Intéressante indignation d’un collègue, sur son blog supposément « distancié, très distancié, très très distancié » à propos de l’institution qui l’emploie, en l’occurrence, l’éducation nationale. Indignation face au fait que la violence qu’a subie un collégien (derrière le mot « violence », il faut comprendre qu’il s’agit en fait d’une gifle) n’a pas encore donné lieu à une punition de la plus extrême sévérité envers l’enseignant qui l’a giflé.
Ainsi donc, la seule violence qu’aurait connue cette classe devenue théâtre d’un fait divers, c’est une gifle, et on ne doit voir dans l’insulte aucun comportement violent, ni envers le professeur, ni envers l’institution qu’il représente. je ne sais pas dans quel établissement travaille ce collègue si prompt à en condamner un autre (sur le témoignage d’un article du Figaro… humm hmmmmm… on cite à comparaître qui on peut…). Mais si il n’a pas repéré que les enfants, les adolescents et les jeunes ont, entre eux, des comportements violents, c’est qu’il les considère sans doute avec un angélisme un peu trop zélé. La journée d’un collégien, aujourd’hui, c’est une journée qui a pour bande son un chapelet d’insultes, d’insanités, de remises en question de la vertu de sa mère, de promesses de rupture de cette vertu par la force de la part de ses innocents camarades. Bien sûr, le boulot de prof était tranquille tant que cette violence ne s’exprimait qu’entre élèves, et qu’on considérait cela avec l’aimable condescendance dont on est capable devant les phénomènes qu’on maîtrise mal. On est un peu plus embarrassé quand cette brutalité verbale s’adresse aux enseignants eux-mêmes. On comprendra que le meilleur moyen de s’en sortir est de faire de cette gifle un cas particulier constituant l’exception, et soupçonner que l’origine du geste ne soit pas l’enfant lui même, mais la violence substantielle de l’enseignant.
C’est commode, et rassurant. Du moins pour sa bonne petite conscience. On gagne sans doute en tranquilité d’âme quand on se donne l’impression de sauver la veuve et l’orphelin (même si manifestement, l’orphelin en question a un père, et que celui-ci sait, aussi, y faire en matière de réactions « marquantes ». C’est d’ailleurs assez amusant de voir comment certains sont capables de refuser au monde enseignant toute forme d’autorité, et sont prêts, en revanche, à se mettre au garde à vous, dans un alignement parfait, devant les forces de l’ordre. On comprendra selon quelle logique cette rébellion choisit ses cibles… ).
Il ne s’agit certainement pas de dire ici que la gifle est à inscrire parmi les moyens pédagogiques. Il ne s’agit certainement pas d’en faire l’éloge. Cependant, l’immédiate catégorisation dans la case « violence » me semble trop facilement édifiante pour le lecteur lambda pour être intellectuellement satisfaisante. Et toute situation n’est pas forcément pédagogique, y compris au sein de la salle de classe. Parce que pour qu’il y ait pédagogie, il faut qu’au départ il y ait un contrat clair entre les participants du cours : l’un est là pour enseigner, et les autres sont là pour apprendre, ce qui réclame de se plier aux consignes, y compris quand elles sont contraignantes. Tout le monde a eu, au cours de sa scolarité, des professeurs qui ne prenaient pas de gants, peut être même des enseignants qui semaient la terreur dans les rangs de leurs classes. Et pourtant, il n’est pas sûr que ce soient eux qui nous aient le moins appris de choses, dans leur discipline tout d’abord, mais aussi dans ce qu’on pourrait appeler « la vie ». Si pour l’écrasante majorité d’entre nous, la situation n’a jamais dégénéré dans le geste physique qu’est la gifle, c’est qu’on avait appris, entre autres choses, à se plier à une discipline qui s’incarnait parfois dans la rudesse de nos enseignants, en qui nous avions cependant suffisamment confiance pour accepter cette soumission volontaire, sans laquelle il n’y a pas d’apprentissage (à moins de considérer que l’enfant est bien assez grand pour apprendre tout seul, et que l’enseignant est simplement là pour valoriser ses hypothétiques progrès, applaudissant et sabrant le Champomy lorsque l’élève découvrira enfin par lui même les identités remarquables).
