Puisque Michel, qui est un peu notre Huggy les bons tuyaux à nous, mentionne cet autre titre consacré à Angela Davis, par Yoko & John, partageons le aussi, ça bouclera notre tour du monde des hommages.
Cette référence aura au moins une vertu : confirmer que je suis décidément davantage Rolling Stones que Beatles. Certes, ces derniers auraient difficilement pu soutenir tous ensemble Angela Davis en 1972, puisqu’ à cette date, ils étaient séparés depuis deux ans. Mais effectivement, comme le rappelle Michel, Lennon et Ono insérèrent dans leur album « engagé » Some time in New-York, entre une indignation suscitée par le fonctionnement des prisons et une prise de position sur le conflit irlandais, cette chanson dont Angela Davis est l’héroïne, sobrement intitulée « Angela« .
Vous vous dites que c’est à peu près le titre qu’on donnerait à une chanson dont Mme Davis serait le personnage principal si on n’avait pas d’inspiration au moment de lui donner un titre ? Rassurez vous, il en va de même des paroles, qui s’en tiennent au strict minimum descriptif : on a emprisonné Angela, elle fait partie des millions de prisonniers politiques dans le monde, les choses changent (Dylan l’avait déjà dit), il y a des millions de races dans le monde mais un seul futur à partager (Miss Monde doit tenir ce genre de propos aussi). Bref, la chanson fait un peu trop exercice contraint, et on passe son temps, en l’écoutant, à regretter le manque de coeur de l’ensemble (mais que Yoko Ono ait un coeur, voila quelque chose qui relève de l’hypothèse non vérifiée) et d’engagement (le comble, pour un double album qui mise toute sa première galette sur le militantisme politique, se souvenant subitement pour le second volume que c’est de la musique qu’on est censé faire dans un disque, et propose des sessions live, dont une expérimentation plutôt réjouissante avec Zappa et ses Mothers of Invention); tout se passe en somme comme si Lennon avait compris que pour vendre de la musique, il fallait l’emballer dans un air du temps, devançant les chanteurs qui croient qu’il suffit d’avoir l’air « concernés » et de brandir les causes comme autant de panoplies de circonstance pour, tout en touchant de massives royalties et accumuler des fortunes semblant toujours insuffisantes, se mettre hors de cause; les Zazie et les Calogero, les Cali et les Renaud ont bien compris que l’étendard de l’indignation était un bon cache sexe, brandi devant le paquet pourtant déjà classé TTBM de leurs revenus. Et on sait ce que Yoko Ono pensait des revenus de son cher, tendre et fortuné mari.
Finalement, on ne peut qu’être d’accord avec Michel : c’est Pierre Perret qui, parmi les français, propose dans Lily de Perret le meilleur portrait d’Angela Davis, même s’il est succinct. Au moins, on échappe aux poses sentencieuses, on demeure dans une simple fraternité humaine, dont seuls ces rares chanteurs sans ego sont capables, et l’évocation d’Angela Davis, si elle n’est pas politique, ne prend néanmoins pas la forme d’un détournement la mettant au service de ce qu’il faut bien appeler le capital. Ce sera sans doute un des très rares parallèles qu’on pourra tisser entre les Stones et Pierre Perret, mais il en va des musiques qu’on écoute comme des amis, on les sait souvent incompatibles entre eux, mais on peut tenter parfois de les faire se rencontrer.
Quant à Lennon, je ne sais si c’est être mauvaise langue que de considérer les 10 minutes de silence à sa mémoire, filmées par Depardon le lendemain de son assassinat, dans un Central Park noir d’un monde blanc comme ce que mes oreilles supportent, de sa part, le mieux.
Du coup, je regarde de nouveau ce plan séquence de dix minutes, qui me laisse soudain sceptique. Pour paraphraser Perret, qui a ces mots à propos de l’Amérique découverte par sa Lily (« Elle aurait pas cru sans le voir, que la couleur du désespoir, là-bas aussi ce fut le noir »), on pourrait s’étonner de voir que pour un homme qui avait ainsi chanté à la gloire d’Angela Davis, dans Central Park ce jour là, la couleur du chagrin, c’était le blanc. Soit le message était mal passé, soit Lennon ne chantait en fait jamais qu’à sa propre gloire.
A working class hero is something to be… Ne sois pas trop dur avec John Lennon !
