Vacances, j’oubliais tout.
Dont cette page.
Mais un monde normalisé laisse peu de place aux débordements et aux excès. Maintenant que la contenance est la règle, le franchissement de la règle continue s’impose d’autant plus qu’il est interdit.
Parallèlement, l’excès lui-même est difficile, quand on nous impose un monde censé être le seul possible, et quand on doit marcher au pas derrière le premier de cordée : toute parole est irrémédiablement polarisée, et polarisant à son tour, participant à l’extension du domaine de la chute, domino parmi les dominos du grand massacre général de tout ce qu’on pourrait avoir de commun. C’est tellement commode de passer pour raisonnable, bien installé dans le juste milieu, quand on désigne toute autre parole comme extrémiste.
Le confinement avait commencé avant qu’on donne à cet outil politique ce nom. Il a commencé quand il a fallu voter Macron pour ne pas se laisser contaminer par autre chose que lui, quand on nous a présenté le macronisme comme une norme de santé mentale, comme une nécessité sanitaire. Depuis, tout besoin de respirer est immédiatement repéré comme une sortie de piste, une déchéance infra-humaine, un vice caché dans l’ordre du républicanisme.
Ca fait un moment que, sur d’autres lignes de fuite, je propose d’échapper au pire sans viser le meilleur, sans nier ce qui nous pousse au crime, mais en circonscrivant les pulsions là où elles ne provoquant aucun dégât. Il y a peut-être là une piste qu’on peut exploiter plus largement, en cultivant intérieurement ce dont on perdrait tous à le laisser galoper sans entrave dans la sphère qu’on appelle « le monde ».
Ainsi, quand le besoin intime de rompre les amarres avec tout principe de précaution se heurte à la nécessité de ne pas exposer davantage ceux qui sont déjà tant exposés (car ce sont les mêmes, en fait, qui peuvent mourir d »un simple virus et qui risquaient déjà, quotidiennement, de voir leur vie amoindrie, ou abolie, par toutes sortes de fragilisations qui, pour le coup, n’ont rien à voir avec un quelconque laboratoire chinois, et tout à voir avec nos décisions politiques, à tous), on peut refuser de renoncer à la pulsion qui nous propulse en avant, sans pour autant passer les autres par pertes et profits. On est, tous, suffisamment avancés dans la culture humaine pour savoir que la représentation de la chose est souvent au moins aussi puissante que la chose elle-même. Il suffit pour cela qu’elle soit, tout simplement, bien faite.
On redécouvrait Julia Ducournau à l’occasion de la Palme reçue pour son deuxième monstre, et on se rappelait comment dans Grave, elle éveillait au plus profond du spectateur une soif viandarde qui lui était jusque là inconnue, comme au détour d’un bizutage on peut se prendre au jeu, et prendre goût au dégoûtant. Du corps humain contemplé lors de ses mouvement gracieux exécutés lors d’un match de foot à la chair humaine engloutie comme une nourriture à mi-chemin entre le terrestre et le céleste, il n’y a qu’un pas, dont on découvre qu’on l’a franchi, de nouveau. Pourtant, on était censé être vacciné par le Dr Cronenberg, alors que le Palais des Festivals avait été, une première fois, transformé en centre d’inoculation massive d’agents pathogènes transformant en profondeur notre sensibilité. Mais on se surprend, à chaque fois, de la facilité avec laquelle on peut redonner vie en soi à ce dont on ne savait même pas que c’était là, à ça, qui attendait tranquillement, façon Belle au bois dormant parfaitement consciente de ne pas être l’objet du désir de celui qui l’embrasse, mais au contraire son sujet, son origine, son premier moteur, sa raison d’être. C’est comme les impatiences. Il suffit de les arroser.
Arrosons-donc, gentiment.
swann+yoann sont un peu comme un Artavazd Pelechien 2.0. Ils travaillent volontiers à partir de found footage, de contenus préexistants qu’ils montent de sorte qu’ils entrent en relation pour faire équipe, afin de mieux assiéger la vue, et infiltrer tout ce qui peut l’être via le nerf optique.
Alors, quand ils ont le déconfinement en tête, ils se disent que la libération ne viendra pas d’une quelconque levée politique des interdits. Si on est honnête, on doit reconnaître que les barrières faites aux gestes, on n’a pas besoin d’un Etat et de lois pour les édifier. On est bien assez grand pour les dresser soi-même. swann+yoann propulsent une comète sur Terre, qui fait entrer l’humanité dans une véritable danse de Saint Guy. Pris de soubresauts, animés de pulsations incontrôlables, projetés corps et âmes dans la succession stroboscopique des images, on se découvre en nage, comme au réveil de ce genre de rêve qui démontre on ne peut plus clairement que l’esprit n’est pas dans le corps comme Francesco Schettino en le Costa-Concordia : il y a un lien fondamental qui unit ce que pense l’esprit et ce que vit le corps. Il y a une vie de l’esprit, une vie en l’esprit. A celle-ci, on peut lâcher les vannes.
Ouvrons-les encore un peu plus grand, histoire de faire communiquer les vases. Nul doute qu’à force, les corps eux-mêmes seront pris d’un mouvement plus libre que celui qu’on nous propose. A l’En Marche pourra alors succéder l’En Danse.
C’est donc réalisé par swann+yoann, et ça s’intitule Frenzy. Ca squatte pas la scène pendant des heures à parler tout seul, mais ça squatte la tête un bon moment après l’avoir investie à peine deux minutes, en une attaque éclair. Et ça peut constituer ce que d’autres appelleraient « Notre projet ! »