There’s a party goin’ on right here
A celebration to last throughout the years
So bring your good times
And your laughter too
We gonna celebrate your party with you
Cool & the Gang – Celebration
1 – Circonstances atténuantes
On le sentait venir : la gauche atteint le pouvoir et on n’a plus rien à dire.
Quoi qu’on aurait pas mal à dire sur cette gauche là, sur le thème du réel et de son double, des virtualités non réalisées, du pape Cac40, des équilibres qui déséquilibrent tout. Des renonciations. Des illusions qu’on n’avait même pas et qu’on arrive à perdre quand même. Remâchons ces sentiments, on écrira davantage.
En fait, ce n’est pas par absence de sujet qu’on n’a pas publié. On n’a pas publié parce qu’on se serait répandu en jérémiades monomaniaques focalisées sur les débats dont on eut le sentiment, des semaines durant, d’être l’objet principal. Or il est délicat d’être simultanément l’objet et le sujet du jugement quand on écrit sur un blog qui, par sa nature même, peut facilement tomber dans l’épanchement de simili-vie.
Pourtant, parfois, l’actualité rattrape la pensée, quand bien même celle-ci tenterait de mettre le turbo pour y échapper. Comme dans ces rêves dans lesquels on ralentit devant ses poursuivants à mesure qu’on tente de leur échapper, le mariage
pour tous eut une certaine tendance à débarquer par la fenêtre alors même qu’on l’avait mis à la porte, s’immisçant par tous les interstices de l’esprit pour se poser peinard dans le salon, pieds posés sur la table basse, une main sur la télécommande, décidant du programme, l’autre calée au chaud dans le calbut, l’ayant déjà choisi, elle, son programme. Parlez moi d’moi, y a qu’ça qui m’intéresse. D’habitude, c’est pas si faux que ça, mais d’habitude, on ne s’entend pas insulter sur tous les medias, des semaines durant. Passe encore pour ceux qui peuvent vivre tels qu’ils sont et qui ont du recul sur ce qu’ils entendent, mais on a une pensée pour ceux qui, d’habitude, se planquent, et qui ont soudainement découvert que les autorités de ce pays, sous la forme de maires, de députés, de polémistes professionnels, tenaient à leur sujet des propos pour le moins alarmants, les accusant de n’être rien moins que des dangers pour la civilisation. Rien que ça.
2 – la Nausée
On savait à l’avance que ces débats seraient comme ces corbeilles de fruits dans lesquelles il suffit qu’une minuscule surface de peau de pêche commence à être couverte de poussière vert de gris pour que subitement tout le panier pourrisse et baigne dans son jus. Cette prémonition n’a pas été déçue, et les attaques de ceux qui organisent des « manifs pour tous » ne lésinèrent pas sur les coups bas, laissant pour seule satisfaction la joie qu’il y avait à voir des catholiques se choisir, enfin, une papesse en la personne de Frigide Barjot (mais la frigidité, dans la course à la sainteté, ne doit-elle pas être considérée comme une forme de dopage ?(en ce qui concerne la simplicité d’esprit, le sermont sur le mont des oliviers a déjà répondu à cette question)). On reviendra, comme on mange la viande froide le surlendemain des banquets, sur certains d’entre eux prochainement, parce qu’il y a des déclarations qui valent le coup qu’on s’en souvienne, ne serait ce que pour qu’on attache durablement certains propos à certains noms, que google indexe durablement tout cela pour que ça leur colle aux basques, surtout quand ces noms sont portés par ceux qui siègent et s’expriment à l’Assemblée Nationale.
On nous aurait dit, il y a encore quelques mois, qu’on penserait un jour à ce point au mariage, on aurait été secoué de rire. Là dessus, Girard avait raison quand il affirmait que le désir est triangulaire : ce sont les autres qui désignent ce qui est désirable, parfois en nous en privant. Et c’est parce qu’il y avait quelque chose de petit bourgeois à réclamer à accéder à une telle institution qu’on s’est abstenu de rien publier à ce sujet (on reconnait d’autant moins la petite bourgeoisie qu’on a les pieds en plein dedans, hein ?). La question m’est pourtant revenue en boomerang, récemment, lors d’un oral auquel j’assistais en simple observateur, dans mon établissement. Questionnée sur quelques institutions, la candidate s’est vue demander par un des membres du jury ce que le mariage pouvait apporter de plus qu’un pacs amélioré. Alors que l’élève s’embourbait dans des éléments de réponse tous plus administratifs les uns que les autres, je me posais intérieurement la même question.
