tout le monde a sa chance !). Le tagparfait, qui établit patiemment une cartographie des pratiques solitaires, est alors un moment dialectique du transport amoureux.
Et si on devait fournir une preuve du caractère finalement spirituel de l’entreprise lancée par ces explorateurs du runing tag, c’est que la page « à propos » de leur site dit la chose suivante : « Un tag parfait, les quinze minutes de recherche avant ta petite mort. » La petite mort d’un côté, la pensée comme apprentissage de la mort de l’autre. On est toujours dans les passages, dans les coins sombres juste illuminés à la faible lueur du désir.
« Tu ne seras plus seul« , ce sont les derniers mots de cette présentation. On a l’impression de deviner enfin qui est ce « on » qui vient libérer le prisonnier décrit par Platon au fond de sa caverne.
On n’a plus qu’à se laisser prendre par la main, et plus si affinités.
Illustration tirée du travail de Bronwen Hyde, qu’on peut retrouver ici : http://www.bronwenhyde.com
Vu le nombre d’IP différents que j’utilise, je me demande comment tu peux me reconnaître !
Cornegidouille, va-t-on, à travers mon IP actuel, déceler que j’émets actuellement depuis Lyon ? D’ici à ce qu’on me rende responsable (ou la Gauche unitaire, on ne prête qu’aux riches) des « émeutes » qui secouent la ville depuis hier…
Hhhmmmmm… Le problème des encagoulés, c’est qu’ils se masquent moins pour être anonymes que pour avoir leur photo dans facebook avec la cagoule sur la gueule. Et je ne crois pas t’avoir reconnu parmi les porteurs de briquets et de cocktails aux noms outrebalkaniques.
D’autre part, tu fais partie des habitués, pas besoin de traquer tes ip pour savoir que tu franchis le pas de la porte, puisque, en gros, c’est comme si tu avais les clés 🙂