Demain matin, énième AG dans mon établissement.
Si l’histoire était réglée comme du papier à musique, on serait dans un mouvement de type « ritournelle », à ceci près que les instruments jouent de manière de plus en plus nerveuse. En salle des professeurs, les positions se radicalisent, ceux qui sont déjà en grève n’envisagent plus de perdre (mais perdre quoi ? Comment ne pas poser la question alors même qu’on ne sait pas très bien ce qu’on pourrait appeler une « victoire » ?). Chaque jour, ceux qui ne font pas grève (dont je suis), se retrouvent dans un lycée vide, à écouter les clameurs de jeunes bloqueurs, et à un moment ou à un autre, on reçoit la visite de grévistes qui viennent constater avec satisfaction que plus aucun cours n’est donné dans l’établissement, et que le « mouvement » avance.
Passons sur le fait que « mouvement » n’est peut être pas le terme le plus approprié pour des revendications qui se résument de plus en plus au mot « retrait ». Ne soyons pas cyniques, parce que le danger, c’est de pratiquer le divorce entre français que tente de susciter notre gouvernement. Pour autant, on est en droit de se poser quelques questions.
Or, à écouter la dialectique de mes collègues, ce qui serait en jeu, c’est la sauvegarde de la retraite telle que nous la connaissons. Ok. Alors, soyons pragmatiques : pour que quelque chose soit sauvé, il faut 1- un sauveur, et 2- que ce sauveur ait les moyens matériels de parvenir à ce salut. Or, de sauveur, on ne voit point : il n’y a personne qui soit doté de force politique (c’est à dire d’une légitimité à agir, et du pouvoir de le faire) pour sauver la retraite actuelle au sens où les revendications actuelles l’entendent. L’alternative, c’est ou bien Sarkozy, dont on a compris quelles étaient ses intentions, ou bien Aubry dont on aura compris cette semaine qu’elle était liée à DSK. Or le FMI approuve la réforme de l’UMP; donc, de sauveur élligible, il n’y en a pas. Et donc, d’union de la gauche, non plus. A vrai dire, même l’union du PS semble être, si elle arrive, un mensonge (mais toute union de la gauche est un mensonge, de toutes façons).
Allons plus loin, même : ce mouvement n’a en réalité aucun relai politique véritable. On l’a vu, aucun parti elligible ne propose autre chose que ce qui est en train d’être mis en place. Ni le parlement, ni le sénat ne sont constitués de telle manière qu’une majorité permettrait de parvenir à un changement d’orientation. Pire encore, les syndicats tirent une légitimité inespérée du mouvement actuel, mais ils n’en sont ni les organisateurs, ni les dirigeants. C’est certes très romantique de voir dans un mouvement « populaire » une reprise en main par les citoyens eux mêmes de leur destinée politique. Mais c’est un leure : personne ne défile pour suprimer leur mandat à ceux dont ils pensent qu’ils ne les représentent plus. A strictement parler, si ces militants étaient cohérents, ils défileraient pour la dissolution de l’assemblée. Mais on s’en gardera bien, parce qu’on sait bien qu’un tel scrutin reproduirait en gros les équilibres actuels : écrasante majorité favorable au marché, et donc aux réformes actuelles. Dans une certaine mesure, ce mouvement est un déni de démocratie. Pourquoi pas d’ailleurs, mais il ne se présente pas comme tel.
Parce qu’en réalité, l’alternative est là : soit on fait confiance au marché, et on arrive aux conclusions suivantes : les lois qui régissent ce qu’on gagne à travailler ne sont plus que très partiellement décidées nationalement. L’apparition récente des agences de notation, le rôle que joue le FMI dans les orientations économiques le montrent clairement : on peut certes choisir, en France, de fonctionner autrement, ça n’y changera rien, parce que tout choix non conforme au marché est puni par le marché lui même, et comme ce n’est alors qu’une question de temps, c’est un conflit de génération qui ne dit pas son nom. Soit on ne fait pas confiance au marché. Pourquoi pas. Mais alors, il ne faut pas non plus en accepter les fruits, et on conseillera alors aux fonctionnaires, dont je suis, de refuser leur salaire, de renoncer à tout crédit, à toute capitalisation immobilière, à toute participation à ce marché soudainement tant diabolisé. La réalité politique, et démocratique, est plus triste qu’on le voudrait : de Grand Refus marcusien, il n’est pas question. On accepte le marché tant qu’on en profite, et on ne défile actuellement que pour profiter un peu plus, un peu plus tôt, des bienfaits du marché, au mépris des règles d’icelui.
