A destination de ceux qui, dans mes contacts, ne connaissent l’éducation nationale que via les déclarations de notre ministre, une ou deux précisions.
Un des grands axes de sa communication tient à cette annonce : on limitera le brassage des classes : chaque « groupe classe » restera dans la même salle et ce seront les professeurs qui se déplaceront.Belle idée.
Malheureusement, cette idée est incompatible avec le monde que M. Blanquer a lui-même créé, car pour que chaque classe nous attende ainsi, bien rangée, dans une seule et même salle, il faudrait que la notion même de « groupe classe » n’ait pas été rayée de la carte par la réforme du baccalauréat. Voici l’emploi du temps de la classe dont je suis professeur principal :
En jaune, les seules heures pendant lesquelles les élèves de la terminale Générale n°8 sont ensemble, « en classe ». Soit 9h de cours par semaine. Sur l’ensemble des autres heures, ils sont mélangés avec des élèves issus des 7 autres terminales générales du lycée pour suivre leurs enseignements de spécialité.
Donc, à chaque changement de cours, on assiste au déplacement de tout ce petit monde dans les couloirs, au changement de place, à l’installation à un bureau et sur une chaise occupés l’heure précédente par quelqu’un d’autre, avec d’autres élèves, etc.
Le mardi par exemple, un même élève peut tout à fait suivre des cours non pas au sein d’un groupe constant de 29 autres élèves (oui, dans mon lycée, parce que nous nous battons pour ça, nous n’avons que 30 élèves par classe, mais ce n’est pas DU TOUT la règle, partout ailleurs, on dépasse les 35), mais au sein de cinq groupes différents constitués chacun de 30 élèves. Je vous laisse faire la multiplication.
Maintenant, si vous regardez bien l’emploi du temps, vous constaterez que cette situation que décrit notre ministre, au cours de laquelle la classe toute entière attendrait patiemment entre deux cours la relève du professeur par le suivant n’arrive, tout simplement, jamais.
Voici donc ce qui reste des déclarations de M. Blanquer concernant le non brassage des élèves : rien.
On constatera aussi que le problème ne vient pas de l’administration du lycée : sur ces heures, les élèves sont bel et bien systématiquement en salle 311. Malheureusement, ils n’y reçoivent jamais deux cours en classe entière consécutivement, et ils n’y sont que 9h par semaine.
Sur l’ensemble de ce qui est affirmé sur les conditions sanitaires du travail en établissement scolaire, on peut pointer des arrangements identiques avec la vérité.
En particulier, M. Blanquer rappelle à qui veut bien le croire que pour les lycées tout particulièrement, on pourra adapter avec souplesse l’organisation du travail. Sous-entendu, faites des demi-groupes si vous voulez, faites en même temps du présentiel et du distanciel, etc. Sauf que ça aussi, ça n’est pas possible : on le voit ici, ce qui crée un énorme brassage, ce sont les enseignement en spécialité, puisque chaque heure de cours rassemble dans une même salle des élèves venus de toutes les autres classe de terminale. Or, nous n’avons aucune marge de manœuvre sur ces enseignements, puisque leur évaluation finale, primordiale pour le baccalauréat, a lieu en mars. Autant dire que si on se mettait en tête d’être sanitairement plus prudents, on ferait prendre à nos élèves le risque de ne pas être aussi prêts que d’autres, qui ont bénéficié de la totalité de leurs cours en classe entière, face à une épreuve qui sera nécessairement identique. Les programmes sont tels que dans certaines spécialités, la perte d’une heure de cours remet en question la possibilité d’aller au bout des enseignements requis. Si on divise la classe en demi-groupe, on se prive dès lors de la moitié des heures.
Alors, il y aurait bien une solution : faire cours en demi-groupe en classe, et faire cours à l’autre moitié de la classe en distanciel. Belle idée, qui se heurte simplement à ce mur : pour cela, il faut deux fois plus de moyens. Or ce gouvernement a décidé de ne pas investir sur l’éducation nationale : les professeurs ne participent pas au redressement du pays. Soit. Voici donc ce qui reste de la marge de manoeuvre et de la souplesse annoncées : rien.
Et je précise une chose : je suis favorable au fait que nous allions travailler, parce que les élèves ont tout à gagner à ce que les cours aient lieu. Mais ce qui est un tout petit peu insupportable, à force, c’est que le discours politique consiste à minimiser ce qui est demandé aux enseignants pour que les cours aient lieu, en faisant croire que tout est cadré et que tout ça se passe dans une ambiance sereine. En l’état actuel des choses, nous sommes contraints à choisir entre faire prendre un risque sanitaire à nos élèves et, donc, à leur entourage proche, ou leur faire prendre un risque vis à vis de leur propre réussite à l’examen.
Cette situation, dans laquelle aucun des choix proposés ne peut être le bon, participe à ce bon vieux principe de maltraitance qu’est la double contrainte. C’est aussi une façon pour le ministère de dire « Débrouillez-vous ». En à vrai dire, il a raison de le faire : cette réforme nous met, dès l’année de sa mise en oeuvre, dans une situation impossible. Et quoi qu’il arrive maintenant, le ministre pourra désormais en tenir responsables les établissements eux-mêmes, qui auront nécessairement fait le mauvais choix.
Il n’y a donc pas lieu d’être serein. Tout comme la casse de l’hôpital publique est la réelle cause de tout ce que nous devons, ensemble, supporter depuis des mois, la destruction consciencieuse des conditions de travail dans l’éducation nationale conduit à faire travailler professeurs, mais aussi élèves, personnel d’entretien et administratif dans des conditions qui sont sans doute inavouables, puisque notre ministre prend soin de ne pas les décrire telles qu’elles sont.