Il en va des règles que doivent suivre les ministres comme des discours du pouvoir : elles ont un certain don pour la géométrie variable, selon les situations et les moments.
Ainsi, tout le monde se souvient comment Alain Juppé dut, en 2007, démissionner de son poste de ministre à l’issue de ses législatives perdues. Celui qui avait ordonné cette démission, c’est François Fillon lui même, qui avait considéré qu’une défaite, de la part d’un ministre, mettait en cause le gouvernement dans sa totalité, et que les ministères pouvaient difficilement être dirigés par des loosers. Ainsi, une règle simple semblait devoir s’appliquer : un ministre perdant doit démissionner.
Mais les règles peuvent changer, car sur les régionales qui nous occupent en 2010, le même François Fillon a édicté une nouvelle règle, exactement inverse de celle qu’il avait auparavant trouvée si pertinente : tout ministre qui gagne doit partir. Evidemment, Fillon n’avait pas besoin de faire preuve de dons de clairvoyance particulièrement développés pour prédire un échec massif des listes UMP aux régionales, et si la règle valable pour les législatives devait être appliquée à ces régionales, on assisterait dans une semaine à un remaniement ministériel tel qu’il faudrait organiser une campagne de casting aussi massive que la Nouvelle Star pour parvenir à réunir de nouveau une équipe de stars aussi clinquante que notre actuel staff gouvernemental. En effet, c’est tout de même une vingtaine de candidats à ces élections qui sont, aussi, ministres, et Fillon, dont la carrière est un vibrant éloge de ce principe, c’est bien connu, trouve soudainement que le cumul des mandats doit être condamné, particulièrement quand personne ne risque d’être cumulard. Pourtant, si on veut être logique, la règle qui voulait que les ministres démissionnent en cas d’échec semblait signifier que tout ministre vainqueur pourrait cumuler sans crainte (sinon, à quoi bon cette règle ?) de heurter un quelconque principe politique.
Il faut croire que la défaite rend modeste, puisque soudainement, on considère que les perdants doivent refuser de cumuler leur ministère avec un siège que de toutes façons, ils n’auront pas. Voila qui constitue un sacrifice qui ne produira sans doute pas trop de douleur, et ça tombe plutôt bien : en dehors de Valérie Pécresse qui semble avoir un certain goût pour la douleur souriante (les images sont de plus en plus frappantes, du décalage total entre la situation du personnage et le sourire crispé, mais fidèle, qu’elle arbore en permanence, malgré l’inanité de son propos, la débilité des arguments avancés, l’impotence de ses discours; seule une martyre serait capable d’entrer dans de telles stratégies d’auto-destruction (l’objectivité réclamerait qu’elle reconnaisse qu’en dehors d’un singulier concours de circonstances, jamais une telle personne n’aurait pu envisager être ministre un jour, ne pas se contenter de ce climax absurde, c’est être habité d’un Thanatos particulièrement suffisamment puissant pour être effrayant)), en dehors de la passionaria de l’Ile de France, donc, ce petit peuple de droite semble ne pas aimer souffrir plus que de raison, c’est à dire plus que le peuple lui même.
Ne pas s’appliquer les lois qu’on impose aux autres, voila donc le principe suprême de ces gens là, qui sont dans le même temps capables de s’indigner devant les taux d’abstention himalayesques dont les français sont les auteurs.
Pardon ?
Les « auteurs » ?
On pourrait se demander qui sont ceux qui se sont ingéniés à nier toute valeur à l’élection régionale.
Qui conçoit le Grand Paris de telle manière que la région n’y aura aucun pouvoir (on ne s’étonne pas, dès lors, qu’on tente d’y faire élire des incapables, ils feront ton sur ton avec la puissance institutionnelle qu’on leur prépare), déclarant aux franciliens que de toutes façons, c’est à l’arbitraire présidentiel que reviendront les choix qui les concernent (en gros, le parisien doit se rêver comme un habitant de la Seine, qui suivra ses méandres pour aller d’un bout à l’autre de sa mégapole, et ce jusqu’à son estuaire; tous ceux qui pensent un peu la question voient là dedans une connerie sans nom, mais que voulez vous ? C’est là le fantasme du président, il faudra bien s’y plier… mais à quoi bon voter, alors ?) ?
Qui intervient sans cesse, selon la stratégie du pompier pyromane, au sein même des débats dont les régions devraient être maitresses, afin de donner du sens à sa présence et de discréditer des pouvoirs locaux qui sont excessivement à gauche pour qu’on puisse leur accorder une quelconque efficacité (et le mieux, pour démontrer leur inefficacité, n’est il pas de saper celle ci, ne serait ce qu’en leur coupant les vivres à travers des lois de décentralisations qui sont économiquement mensongères ?) ?