Les meneurs du mouvement peuvent faire semblant de croire que tout le monde est prêt à renoncer à la soumission au marché. Mais on se paie de mots, et on se fait plaisir à bon compte. On peut imaginer quel plaisir il y a à être quelques millions dans les rues du pays à clamer son désaccord avec cette politique. Cela n’enlève rien au fait qu’elle a été élue, et qu’elle a de grandes chances de l’être de nouveau.
Mieux. Pendant qu’on s’excite dans les rues sur des retraites perdues d’avance, on laisse passer d’autres changements qui, eux, permettent à certains de tirer du marché des fruits d’autant plus juteux qu’ils ne sont pas partagés. Personne ne s’oppose au fait de pouvoir acheter de l’électricité à bas coût à des fournisseurs qui obligent EDF à leur vendre cette énergie au prix de production. En somme, des intérêts privés font de la plus value à partir d’un outil de production payé par la collectivité. Personne ne défile non plus pour mettre par terre la meilleure manière de faire de la retraite par capitalisation, qu’est l’immobilier. Et on ne parle plus de ce qui est autrement plus scandaleux dans ce gouvernement : la manière dont il nous habitue peu à peu à maintenir nos avantages acquis en sacrifiant ceux qui n’y ont droit que tant qu’on les y autorise : les étrangers. Le pire qui puisse arriver, finalement, c’est que cette réforme avorte, puisqu’aux yeux de beaucoup, cela contribuerait à rendre le sarkozysme supportable.
A la limite, ces jours de mouvement sont comme un nouvel épisode du storytelling national. On nous occupe, et on croit même être les auteurs de cette occupation. Reste que, pourtant, on offre à ce gouvernement une victoire d’autant plus glorieuse qu’elle aura gagné contre un mouvement de forte ampleur. Comme on dit dans ce milieu là, c’est tout bénéf’.
Demain, donc, AG de nouveau, et de nouveau le sentiment que tout ce petit monde est orphelin, mais ne le sait pas. Et dans mon coin, je me demanderai si mon scepticisme consiste, ou pas, à préférer à ma manière une fin effroyable à un effroi sans fin. C’est ma grande question du moment.
Comme souvent, tu poses très bien une question qui ne correspond pas à la réponse qui est fournie. Je suis d’accord avec toi sur tout ce que tu dis sur le FMI, sur le PS qui n’a plus de socialiste que le nom, sur l’absence réelle d’alternative (même si je crois qu’il y en a réellement une d’alternative, et que, par exemple, l’expérience de Chavez au Venezuela montre qu’on peut faire des choses quand tout le monde dit que c’est impossible, qu’on a la quasi-totalité de la presse écrite et audio-visuelle contre soi, et que les Etats Unis ne sont jamasi loin). Pour autant, la réponse que ces millions de gens fournissent dans la rue, au-delà de la question des retraites (oui, la réforme peut être plus juste, oui, on peut davantage taxer le capital, oui on s’en fout que les riches partent avec leur pognon, oui, on peut sortir de l’union européenne, etc.), ce n’est pas tant une réponse sur les retraites en elles-mêmes et leur financement, c’est une réponse sur au moins deux axes différents :
– Ce n’est plus possible de travailler comme ça, de plus en plus en plus durement, au niveau psychologique, mais aussi et toujours au niveau physique, c’est mon métier, je prétends y connaître quelques petites choses,
– Et surtout « On n’en veut plus de cette société-là, etc. » : le niveau d’indécence des Sarkozy, Woerth, Bettancourt, l’immoralité de ce gouvernement actuel et de ses membres à qui tout est dû et qui n’ont que mépris pour la France qui se lève tôt (ou même pas si tôt que ça mais qui ne sera jamais du Fousuet’s) sont devenus insupportables pour des gens qui ne sont pas des saints, ni des héros, mais qui veulent vivre tout simplement.