Il y a des fois où je n’ai vraiment pas l’esprit d’à propos : ainsi citer « Working class hero » chez le plus nietzschéen des blogueurs, ca (désolé pas de cédille, j’ai de nouveau un clavier étranger, et encore on a échappé au pire : jusqu’à ce matin, j’avais un clavier tchèque dont les règles de fonctionnement sont à l’aune de la logique linguistique de ce peuple : ainsi une eau minérale plate se dit une eau non-gazeuse, c’est sûr qu’aqua simplex quand elle tombe du ciel, elle pétille naturellement, mais je crois que je m’égare…) n’est pas caresser le taulier dans le sens du poil. Si j’ai un peu de temps, à mon retour en France, qui ne saurait tarder, histoire de mettre un peu d’animation ici, je pense que je dirai tout le bien que je pense du livre de Wolfgang Harich « Nietzsche et ses frères » qui dit bien mieux que moi tout le délire qui anime ceux qui se revendiquent à la fois d’une pensée progressiste et de Nietzsche.
Ce qui n’empêche que j’en connais au moins un qui est estimable, mais bon…
Je serais le plus nietzschéen des blogueurs ? 🙂 hmmmm… je ne sais trop comment le prendre… J’aurais plutôt dit que dans mon processus de lecture, me laissant un peu faire par ce que je lis (sinon, pourquoi lire ? Ou alors, il faudrait ne lire que ce qu’on aurait soi-même écrit ?), il est possible que certains aspects de ce que j’exprime soit un peu marqué par une espèce de nietzschéisme. Je relativiserais cependant : je ne prétendrais pas avoir compris le bestiau. En revanche, il est vrai que sa lecture m’a rendu attentif à des aspects de la vie qui me seraient sinon restés peut être opaques, ou inaperçues.
Maintenant, évidemment, le personnage me semble un peu incompatible avec ce qu’on appelle actuellement la « gauche », et je sens bien les tensions que cette pensée crée en moi : peu d’auteurs m’auront donné autant l’impression de mener à une sorte de trahison de soi (mais en même temps, ici encore, lire et penser pour n’être que fidèle à soi me semblerait inutile : je sais déjà ce que je pense). Ce la me semble témoigner non pas d’une incohérence personnelle (non pas que je sois cohérent, mais pas besoin de lire Nietzsche pour s’en apercevoir !) mais d’une insuffisance de la pensée de gauche, du moins telle que je la comprends. C’est plutôt une bonne nouvelle : il y a là matière à penser. Et je devais plus ou moins le sentir venir : ca fait un moment que je veux me lire Lukacs, qui m’est jusque là totalement étranger, ainsi qu’Aymeric Monville, dont la « misere du nietzscheisme de gauche » m’attire depuis un bon moment sans que je m’y sois penché (je sens trop les baffes que je vais y prendre). J’ajoute donc Wolfgang Harich, que je ne connaissais même pas de nom, à ma liste !
Ah ben tiens, si Nietzsche est une crevure et si les « intellectuels » de « gauche » nietzschéens finissent toujours par tomber du côté duquel ils penchaient dès le début (voir Les intellectuels contre la gauche de Michael Scott Christofferson dont nous avons déjà parlé ici je crois), c’est-à-dire à droite, c’est la faute d' »une insuffisance de la pensée de gauche » ! Si c’est pas un nietzschéen qui écrit ça, je me demande ce que ça peut bien être !
Sauf si je me trompe l’éditeur de Wolfgang Harich (et de Lukacs) en France pourrait bien être justement Aymeric Monville ! Le monde est vraiment petit.
Argos, je l’aime bien ton papa, mais des fois il me gonfle !
N’étant ni le père d’Argos, ni un gaz, je me crois innocent des faits qui me sont reprochés !
Cependant, je pourrais difficilement répondre sur la question de mon nietzshéisme supposé ou du côte où je pourrais tomber. Mais bon, je crains de ne pas parvenir à voir en Nietzsche une crevure, même si je me méfie de ceux qui s’en réclament trop. Mais je peux concevoir que des mouvements dogmatiques aient un problème avec un penseur qui remet en question l’idée même de vérité (je reprends mon état gazeux, là :)).
Christofferson, je dois le rajouter à ma liste, ça m’avait déjà intrigué à propos de Foucault lorsque tu l’avais évoqué, et j’avais noté la référence dans un coin (un coin un peu enfoui, certes). Il était temps de la deterrer !