Qui centralise les pouvoirs, conditionnant le quotidien des citoyens au sein même des régions, et s’étonne de voir le peuple s’abstenir alors même que fut annoncé, avant le suffrage, que de toutes façons, le vote ne changerait rien, que les conséquences d’un vote régionale devaient être régionales, et que la politique nationale, menée par un gouvernement dont aucun membre candidat ne sortira politiquement vivant de cette élection, ne sera d’aucune manière impactée par la décision du peuple ?
On ne peut certes pas affirmer très sérieusement que le mensonge et la trahison du peuple soient des principes radicalement nouveaux. L’épisode » Imposons un jour à Juppé ce dont on protégera ensuite des ministres plus proches du pouvoir (parce que plus dociles) » n’est qu’un pas de plus après les « Indignons nous d’une abstention qu’on aura générée », les » déplorons la surveillance médiatique des élus tout en mettant au programme une vidéosurveillance généralisée du peuple », les « vidons le Front National de ses électeurs en mettant en application son programme politique » ou les « sauvons les banques avec l’argent du peuple, mais n’exigeons à aucun moment que les banques puissent servir à quoi que ce soit pour le peuple ».Ca ne constitue cependant pas une raison de s’en satisfaire, d’autant moins que ces principes sont désormais mis en oeuvre de manière quasi industrielle, et que quelque chose peut nous dire que nous assistons aux mensonges terminaux, c’est à dire aux derniers coups d’un jeu de poker où les joueurs qui ont le plus gros jeu sentent qu’il est maintenant grand temps de rafler la mise, et de solder les comptes avant d’aller dépenser le jackpot là où la fortune délocalise massivement. On peut alors aller loin dans les mensonges, jusqu’à la contradiction évidente, sans mettre en cause le projet global. Ainsi, hier soir, la soirée électorale fut pour l’UMP l’occasion d’affirmer sans rire que l’union pouvait être pratiquée seul. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, en définitive : ce que l’UMP reproche à ses adversaires, c’est de composer, ensemble. C’est de négocier, dialoguer, de constituer des compromis afin de s’entendre. Voila précisément ce que la droite exècre, parce que les compromis signifient pour ceux qui ont le pouvoir d’en partager au moins une partie. Or, le pouvoir étant essentiellement économique, et sachant combien ces gens là sont attachés à leur argent, on comprend qu’ils souhaitent pratiquer l’union en petit nombre.
Mais on ne peut pas manquer cela : en composant, les autres partis pratiquent en somme ce qu’on peut appeler « politique », au sens que prend ce mot lorsqu’il prend la forme de la démocratie : s’occuper, ensemble des choses publiques, débattre et organiser l’espace public. En refusant le dialogue, en fermant les portes à toute négociation, l’UMP persiste dans la concentration d’une politique qui est réduite à l’exercice autoritaire du pouvoir, sans aucune contractualisation claire avec le peuple : on doit d’autant plus les laisser tirer les marrons du feu social, qu’il est hors de question que les avantages soient partagés, qu’il est exclu qu’une quelconque justice soit mise en oeuvre. A ce titre là, l’UMP est devenu ce qu’était jusque là le Front National ou le parti des chasseurs : un lobby. Mais un lobby qui a le pouvoir.
On n’en a donc sans doute pas fini de les voir organiser le maintien de leur clique à ce poste pratique, d’où ils peuvent solder à bon compte l’espace public au profit de leurs potes, et on va sans doute les voir encore longtemps parader au soir d’élections qu’ils auront consciencieusement sapées pour déplorer l’abstention d’un peuple qu’on aura suffisamment déculturé pour qu’il perde tout sens civique, ou qu’on aura peu à peu dégoûté, faisant de la politique l’antithèse de ce qu’elle doit être, convainquant les plus acharnés que ce n’est plus par le biais du suffrage universel que les choses doivent se décider, radicalisant l’opposition dans des attitude que jamais la majorité ne suivra. L’électeur majoritaire adoptera, lui, les comportements et les opinions qu’il pense susceptibles d’apporter individuellement un pouvoir d’acquisition supérieur à celui du voisin, peu importeront les conditions de ce gain, puisqu’on ne les aura pas politiquement décidées. Les pires prémonitions de Tocqueville sur la démocratie seront alors accomplies, pour le plus grand bénéfice de ceux qui les auront mises en oeuvre, tout en la déplorant.
Toutes illustrations extraites du film de Michael Snow, La Région centrale (1971), histoire de donner dans l’illustration ésotérique, mais aussi afin de donner un peu d’ampleur à une politique dont la dimension semble se réduire à peu de choses. Au moins, là, on est dans les connexions cosmiques et dans la définition profonde de ce qu’est la région.