C’est marrant, cet apres midi dans la manif, je me disais justement que si la France n’était composée que de ceux qui défilaient, ou de leurs semblables, alors le changement serait possible, et la question de l’alternative ne se poserait même pas, ce ne serait qu’une question de négociation avec les milieux financiers.
Mais électoralement, tout ce petit monde me semble n’être qu’une partie des français, et sans doute pas leur majorité. Des dizaines d’années de promotion du fric ne s’effaceront pas comme ça. On en veut encore, et une majorité ne réclame pas seulement de « vivre tout simplement », mais de flamber, de détruire sans cesse de nouvelles choses immédiatement remplacées par d’autres nouvelles choses qui n’auront à leur tour que le temps d’être promues au rang d’indispensables pour devenir aussitôt démodées. Sans être invités au Fouquet’s, les gens veulent ça : la plaquette digitale à 700€, l’Audi qui affiche le pouvoir économique censé avoir été acquis à la force du poignet, l’intérieur domestique avec tout plein de choses laquées, et des affichages digitaux à droite à gauche, le barbecue américain, l’écran qu’on mesure dans sa dimension diagonale pour qu’il ait l’air encore plus grand, le domicile vitrine de son pouvoir d’achat, la maison signe intérieur de richesse, les fringues qui « représentent »… Si c’est Sarkozy qui est au pouvoir, c’est que les français majoritairement veulent ça, et se lèvent tôt en croyant qu’ils y accéderont. Les casseurs ne s’y trompent d’ailleurs pas : ce sont des 2CV, des 205, des Renault 21 qui brûlent dans les sacrifices matériels, pas les BMW, qui sont la ligne d’horizon commune au manipulateur du Karcher et à ceux qu’il karchérise.
Evidemment, on me taperait sur les doigts si je n’admettais pas que je participe aussi à ces mécanismes et à cet attachement aux objets parfois un poil futiles et coûteux. Mais je sais en gros ce qu’ils valent. Ce n’est pas le cas d’un grand nombre de nos concitoyens, qui considèrent que l’école publique peut bien être sacrifiée si ça peut permettre de mettre sur son A4 flambant neuve des jantes de taille supérieure et un intérieur cuir.
Je ne désespère pas qu’on parvienne à un rapport de forces différent, mais il me semble qu’il est un peu tôt pour le voir réalisé. C’est pour ça que je suis sceptique sur l’issue du mouvement, et que d’une certaine manière, il me semble peu démocratique, tout en ayant raison : les français pensent encore massivement que les entreprises et les actionnaires les rendront riches comme des vedettes de pub. Et ceux qui ne votent pas, dans les banlieues, le pensent encore plus que les autres, on n’ose penser ce que ça donnerait si leur voix s’exprimait dans les scrutins.
La seule chose à faire, à mon sens, c’est attendre.
Mais c’est aussi une bonne manière de décourager ceux que j’ai vu manifester ces derniers temps. Et si je suis volontiers un peu caustique avec ceux qui font de tels mouvements leur métier, j’ai le moral et le sourire qui flanchent quand j’imagine les espoirs brisés de ces gens là, car décidément, cet après midi, ils avaient l’air d’y croire.
Moi, il semblerait que Dieu m’ait retiré la foi…
Stop la grève, arrêtez vos conneries : maintien des concerts de Lady Gaga !
Ca y est, Michel a perdu le sens commun !