Alors, en effet, on peut imaginer que le collègue ne gifle pas ce collégien insultant. On peut aussi imaginer qu’il n’y ait pas eu d’insultes. Mais voilà : il y a eu insulte, et il faut bien réagir. Evidemment, on peut imaginer que le collègue se contente de dire à l’élève qu’il en réfèrera à l’administration de l’établissement. Mais quoi ? N’est ce pas indiquer à l’élève qu’il peut s’installer pour de bon dans le club des insultants ? Que va t il arriver à cet élève si on le signale à la hiérarchie ? Je veux dire : quel déplaisir supérieur au plaisir ressenti à insulter va t il rencontrer ? Une discussion avec le principal ? une colle ? un renvoi ? Dans mon lycée, une insulte du type « grosse pute », assénée à une collègue qui signale simplement à une élève qu’elle n’a pas le droit d’importuner les autres avec la musique qui lui sert à mimer ses quelques mouvements de tektonik, ne coûte à cette élève qu’un jour et demi de renvoi. Voila le tarif. Que les élèves et les donneurs de leçons enregistrent bien cette simple info : on insulte un prof, et on revient le surlendemain dans son cours, en ayant purgé une peine qui n’en est pas une. Et on pense avoir éduqué l’enfant, puisqu’il a échappé à toute violence.
Or, deux choses sont à prendre en compte, si on veut être un peu efficace. Tout d’abord, l’enseignant n’est pas le seul à subir les insultes (qui deviennent de plus en plus courantes). Les subissent aussi tous les élèves qui y assistent, et qui sont encore un peu « cadrés » par leur propre éducation. Pour ceux là, il n’est pas normal qu’un enseignant soit insulté, et ce genre de situation est une situation d’insécurité. Si ils étaient en confiance, on est au moins sûr qu’à partir de ce jour là, ils ne le seront plus. Or, il ne s’agit pas de faire leur faire croire que le prof est pas nature un être supérieur et dominant, qui peut tenir de sa poigne ferme et assurée tout contrevenant à l’ordre public. Il s’agit de faire saisir à l’élève que cette force, il n’en est pas dépositaire, mais qu’il la tire de l’institution toute entière. C’est d’ailleurs là qu’on pourrait attaquer la gifle du collègue : à strictement parler, ce n’était pas à lui de la donner. Mais dans une institution qui a décidé de ne jamais sanctionner sévèrement, qui « comprend » toutes les situations, les « interprète » comme des signes de souffrance, les « excuse » presque par avance, on peut comprendre que le professeur reprenne à son compte la force que l’institution n’a plus le courage d’exercer.
D’autre part, les enfants ne sont pas innocents. Un collégien sait très bien ce qu’il fait quand il insulte, et il sait l’effet que ça produit sur la classe. Or, pédagogiquement, il est de la plus haute importance de ne pas laisser les enfants prendre cette place et développer ce genre d’effets. Aussi épouvantable que cela puisse paraître à certains, il est même nécessaire que l’enfant apprenne à s’écraser, y compris devant l’injustice éventuelle dont il pourra faire l’objet, précisément parce qu’il n’est qu’un enfant. Et à trop vouloir le protéger contre toutes les formes de contrariétés, on le met finalement en danger puisqu’on casse les cadres qui vont permettre sa socialisation. Or ces cadres sont toujours, au départ, vécus comme une violence. C’est d’ailleurs simple : tout ce qui va contre ma volonté est violent : m’imposer des horaires de cours qui ne me conviennent pas, c’est violent. Me rappeler à l’ordre quand je trouble ce dernier, je le ressens nécessairement comme une violence, surtout si à ce rappel s’ajoute la honte d’avoir vécu ce moment en public. L’école est, aussi, l’endroit où l’on fait ce genre d’expériences. Et ce sont ces blessures narcissiques qui forment la personne qu’on devient. Certainement pas la complaisance des adultes envers ces actes qu’on envisage un peu trop facilement comme « compréhensibles ».
Ajoutons à la démonstration de ce collègue la citation d’un livre d’un livre d’Alice Miller, « Briser les murs du silence », qui doit avoir pour but d’informer les parents que derrière les murs des écoles se cache une sorte de version avec enfants de « Hostel » ou de « Saw », et que tout enfant plongé dans ce bain de sang ne peut qu’en ressortir traumatisé. Ce que je vois, moi, c’est un tout autre tableau : je vois, par exemple, des élèves suivant des filières littéraires, bien que n’ayant ni goût ni culture pour cela, parce qu’ils sont peur d’intégrer des filières STG qu’ils jugent excessivement violentes pour eux. Et cette violenceà laquelle ils tentent d’échapper n’est pas celle des élèves, mais bien celle d’adolescents auxquels on a laissé un peu trop croire qu’ils pouvaient tout se permettre, puisque rien ne s’opposerait à leur volonté débordante. Or on sait tous que si on nous lâche la bride, ce sont des énergies bien peu altruistes qui nous animent. Et ni les enfant, ni les adolescents n’échappent à cela, et ce d’autant moins que des adultes complices trouvent leur propre compte idéologique dans la seule défense de leurs droits, y compris quand cela revient finalement à dire que les élèves ont le droit de semer la terreur dans leur classe. Evidemment, on va me dire que je suis excessif. Evidemment on va s’indigner. Mais s’il s’agit de plaider la justice pour les élèves sans accepter qu’une quelconque force (avec tout ce que ça comporte de contraignant, y compris physiquement) s’applique sur eux, alors, on peut retourner cela dans tous les sens, cela revient bel et bien à dire aux élèves « allez y, insultez, violentez, vous en avez le droit ». Ce qui est effectivement le cas : en l’absence de toute autre forme de droit, les élèves, comme tout un chacun, on le droit naturel de faire preuver de violence.
