Droit de Citer

In "CE QUI SE PASSE", 24 FPS, CINEMATOGRAF, D'AUTRES MONDES, LES AFFAIRES CLASSEES DE L'INSPECTEUR HARRY, MIND STORM, SCREENS
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Dans les enquêtes harrystautéliciennes, quelques lignes de Godard, chipées dans le numéro des Inrockuptibles de cette semaine, à propos de la dette extérieure de la Grèce, et de ce qu’on pourrait appeler « d’autres valeurs », ou bien l’origine des valeurs actuelles, peuvent être lues.

Mais l’interview est intéressante à d’autres titres, ne serait ce que dans sa dimension politique : Godard y revient à plusieurs reprises sur la question des droits liés aux oeuvres. A l’heure où Hadopi tente de lancer ses premières menaces, lorsque certains rêvent de voir tous les ordinateurs français badgés « loppsi inside », déjà dépassés par ceux qui trouvent que « Acta », ça sonne plus contemporain, parce que plus « planétaire », qu’un artiste ne nous joue pas le couplet de la ruine induite par les moyens de communication du moment fait plaisir à lire, à défaut de permettre de disposer d’un modèle économique fiable pour garantir ne serait ce qu’un salaire minimal à ceux qui produisent ce qui, ensuite, se répand.

On ne doute pas que nombreux sont ceux qui considéreraient les revenus de Godard comme décevants au regard de ce que l’industrie du cinéma peut laisser espérer à ceux qui n’en ont jamais assez. Lui a l’air de ne pas se plaindre plus que ça. Il a surtout l’air de se concentrer sur autre chose, qui semble placer ses gains sur un second plan, celui des moyens, l’essentiel semblant se cacher quelque part, au dessus.

On ne s’étonnera pas, dès lors, de constater que s’il ne semble pas se préoccuper outre mesure de la commercialisation de ses oeuvres, préférant délirer gentiment sur des hypothèses délirantes de distribution de son dernier film via un couple de parachutistes largués au hasard sur le territoire, il ne se considère pas, non plus, comme propriétaire de ses films, ne réclamant pas de droits à ceux qui récupèrent dans ses propres métrages de quoi alimenter leurs propres montages.

Il serait difficile de résumer le cinéma de Godard à quelques mots tentant de le définir. Néanmoins, la citation est au coeur de ses films, qu’elle ait sa source dans la littérature, la peinture, la musique ou le cinéma lui même. Chez lui, il faut que les images, les plans, les séquences, circulent, parce que c’est dans ce mouvement qu’ils gagnent en sens; il n’y a pas de culte de l’image seule chez Godard, et au sens strict, on peutdire qu’il fait de l’image mouvement. Evidemment, ça a des conséquences économiques, dont on peut dire que les mesures actuelles concernant la circulation des oeuvres n’ont pas exactement saisi l’importance :

