« Si seulement je pouvais, je passerais un contrat avec Dieu, et j’obtiendrais de lui qu’il échange nos places ».
Dans les exercices de croisement qu’on rencontre de temps en temps sur le net, c’est le deal que semblent avoir passé ensemble morceaux de musique, paroles, extraits de films quand on a le sentiment qu’ils étaient faits pour endosser le sens des uns par la forme des autres comme si, bien que suivant des lignes de création divergentes, ils étaient en fait soutenus par des ondes porteuses communes.
Ainsi, il y a quelques jours, je tombais sur une mise en image d’un titre de CFCF, You hear colours, dont les sonorités évoluent peu à peu vers ce qui pour mes oreilles évoque le Running up that hill de Kate Bush. On sait la puissance esthétique que peuvent avoir les rencontres entre la musique et les scènes extraites de films, lorsque les entremetteurs savent s’y prendre. En l’occurrence, c’était la Solitude du coureur de fond, de Tony Richardson qui servait de support sur lequel venaient se poser les lignes électroniques de CFCF. Je ne sais si les informations ont circulé selon les mêmes schémas à travers les synapses de celui qui est à l’origine de cette association d’idées, et à travers les miennes, mais il se trouve que lorsque j’avais vu ces scènes de course à travers les collines, j’avais en tête le titre de Kate Bush, par pure association du titre et de l’image. Ce n’est pas, d’ailleurs, qu’il y ait une quelconque méthode de lecture de ces partenariats, mais plutôt que les mashups entre musique et films jouent en fait sur tous les tableaux, et donc, aussi, sur les titres. Effacer les collines en courant au travers, trébucher dans les pentes feuillues de l’automne. Tirer tout droit à travers les obstacles, fuir on ne sait quoi vers on ne sait pas davantage quoi, ne voir que ce point de fuite vers quoi on est tendu, ne rien considérer d’autre, parce que la course ne peut pas être partagée; on court. Seul.
Ce sont les mots de la chanson de Kate Bush, ce qui rendrait tentante l’idée d’un Dieu permettant l’échange des places afin de rompre avec la solitude de celui qui court à travers la vie. Ce sont les images de Richardson, l’isolement de celui qui, inquiet, ne se pose jamais en sédentaire.
Ce sont aussi les mots de Jean-Louis Bory à propos du film de Richardson :
« Le beau titre. Comme tous les beaux titres, il satisfait d’abord à son harmonie propre. Satisfaction qui relève du « charme » poétique. Puis viennent les interprétations. Elles sont au moins deux comme pour toute poésie. Au premier degré nous demeurons sur le plan des apparences, de la réalité pure et simple : il s’agit bien d’un coureur de fond qui, tout le long de sa course épuisante, se trouve seul, livré à ses seules ressources physiques et morales. […] Au deuxième degré, sur le plan du symbole : tout au long de sa vie, assimilée à une épreuve sportive, tout homme est ce coureur solitaire, surtout quand il a choisi la révolte. Tout le film de Richardson se bâtit sur l’étroit enlacement de deux suites de scènes en accord avec cette double interprétation ;[…] La réussite de ce film tient beaucoup à l’étonnante présence de Tom Courtenay. D’un physique plutôt ingrat — qui évoque l’oiseau tombé du nid, le petit animal frileux — il joue avec une étonnante variété. […] Excellente bande sonore où la musique, loin de faire double emploi avec l’image, joue en contraste grinçant (les cantiques sur une des images de passage à tabac) ou indique le sentiment suggéré par le mouvement de la caméra (jazz, par exemple, pour souligner la joie ou le burlesque) ; habilité du montage greffant l’une sur l’autre les deux suites d’images d’une façon dépouillée arbitraire. […] Mais la caméra travaille à suggérer par son mouvement les mouvements sur lesquels l’histoire se déroule. […] Elle s’efforce, court, souffle, halète, s’éblouit en accord avec Smith, ou s’immobilise (plan général) pour mieux s’étendre sur les paysages lorsque les quatre jeunes chiens, au bord de la mer, gesticulent à la limite de l’horizon ou que le coureur s’élance dans la vaste fraîcheur de l’aube. »
Jean-Louis Bory – Des yeux pour voir. (Je précise que le texte de Bory est ici cité tel qu’on le trouve sur la page Wikipédia du film, je vous le proposerai en intégralité sous peu).
Voici ce montage, tel que je l’ai trouvé complètement par hasard sur la page Viméo d’un certain Tommy Boy, dont les autres propositions sont tout autant intéressantes :
CFCF – You Hear Colours from tommy boy on Vimeo.
On conseillera, aussi, l’album de CFCF, Continent, qui parvient souvent, comme ce You hear colours, à rappeler quelque chose sans jamais constituer une simple, ni pâle copie; et parmi les choses qui nous rappellent un peu trop les années 80, celle-ci a l’avantage de ne pas provoquer la nausée, ce qui constitue déjà un exploit.
J’ai décidé de ne pas répondre aux quelques provocations type koulak et anarchiste de droite que notre ami jkrsb a perfidement glissées danss on texte. La meilleure façon de lui répondre, outre d’être en masse dans la rue le 2 octobre, c’est encore à travers un futur pléiadisé, Boris Vian (dont je ne vois pas à franchement parler ce qui lui vaut de figurer dans cette collection, mais après tout, Nietzsche y est bien, quoique l’élan des éditeurs se soit arrêté depuis une dizaine d’années au tome I, les II et III étant manifestement en souffrance) :
C’est le tango des bouchers de la Villette
C’est le tango des tueurs des abattoirs
Venez cueillir la fraise et l’amourette
Et boire du sang avant qu’il soit tout noir
Faut que ça saigne
Faut que les gens aient à bouffer
Faut que les gros puissent se goinfrer
Faut que les petits puissent engraisser
Faut que ça saigne
Faut que les mandataires aux halles
Puissent s’en fourrer plein la dalle
Du filet à huit cents balles
Faut que ça saigne
Faut que les peaux se fassent tanner
Faut que les pieds se fassent panner
Que les tête aillent mariner
Faut que ça saigne
Faut avaler de la barbaque
Pour être bien gras quand on claque
Et nourrir des vers comaques
Faut que ça saigne
Bien fort!
C’est le tango des joyeux militaires
Des gais vainqueurs de partout et d’ailleurs
C’est le tango des fameux va-t’en guerre
C’est le tango de tous les fossoyeurs
Faut que ça saigne
Appuie sur la baïonnette
Faut que ça rentre ou bien que ça pète
Sinon t’auras une grosse tête
Faut que ça saigne
Démolis-en quelques-uns
Tant pis si c’est des cousins
Fais-leur sortir le raisin
Faut que ça saigne
Si c’est pas toi qui les crèves
Les copains prendront la relève
Et tu joueras la Vie brève
Faut que ça saigne
Demain ça sera ton tour
Demain ça sera ton jour
Plus de bonhomme et plus d’amour
Tiens! voilà du boudin! voilà du boudin!
Voilà du boudin!
Le commentaire précédent correspondait en fait au post « Boureau de travail ». Si le taulier peut le déplacer…