3 – C’est la fête au village
On serait tenté de répondre que le mariage est un symbole, là où le pacs est une formalité administrative. Mais à ce compte là, franchement, étant donné ce dont le mariage est le symbole (au mieux, une espèce de conformisme niais; au pire, le passage du relais de l’autorité entre un père et son beau-fils), on pourrait se demander si cela vaut bien toute la peine qu’on y met et les insultes qu’on reçoit. La réponse aurait été un peu meilleure que l’évocation des apports en terme de revenus, sans pour autant parvenir à me convaincre, elle non plus. J’étais à deux doigts de considérer que, décidément, comme certains me le confiaient ces derniers temps, tout ceci était un combat vain, une lutte vide de sens, une recherche de normalisation qui allait nous conduire à faire le deuil d’une homosexualité libertaire, (que certains se plaisent à voir comme « sombre ») à laquelle on doit bien pourtant bien plus, en terme de libertés actuelles, quand soudain, m’est apparu cet aspect du mariage qui est évident, et que pourtant jamais on n’évoque :
Le mariage est une fête. Et c’est peut être décisif.
On sent le lecteur sceptique, là.
D’abord, le concept de « fête » ne semble pas forcément, au premier abord, primordial. D’autre part, même s’il l’était (ou même si on le reconnaît comme faisant partie de ces choses qui sont « sympa »), on voit mal en quoi l’Etat devrait en inscrire le droit dans la loi, et ce pour tous.
Et pourtant, nous avons les moyens de soutenir l’idée selon laquelle la fête est plus importante qu’elle n’en a l’air, et de lier ce concept à celui de république. Oui. Et à vrai dire, on n’a même pas besoin d’inventer quoi que ce soit pour y parvenir. Il suffit d’aller piocher dans la bonne tradition de pensée.
On sait que Rousseau a été conduit à opposer à la notion de « spectacle » celle de « fête ». Ca suffirait d’ailleurs presque à en faire une sorte d’ancêtre des situationnistes. S’il en vient à opérer une telle distinction, c’est qu’il cerne assez bien la dimension mensongère et inégalitaire du spectacle. Dans le spectacle, ce qui se donne à voir est un simulacre qui se fait passer pour ce qu’il n’est pas, et le public en est aussi séparé que possible. Le spectacle est la sphère de la distinction et de la séparation. Aussi, lorsqu’il s’agit de construire à Genève un théâtre, Rousseau se fend d’une lettre adressée à d’Alembert pour tenter de plaider en défaveur d’un tel projet, dont il cerne qu’il sera clivant, tant du point de vue de l’économie (tout le monde n’accède pas à de tels spectacles) que de la citoyenneté.