Ah ! A propos de Working Class Hero; j’en avais deux souvenirs. L’un par Noir Désir, mais Cantat semblait pressé d’expédier le morceau, comme un hommage un peu forcé dont on se demanderait, au moment de le faire, s’il est justifié. L’autre, par Green Day, est ce genre de trahison qui révèle que ce qu’elle trahit était déjà de l’ordre de la traitrise, comme si cette chanson se portait mieux avec des habits carrément commerciaux. Et c’est un peu ça le problème avec Lennon : c’est de la marchandise qui ne s’assume pas. Heureusement, le marché finit toujours par démasquer ce genre de faux-semblants.
Le verdict va tomber. Sévère mais juste. En raison de ses multiples errements passés, présents et à venir dans tous les domaines culturels (la vie privée, on va éviter de s’en mêler, histoire d’éviter les effets genre boomerang), le jkrsb, fallacieusement connu sous le pseudonyme de Youri Kane (tout ça pour s’entraîner en douce à murmurer « rosebud » sur un lit de mort que nous souhaitons très éloignée malgré tous les crimes qu’il a commis) est condamné, en cette période de pré-pré-rentrée, à commettre ici-même un texte d’hommage (que nous tolérerons critique) à Michel Clouscard. L’hypothèse sous-tendant cette condamnation est que le jkrsb, fourvoyé dans des lectures douteuses d’un certain N….sche, est en fait un clouscardien qui s’ignore. Son passé estimable, notamment dans le domaine de l’éducation populaire, est un argument supplémentaire pour appuyer cette hypothèse.
Dans sa grande bonté, la cour, reconnaissant la difficulté de la tâche, notamment en raison de la qualité initiale de sociologue de Michel Clouscard, autorise le jkrsb à se faire aider d’un étudiant de master 2 de sociologie, de connaissance commune, auquel il est par ailleurs conseillé vivement de se sortir les doigts du cul s’il veut rendre son mémoire dans les délais prescrits sans nous faire le coup habituel du : « Je suis un gros nul, je fais que de la daube, je suis tout juste bon à devenir un disciple de Bruno Latour. »
Non, mais… Fini de rigoler !
Grâce au renfort du moine copiste qui officie généralement pour le jkrsb, je soumets à la sagacité de l’honorable assistance publique l’extrait suivant :
« Nietzsche a constamment, et avec raison, souligné sa propre « inactualité ». Mais celle-ci n’est pas synonyme d’étrangeté par rapport à son époque. Ceux qui prétendent isoler cet auteur de son contexte historique et politique, en le plongeant dans un bain d’innocence finissent par faire beaucoup de tort à celui-ci qu’ils prétendent pourtant vénérer. La célébration de l’esclavage comme fondement intangible de la culture est-elle uns simple métaphore ? Devons-nous supposer que le philosophe ignore complètement le débat qui fait rage à son époque et dans son entourage sur cette institution juridique ? Quant à la revendication de « castration » des délinquants et « d’anéantissement des races inférieures », de quoi donc seraient-ils la métaphore ? On a parfois voulu lire, de façon métaphorique et innocente, la volonté de puissance comme un art. Or chez Nietzsche, celle-ci n’a pas seulement une fonction éminemment politique, mais peut aussi exprimer une terrible charge de violence. « Certains artistes à l’ambition insatiable, qui défendent opiniâtrement et avec intransigeance le privilège des hommes supérieurs contre les bêtes de troupeau » peuvent jouer un rôle de pemier plan dans le « renversement des valeurs » dominantes. D’un autre côté, les grands hommes appelés à en finir avec les dogmes de « l’égalité des droits » et de la « pitié pour tous ceux qui souffrent » doivent faire preuve d’une volonté artistique de premier ordre ».
Domenico Losurdo – Nietzsche philosophe réactionnaire – éditions Delga 2008.
Quant à la volonté artistique de premier ordre, il va falloir que je réfléchisse à ça à travers Clouscard et « son » (façon de parler) néo-kantisme.
Arf ! On parle de moi ? Comme c’est étrange ! Cette phrase (« Je suis un gros nul, je fais que de la daube, je suis tout juste bon à devenir un disciple de Bruno Latour »), est presque exactement (hormis en réalité la dernière partie) celle qui me vient à l’esprit depuis une dizaine de jours ! 🙂
Quant à la mission que la Cour me confie d’épauler Youri pour amener le bonhomme à une meilleure compréhension de ses racines apparemment plus clouscardiennes que nietzschéennes, je m’excuse infiniment mais, s’il m’est arrivé de connaître et d’apprécier (encore !) des Michel, le nom de Clouscard m’était jusqu’alors parfaitement inconnu !