« Si on dit socialisme, on peut parler de politique. Par exemple de la loi Hadopi, de la question du téléchargement pénalisé, de la propriété des images…
– Je suis contre Hadopi, bien sûr. Il n’y a pas de propriété intellectuelle. je suis contre l’héritage, par exemple. Que les enfants d’un artiste puissent bénéficier des droits de l’oeuvre de leurs parents, pourquoi pas jusqu’à leur majorité… Mais après, je ne trouve pas ça évident que les enfants de Ravel touchent les droits sur le Boléro
Vous ne réclamez aucun droit à des artistes qui prélèvent des images de vos films ?
– Bien sûr que non. D’ailleurs, les gens le font, mettent ça sur internet et en général c’est pas très bon… Mais je n’ai pas le sentiment qu’ils me prennent quelque chose. Moi je n’ai pas internet. Anne-Marie (Miéville, sa compagne et cinéaste – ndlr) l’utilise. Mais dans mon film, il y a des images qui viennent d’internet, comme ces images de deux chats ensemble.
Pour vous, il n’y a pas de différence de statut entre ces images anonymes de chats qui circulent sur internet et le plan des Cheyennes de John Ford que vous utilisez aussi dans Film Socialisme ?
Statutairement, je ne vois pas pourquoi je ferais une différence. Si je devais plaider légalement contre les accusations de pillage d’images dans mes films, j’engagerais deux avocats avec deux systèmes différents. L’un défendrait le droit de citation, qui n’existe quasiment pas en cinéma. En littérature, on peut citer largement. Dans le Miller (Vie et débauche, voyage dans l’oeuvre de Henry Miller – ndlr) de Norman Mailer, il y a 80% de Henry Miller et 20% de Norman Mailer. En sciences, aucun scientifique ne paie des droits pour utiliser une formule établie par un confrère. Ca, c’est la citation et le cinéma ne l’autorise pas. J’ai lu le livre de Marie Darrieussecq, Rapport de police, et je le trouve très bien parce qu’elle fait un historique de cette question. Le droit d’auteur, vraiment ce n’est pas possible. Un auteur n’a aucun droit. Je n’ai aucun droit. Je n’ai que des devoirs. Et puis dans mon film, il y a un autre type d’emprunts, pas des citations mais simplement des extraits. Comme un piqûre lorsqu’on prend un échantillon de sang pour l’analyser. Ca serait la plaidoirie de mon second avocat. Il défendrait par exemple l’usage que je fais des plans de trapézistes issus des Plages d’Agnès. Ce plan n’est pas une citation, je ne cite pas le travail d’Agnès Varda : je bénéficie de son travail. C’est un extrait que je prends, que j’incorpore ailleurs pour qu’il prenne un autre sens, en l’occurence symboliser la paix entre Israël et Palestine. Ce plan, je ne l’ai pas payé. Mais si Agnès me demandait de l’argent, j’estime qu’on pourrait le payer au juste prix. C’est à dire en rapport avec l’économie du film, le nombre de spectateurs qu’il touche…
Pour exprimer la paix au Moyen-Orient par une métaphore, pourquoi préférez-vous détourner une image d’Agnès Varda plutôt qu’en tourner une ?
– Je trouvais la métaphore très bien dans le films d’Agnès.
Mais elle n’y est pas…
Non, bien sûr. C’est moi qui la construis en déplaçant l’image. Je ne pense pas faire du tort à l’image. Je la trouvais parfaite pour ce que je voulais dire. Si les Palestiniens et les Israeliens montaient un cirque et faisaient un numéro de trapèze ensemble, les choses seraient différentes au Moyen-Orient. Cette image montre pour moi un accord parfait, exactement ce que je voulais exprimer. Alors, je prends l’image, puisqu’elle existe.
Le socialisme du film consiste à saper l’idée de propriété, à commencer par celle des oeuvres…
Il ne devrait pas y avoir de propriété des oeuvres. Beaumarchais voulait seulement bénéficier d’une partie des recettes du Mariage de Figaro. Il pouvait dire « Figaro, c’est moi qui l’ai écrit ». Mais je ne crois pas qu’il aurait dit « Figaro, c’est à moi ». Ce sentiment de propriété des oeuvres est venu plus tard. Aujourd’hui, un type qui pose des éclairages sur la tour Eiffel, il a été payé pour ça, mais si on filme la tour Eiffel on doit encore lui payer quelque chose.
(…)- L’avant dernière citation du film est : « Si la loi est injuste, la justice passe avant la loi »…
– C’est par raport au droit d’auteur. Tous les DVD commencent par un carton du FBI qui criminalise la copie. Je suis allé chercher Pascal. »
Les Inrockuptibles n°754, du 12 Mai 2010, supplément spécial Cannes, p. XIX sq.

Un autre extrait, davantage focalisé sur la dette grecque, peut être lu en cliquant ici même.

6 Comments

  1. Moi quand j’entends parler de Godard et de citations, je ne sais pas pourquoi c’est toujours la même qui me vient à l’esprit. Et pourtant j’en connais un paquet de « Je m’appelle Ferdinand » à « Qu’est ce que c’est, dégueulasse ? », mais non c’est toujours une autre…

  2. Il y a aussi :

    « Ma Ligne De Chance
    Ma Ligne De Chance
    dis moi chéri ce que t’en penses?
    ce que j’en pense, quelle importance
    c’est fou c’que j’aime ta ligne de hanche
    ta ligne de hanche
    Ma Ligne De Chance
    j’aime la caresser de mes mains
    ta ligne de hanche
    Ma Ligne De Chance »

  3. Ca pourrait être aussi :

    « Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerais toujours, oh mon amour
    Jamais tu n’m’as promis de m’adorer toute la vie
    Jamais nous n’avons échangé de tels serments, me connaissant,
    te connaissant
    Jamais nous n’aurions cru être à jamais pris par l’amour, nous qui étions si inconstants
    Pourtant, pourtant tout doucement sans qu’entre nous rien ne soit dit, petit à petit
    Des sentiments se sont glissés entre nos corps qui se plaisaient à se mêler
    Et puis des mots d’amours sont venus sur nos lèvres nues
    petit à petit,
    Des tas de mots d’amour se sont mêlés tout doucement à nos baisers
    combien de mots d’amour ? (…)

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