C’est sur la fin de ce document qu’on peut lire les lignes les plus célèbres de ce texte, auxquelles on ne porte peut être pas une attention suffisante. Corrigeons cela et reprenons de ce pas le costume qui nous va le mieux, celui de moine copiste :
« Quoi ! ne faut-il donc aucun spectacle dans une République ? Au contraire, il en faut beaucoup. C’est dans les Républiques qu’ils sont nés, c’est dans leur sein qu’on les voit briller avec un véritable air de fête. A quels peuples convient-il mieux de s’assembler souvent et de former entre eux les doux liens du plaisir et de la joie, qu’à ceux qui ont tant de raisons de s’aimer et de rester à jamais unis ? Nous avons déjà plusieurs de ces fêtes publiques ; ayons-en davantage encore, je n’en serai que plus charmé. Mais n’adoptons point ces spectacles exclusifs qui renferment tristement un petit nombre de gens dans un antre obscur ; qui les tiennent craintifs et immobiles dans le silence et l’inaction ; qui n’offrent aux yeux que cloisons, que pointes de fer, que soldats, qu’affligeantes images de la servitude et de l’inégalité. Non, peuples heureux, ce ne sont pas là vos fêtes ! C’est en plein air, c’est sous le ciel qu’il faut vous rassembler et vous livrer au doux sentiment de votre bonheur [Note du moine copiste : sur la base de ce paragraphe, le cinéma semble condamné avant même d’avoir été créé. Mais il ne faut pas s’en tenir à la seule évocation des salles obscures. D’abord, le cinéma existe aussi dans une version projetée à l’air libre, mais surtout, certaines oeuvres cinématographiques ont ce pouvoir d’ouvrir la salle à des dimensions qu’elle ne peut pourtant pas contenir, et de tisser entre les spectateurs présents un lien qui les met en présence les uns des autres (Amour de Haneke, a ce don de pousser chacun à jeter un coup d’oeil à ses voisins, surtout parmi ces couples plus âgés qui traversent ce film main dans la main, accrochés l’un à l’autre, pour veiller un instant sur eux)]
Que vos plaisirs ne soient efféminés ni mercenaires, que rien de ce qui sent la contrainte et l’intérêt ne les empoisonne, qu’ils soient libres et généreux comme vous, que le soleil éclaire vos innocents spectacles ; vous en formerez un vous-mêmes, le plus digne qu’il puisse éclairer. [Note du moine copiste : pourquoi ce refus des plaisirs efféminés ? On peut émettre deux hypothèses : l’une consiste à comprendre qu’il faut que ces plaisirs soient vifs, entiers, bruts, sans artifices.
Mais en fait, l’éffémination n’est qu’un des deux extrêmes qui bordent le propos de Rousseau : ces plaisirs ne doivent être ni efféminés, ni mercenaires. Deux artifices contraires, aux deux versants de la représentation humaine : l’artifice féminin qu’on devine calculé puisqu’il est séducteur en diable (il est donc intéressé et contraint), et l’artifice masculin, qui met sa force au service du plus offrant, qui se met au service du plus possédant, donc du plus injuste (il est donc lui aussi intéressé et contraint). On croise ici la prémonition de ce qui va suivre : dans la fête, le spectacle s’abolit puisqu’il n’y a plus de distinction entre ce qui est vécu et ce qui se donne à voir. La fête est pure présence ici et maintenant avec les autres. Peut -on pour autant taire que l’effémination est, aussi, perçue comme négative en raison même du caractère « passif et faible » que revêt pour lui la féminité dans son ensemble ? Les lecteurs de l’Emile savent que malheureusement, c’est une des composantes du sens de ce passage… ] Mais quels seront enfin les objets de ces spectacles ? Qu’y montrera t-on ? Rien, si l’on veut. Avec la liberté, partout où règne l’affluence, le bien-être y règne aussi. Plantez au milieu d’une place un piquet couronné de fleurs, rassemblez-y le peuple, et vous aurez une fête. Faites mieux encore : donnez les spectateurs en spectacle ; rendez les acteurs eux-mêmes ; faites que chacun se voie et s’aime dans les autres, afin que tous en soient mieux unis. Je n’ai pas besoin de renvoyer aux jeux des anciens Grecs : il en est de plus modernes, il en est d’existants encore, et je les trouve précisément parmi nous. Nous avons tous les ans des revues; des prix publics ; des rois de l’arquebuse, du canon, de la navigation. On n peut trop multiplier des établissements si utiles et si agréables ; on ne peut trop avoir de semblables rois [NdMC : on ne peut avoir de meilleurs rois que nos semblables]. Pourquoi ne ferions-nous pas, pour nous rendre dispos et robustes, ce que nous faisons pour nous exercer aux armes ? La République a t-elle moins besoin d’ouvriers que de soldats ? »