La violence visible de la gifle dissimule derrière elle toutes les petites violences sourdes de l’absence de réaction devant la violence des élèves. La compréhension et le refus de la sanction sont des violences bien plus efficaces que les gifles, parce qu’elles installent une situation d’incertitude et d’insécurité qui peut, ensuite, justifier toutes les violences individuelles. Et la condamnation sans recul de ce collègue participe finalement de cette violence (et ce d’autant plus qu’on sent dans l’acharnement pas mal de complaisance, encore).
Il est dès lors impossible de valoriser la gifle, parce qu’elle est un constat d’échec. Mais la condamnation pure et simple condamne avant tout à la répétition du geste, par exaspération et par nécessité de se défouler devant une situation rendue impossible, non pas à cause des élèves, qui ne sont que ce que la bonne conscience des adultes en fait, mais bel et bien à cause d’adultes trop contents de réussir à masquer leur incapacité à faire entendre raison (ce qui ne se fait pas toujours uniquement dans la douceur) aux élèves derrière une apparente défense des enfants eux-mêmes.
Il est d’autant plus regrettable que les enfants eux-mêmes ne soient pas aptes à reconnaître où se trouvent leurs véritables défenseurs.
Illustration : bien sûr, il s’agit d’une des photos les plus connues de William Klein. Bien sûr, aussi, elle sera jugée excessive en tant qu’illustration de mon propos. Et elle l’est ! Mais bon, il y a des éléments intéressants là dedans : le mimétisme de la violence pour l’un des enfants, dont on peut imaginer qu’il fait la part des choses, et sait qu’il est en train de jouer; le regard admiratif de l’autre enfant, dont il est plus difficile d’imaginer ce qui se joue en lui quand il assiste à ce spectacle. Dans la classe, il en va de même : à la limite, entre l’élève insultant et le prof gifleur, les choses sont claires. Mais ce que ce dernier doit gérer, aussi, c’est le regard du reste de la classe. Et dans celle ci comme chez cet enfant spectateur de la violence mimétique d’un autre, il est difficile de préjuger de ce qui est en jeu.
este une question : pourquoi y a-t-il insulte dans ce cas précis et d’une manière plus générale ? N’existe-t-il pas un problème de relations entre les enseignants et les élèves. Sans généraliser, on peut tous constater que les élèves subissent des formes d’irrespect de la part de certains de nos collègues… et de l’institution scolaire en général.
Je n’excuse pas la gifle mais je peux la comprendre.
je n’excuse pas l’insulte mais je peux aussi la comprendre.
On n’avancera pas si on ne se pose pas les bonnes questions.
Et pourquoi les mêmes enfants se croient ils identiquement tout permis dans le métro, le bus ? Est ce parce que les passagers, eux aussi, ont manqué de respect à ces enfants ? Ou n’est ce pas, plutôt, qu’à trop vouloir comprendre l’incivilité chez les enfants, et à trop vouloir ne leur opposer aucune résistance (que cela soit du à une sincère conviction, ou à de la lâcheté (l’un cachant parfois l’autre)), on encourage chez eux des comportements qui remettent en question, à long terme, la possibilité de vivre en sociéte ?
Autre symptome « parlant » : pourquoi des enseignants aguerris, expérimentés, du genre à donner aux élèves et à les tenir en très haut respect reviennent ils de plus en plus de leur classe les machoires serrees, pour ne pas craquer dans les couloirs, devant les élèves, après des heures passées à devoir supporter le mépris de ceux envers lesquels ils n’ont, pourtant, aucune haine ? Je veux bien qu’on se pose les bonnes questions, mais il ne faut pas que cette expression serve à, justement, éviter de les poser…