Bon, désolé de ne pas pouvoir contribuer à la réflexion qui a cours ici, mais je dois effectivement, pour reprendre phrasé délicat du juge d’instruction, me sortir les doigts du c.., et retourner à mon mémoire si je veux remettre celui-ci « en temps et en heure » ! 🙂
Ah ce n’est pas seulement « Misère de la philosophie », c’est aussi « Misère de la sociologie », alors ! Je savais Clouscard peu « tendance », je ne l’imaginais pas si marginalisé dans les sphères académiques !
Moi non plus ! Forcément vas-tu me dire… 🙂
Cependant, je ne me fais pas trop d’inquiétude pour la sociologie, il me semble qu’elle est en bonne santé ! Et, qui sait ?, si Clouscard n’a pas été retenu dans l’histoire de celle-ci, ne peut-on pas faire l’hypothèse (peut-être impertinente) que c’est parce qu’il n’a pas été si marquant pour elle ? Dans deux ou trois siècles, peut-être que Bourdieu lui-même sera oublié des étudiants de sociologie… Et puisqu’on peut tout imaginer, Clouscard sera peut-être au hit parade sociologique à ce moment là ! 🙂
Ca, c’est une réflexion typique de libéral-libertaire, Clouscard va se retourner dans sa tombe !
Je suis pas certain qu’on puisse affirmer que Clouscard ait disparu des mémoires humaines. J’étais tombé sur son nom dès lors que j’avais cherché des bibliographies croisant les noms de Christofferson, Monville et Lukacs. Maintenant, je crains qu’il y ait des auteurs dont la seule survie consiste à apparaître dans des bibliographies sans que leurs livres soient désormais lus. Ainsi, pour trouver un exemplaire d’un ouvrage de Clouscard dans une bibliothèque parisienne, il faut se contenter de deux volumes, ce qui fait peu s’il a vraiment l’importance que Michel lui prête.
Quant à la loi du marché, fut-il culturel, je crains qu’elle ne soit pas l’exacte réalisation du jugement dernier permanent de l’Histoire décrit pas Hegel !
Et pour ce qui est d’avoir des racines, les miennes seraient plutôt a priori judéo-chrétiennes. Autant dire que j’envisage plus la lecture et la réflexion comme une manière de s’en détacher que comme une tentative de les retrouver, et il n’y a rien d’aussi puissant, en lecture comme en art, comme en matière de rencontre, que de trouver chez l’étranger le sentiment d’être revenu chez soi après une longue errance.
Mais j’ai un exemplaire de Clouscard qui devrait m’attendre aujourd’hui même dans une bibliothèque ! 🙂
Je ne sais pas si le Tribunal de l’Histoire (qui serait celui de la Raison d’après Hegel ?) a condamné M. Clouscard à errer éternellement dans les limbes (ce qui n’est pas vraiment le cas puisqu’il y a encore, actuellement, au moins quelques ouvrages et idées de cet auteur en circulation, et le fait même qu’il soit évoqué ici prouve qu’il n’est pas complètement tombé dans l’oubli (merci Michel) !), mais je me demande si sa relative marginalisation des cercles académiques n’est pas tout simplement lié au fait qu’il est le contemporain de sociologues dont les idées ont emporté, comparé aux siennes, davantage d’adhésion(s). Voir par exemple le cas emblématique de Gabriel Tarde et Durkheim, où le premier a presque été « éliminé » par le second dans le cadre d’une sociologie en construction. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Et bien il se trouve qu’on (re-)découvre Tarde, grâce notamment à Bruno Latour qui s’évertue à le réhabiliter !
Si j’ai bien retenu ma leçon, la réhabilitation de Gabriel Tarde (à mon tour de découvrir un nom, mais je ne suis ni philosophe, ni sociologue, moi !) par Bruno Latour (horresco referens !) vaut plutôt (con)damnation définitive !
Plus à mes yeux en tout cas 🙂
Les bacs à compost d’ire que j’avais à déverser sur la tête de Bruno Latour ont diminué de volume ! Et puis Tarde, indépendamment de son promoteur actuel, a sans doute un intérêt propre, comme d’ailleurs Clouscard, j’en suis convaincu !
Bruno Latour réhabilité ! Mais il faut prévenir l’AFP pour qu’elle fasse une dépêche ! L’axe de la terre est en train de changer d’inclinaison et on ne me prévient pas !
Rendez-vous le 8 décembre avec Nowhere boy.