Rousseau décrit alors quel visage donne à voir le peuple genévois lors de ces fêtes au cours desquelles il oublie d’être « rangé » et accroché à « ses règles économiques » :
« Ce’ n’est plus ce long raisonneur qui pèse tout à la balance du jugement, jusqu’à la plaisanterie. Il est vif, gai, carressant ; son coeur est alors dans ses yeux, comme il est toujours sur ses lèvres ; il cherche à communiquer sa joie et ses plaisirs ; il invite, il presse, il force, il se dispute les survenants. Toutes les sociétés n’en font qu’une, tout devient commun à tous. Il est presque indifférent à quelle table on se mette : ce serait l’image de celles de Lacédémone [NdMC : Spartes, en somme], s’il n’y régnait un peu plus de profusion ; mais cette profusion même est alors bien placée, et l’aspect de l’abondance rend plus touchant celui de la liberté qui l’a produit. »
Bien, donc la fête est républicaine, en tant que, si la république est bien la somme des « choses communes », de ce qui l' »affaire de tous » (il faudrait entendre ici le mot « affaire » au sens qu’on lui donne quand on dit « Touche pas à mes affaires », à ceci près que, justement, en République, ces affaires sont ce à quoi on accède librement), alors la fête est un moment par excellence républicain, puisqu’elle n’a de sens que si elle est égalitairement partagée, et débarrassée des distinctions de classe. Que ceux qui se figurent mal la chose s’intéressent à la manière dont, à Dunkerque par exemple, on conçoit le carnaval. Ils comprendront alors ce qu’est la fête, et identifieront le même phénomène à Venise ou à Nice comme ce que le spectacle peut avoir de plus méprisable.
Mais le mariage ne serait, lui-même républicain qu’en tant qu’il serait une fête. On pourrait donc objecter qu’après tout, pour peu qu’on ait tous le droit de faire la fête, le mariage deviendrait, aux yeux de la république, un droit secondaire. Il n’en est pourtant rien, car mariage et fête sont intimement liés. Il suffit de poursuivre la lecture de la Lettre à d’Alembert sur les spectacles. Je n’ai même pas besoin de sauter une seule phrase pour tomber sur les propos suivants :
« L’hiver, temps consacré au commerce privé des amis, convient moins aux fêtes publiques. Il en est pourtant une espèce dont je voudrais bien qu’on se fit moins de scrupules, savoir les bals entre de jeunes personnes à marier. Je n’ai jamais bien connu pourquoi on s’effarouche si fort de la danse et des assemblées qu’elle occasionne : comme si’il y avait plus de mal à danser qu’à chanter ; que l’un et l’autre de ces amusements ne fût pas également une inspiration de la Nature [NdMC : évidemment, le mot « Nature » n’est jamais à réduire, comme le firent si souvent les opposants au mariage pour tous, à la simple biologie, ni à ce à quoi il faudrait revenir]; et que ce fut un crime à ceux qui sont destinés à s’unir de s’égayer en commun par une honnête récréation. L’homme et la femme ont été formés l’un pour l’autre. Dieu veut qu’ils suivent leur destination, et certainement le premier et le plus saint de tous les liens de la société est le mariage [NdMC : oui, bon, on trouve les alliés qu’on peut. Que pensiez vous ? Que Rousseau allait nous offrir le mariage gay sur un plateau ? Ne rêvons pas. En revanche, on peut lui faire quelques enfants dans le dos (pour l’attention qu’il leur portait…) : si le mariage est la fête qui consacre l’union libre de ceux qui se sentent, par nature, devoir se rejoindre, et si la fête est ce lieu où on se rend tel qu’on est, sans faux semblant, alors peu importe que l’union soit hétérosexuée ou pas, puisque si elle devait être hétéronormée, elle réclamerait à certains de simuler cette hétérosexualité à laquelle pourtant ils ne participent pas. On sait bien que des Christine Boutin ou des Eric Zemmour sont assez satisfaits de l’argument selon lequel les homosexuels peuvent comme tout le monde se marier, pour peu que ce soit avec une personne du sexe opposé. Sans doute sont-ils persuadés de défendre et protéger ainsi la « nature » du mariage. Rousseau a quelques mots à leur dire, à eux aussi : ]. Toutes les fausses religions combattent la Nature ; la nôtre seule, qui la suit et la règle, annonce une institution divine et convenable à l’homme. Elle ne doit point ajouter sur le mariage, aux embarras de l’ordre civil, des difficultés que l’Evangile ne prescrit pas et que tout bon gouvernement condamne ; mais qu’on me dise où de jeunes personnes à marier auront occasion de prendre du goût l’une pour l’autre, et de se voir avec plus de décence et de circonspection