N’est-ce pas Nietzsche qui a écrit :
« Écoutez-les nos voix qui montent des usines
Nos voix de prolétaires qui disent « Y en a marre ! »
Marre de se lever tous les jours à cinq heures
Pour prendre un car, un train, parqués comme du bétail
Marre de la machine qui nous saoule la tête
Marre du chefaillon, du chrono qui nous crève
Marre de la vie d’esclave, de la vie de misère
Écoutez-les nos voix, elles annoncent la guerre
Nous sommes les nouveaux partisans
Francs-tireurs de la guerre de classes
Le camp de peuple est notre camp
Nous sommes les nouveaux partisans
Et vous les gardes-chiourmes de la classe ouvrière
Vous sucrer sur not’ dos, ça ne vous gêne pas
Vos permanents larbins nous conseillent la belote
Et parlent en notre nom au bureau du patron
Votez, manipulez, recommencez Grenelle
Vous ne nous tromperez pas, maintenant ça marche plus
Il n’y a que deux camps, vous n’êtes plus du nôtre
À tous les collabos, nous, on fera la guerre »
La preuve est définitivement faite que l’Homme est de loin supérieur à la Nature, et que les rousseauistes veuillent bien me pardonner d’en apporter ici-même la preuve défintiive ! Ce que le mouvement social de l’automne avait réussi à empêcher, eh bien les éléments déchaînés sous forme de neige sur la région Rhône-Alpes n’y sont pas parvenus : Lady Gaga est en concert ce soir à Lyon !
Scoop !
Après son concert lyonnais, Lady Gaga sera à Nancy demain comme tous les premiers dimanches de décembre pour participer au grand défilé annuel en compagnie du Père Fouettard. Elle sera déguisée (notamment porteuse d’une grande barbe blanche et d’une crosse et juchée sur un baudet), mais les enfants qu’on ne peut pas tromper si facilement lui chanteront comme tous les ans :
« Venez, venez, Lady Gaga,
Venez, venez, Lady Gaga,
Venez, venez, et tralala… »
La question qui nous taraude tou-te-s à Nancy (grands et petits enfants) est de savoir qui remplacera Michael Jackson (« mauvais, mauvais, je suis mauvais ») demain dans le rôle du Père Fouettard… Mais peut-être n’est-il pas mort…
Bon Dieu, mais c’est bien sûr ! Toutes mes excuses aux lecteurs et lectrices de ce blog pour les hypothèses fallacieuses que j’ai émises jusqu’à présent. J’étais aveuglé et ce sont les précipitations neigeuses de ces dernières heures qui m’ont ouvert les yeux, en même temps qu’elles assombrissaient le toit de la verrière sous laquelle j’écris ces mots.
Alors que j’étais parti sur le fait que les éléments se déchaînaient pour empêcher les concerts de Lady Gaga, c’était de toute évidence, malgré que j’en aie, un vieux restant de culture rousseauiste qui m’aveuglait. Non, la Nature ne se révolte pas contre le mauvais goût, elle n’en est pas capable : elle doit hélas le subir ! Et la souffrance qui en résulte se traduit par tempête, neige, etc. J’émets même l’hypothèse (hardie, et assez en contradiction je l’avoue avec les convictions qui guident ma vie) que le mouvement social de l’automne était le résultat de la souffrance que la classe ressentait au plus profond d’elle-même à l’idée d’entendre Telephone retentir dans ce pays de civilisation et de culture que reste la France, malgré les tentatives du jkrzsb et de ses séides.
Pour que le beau temps revienne il n’y a qu’une solution : interdiction des concerts de Lady Gagfa aujourd’hui et demain !
Et qui sait si, avec cette décision salutaire, nous n’aurions pas été capable de prolonger de quelques années la vie de Jacqueline de Romilly.
Trop forte cette Lady Gaga ! Afin de poser à la victime, de s’exonérer de son rôle de nuisance sur pattes et pour qu’on ne puisse pas l’accuser d’être la cause des intempéries que nous connaissons (comme nous l’avons montré dans une intervention précédente), elle vient d’annuler son concert de ce soir à Paris. Mais ça ne marche pas ! Enlève ton masque, on t’a reconnue !
Peut-être bien d’ailleurs que Lady Gaga n’existe pas…
En passant cet après-midi par la ligne 6 à côté du POBP, j’avoue m’être surpris à marmonner quelques incantations à voix basse histoire de marabouter un peu plus le concert de Lady Gaga…