que dans une assemblée où les yeux du public incessamment ouverts sur elles les forcent à la réserve, à la modestie, à s’observer avec le plus grand soin ? En quoi Dieu est il offensé par un exercice agréable, salutaire, propre à la vivacité des jeunes gens, qui consiste à se présenter l’un à l’autre avec grâce et bienséance, et auquel le spectateur impose une gravité dont on n’oserait sortir un instant ? Peut-on imaginer un moyen plus honnête de ne point tromper autrui, du moins quant à la figure, et de se montrer avec les agréments et les défauts qu’on peut avoir aux gens qui ont intérêt de bien nous connaître avant de s’obliger à nous aimer ? Le devoir de se chérir réciproquement n’emporte t-il pas celui de se plaire, et n’est pas un soin digne de deux personnes vertueuses et chrétiennes qui cherchent à s’unir, de préparer ainsi leurs coeurs à l’amour mutuel que Dieu leur impose ? «
4 – Sans frivoles, la fête est plus folle
L’honnêteté impose de reconnaître que le paragraphe suivant serait un peu plus gênant à citer, parce qu’il propose d’élire, lors des bals populaires, la jeune fille la plus plaisante, à en faire la reine du bal, qu’on raccompagnera en cortège jusque chez ses parents afin que la foule puisse les féliciter « d’avoir une fille si bien née et de l’élever si bien ». On est alors pris d’une certaine gène devant une telle conception de la féminité. Reconnaissons cependant que les gender studies était encore balbutiantes au 18è siècle, et que si Rousseau parvient à concevoir de faire tomber les barrières des classes sociales et des statuts, il butte contre la barrière des genres. Rien ne nous interdit de la faire tomber à son tour, afin de rendre la fête plus égalitaire encore, puisque c’est là son rôle. Homme, femme, peu importe, pas plus que l’orientation, pour peu qu’on y vienne comme on est. Alors pourront s’établir, ensemble, ces relations qui sous leurs multiples géométrie, assureront le tissu social qui est, bien plus que les lois et la police, le garant de la paix.
En somme, pour en revenir à cette question posée à cette candidate lors de cet oral : ce que le mariage apporte de plus que le pacs, c’est qu’il est une fête, et que la fête est par essence républicaine, pour peu qu’on s’y débarrasse de toute contrainte et qu’elle soit la célébration de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, ce qu’elle semble devoir être par essence.
Et comme un cadeau ne vient jamais seul, voici un petit complément. Récemment, les Nouveaux chemins de la connaissance ont consacré à la fête une série d’émission dont la deuxième s’intéressait en particulier à la fête populaire telle que Rousseau la conçoit. Voici cette émission :
[iframe src= »http://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=4551803″ width= »481″ frameborder= »0″ scrolling= »no » height= »139″]Ajoutons qu’on a illustré cet article avec deux photogrammes extraits du film dernièrement sorti, Spring breakers, d’Harmony Korine, parce que contre toute attente, c’est de cela qu’il s’agit dans ce film : de fête populaire, d’égalité, de dépassement des genres, et de mariage. Nous y voila.
« Union. Rêve d’union totale avec l’être aimé.
Nomination de l’union totale : c’est l' »unique et simple plaisir », « la joie sans tache et sans mélange, la perfection des rêves, le terme de tous les espoirs », « la magnificence divine », c’est : le repos indivis. Ou encore : le comblement de la propriété ; je rêve que nous jouissons l’un de l’autre selon une appropriation absolue ; c’est l’union fruitive, la fruition de l’amour (…)
(…) Le rêve, excentrique (scandaleux) dit l’image contraire. Dans la forme duelle que je fantasme, je veux qu’il y ait un point sans ailleurs, je soupire (ce n’est pas très moderne) après une structure centrée, pondérée par la consistance du Même: si tout n’est pas dans deux, à quoi bon lutter ? Autant me remettre dans la course du multiple. Ce tout que je désire, il suffit pour l’accomplir (insiste le rêve) que l’un et l’autre nous soyons sans places : que nous puissions magiquement nous substituer l’un à l’autre : que vienne le règne de « l’un pour l’autre » (« En allant ensemble, l’un pensera pour l’autre »), comme si nous étions les vocables d’une langue nouvelle et étrange, dans laquelle il serait absolument licite d’employer un mot pour l’autre. Cette union serait sans limites, non par l’ampleur de son expansion, mais par l’indifférence de ses permutations. »
Cet assez long détour par Roland Barthes pour dire que je ne suis pas convaincu du caractère unificateur de l’union, du mariage.
Mais cela vaut bien sûr pour les homosexuels comme pour les hétérosexuels. Et de quel droit empêcher les premiers d’être aussi sots que les seconds ?
Je pense aussi aux pages consacrées à la rencontre entre (le baron de) Charlus et Jupien, au parallèle établi avec la fleur et le bourdon, mais il y en aurait pour des scrolls et des scrolls et je ne suis pas certain, indépendamment du plaisir qu’on prend à une fameuse phrase qui doit bien courir presque ininterrompue, sauf par quelques points virgules, sur 3 ou 4 pages de mon édition de La Pléiade, que le sujet justifierait la peine qu’on y prendrait.
Le sujet vaut la peine, pour peu qu’on lui accorde cette valeur. C’est peut être la spécificité de ce sujet précis, que de n’avoir que la valeur qu’on veut lui donner.
Quant au caractère unificateur, il est asymptotique : on peut tendre l’un vers l’autre tant qu’on veut, l’interstice demeure pourtant. Mais on ne peut unir que ce qui ne l’est pas déjà. Et il faut bien un magicien pour unir par des mots ce qui de toute évidence demeure séparé. On n’est marié que dans sa tête et dans celle de ceux qui en sont témoins.
En somme, à trop vouloir l’union, il y aurait un risque d’un mouvement l’un vers l’autre si violent qu’il conduise à une véritable collision. Mieux vaudrait peut être accepter qu’il ne s’agisse que de cheminer ensemble.
Enfin, il y a peut être quelque sottise dans la volonté du mariage, si on en fait ce qu’en ont fait les hétéros, pour la plupart. Mais après tout, un peu de rituel et d’usages dans ce monde si « pratique », ce n’est peut être pas un luxe.
Ai-je dit qu’on reprendrait l’écriture ici même, ne serait ce que pour ces commentaires ? Je ne l’ai pas dit ? Je le dis !
Quoi, tu veux m’épouser ?
Hmmmm… je me relis… et non non je n’y vois pas de signal de ce genre…
Et puis je suis invivable.
Et puis je trouve vite les autres invivables.
Et puis surtout j’ai déjà pris cet engagement avec quelqu’un, et je suis vieille France, je n’envisage pas de le passer avec plusieurs personnes !
Et puis, à strictement parler, ne sont-ce pas les femmes qui se font épouser ?? Etymologiquement, ça paraîtrait censé d’affirmer que les hommes épousent et que les femmes se marient (d’ailleurs, rien que la forme pronominale du verbe en dit long sur le véritable concept qui se cache historiquement vers ce pour quoi tout le monde se bat)
Puisqu’il y a mariage homosexuel (ou presque, la vague est finalement assez forte pour que même ce gouvernement socialiste qui ne sait ni qu’il est ni où il va ne puisse être arrêté par ces paumés pathétiques qui auraient été ou qui sont encore pour le travail des enfants, contre les congés payés, contre les sections syndicales dans les entreprises, contre la contraception, contre l’IVG, contre le pacs, bref tout ce contre quoi la réaction s’applique), il y aura divorce homosexuel (projetons nous vers le futur : désunis après avoir été être unis).
Une bonne façon d’évoquer le temps du lien défait.
On va le faire d’une façon un peu particulière, à travers un extrait de film dont on se souvient souvent depuis qu’on l’a vu il y a déjà longtemps :
http://www.youtube.com/watch?v=jsKNShN72TU
Et on se demande vraiment pourquoi on s’en souvient autant et si régulièrement, alors que ce qu’il montre est tellement peu dans la culture de celui qui écrit ces lignes. Le retour du refoulé ?