Après avoir donné à la matière, aux alentours de Fukushima, des caractéristiques nouvelles, le Mox, spécialité locale d’Areva, semble avoir entrepris d’irradier la campagne de Hollande. Comme quoi, quand on est une saloperie, on ne l’est pas qu’à moitié. Il est probable que dans deux ou trois siècles, quand dans les écoles où on forme les futurs politiques, on étudiera les campagnes présidentielles du XXIè siècle, on citera en exemple la manière dont Areva, en annonçant publiquement ses tractations avec le PS, donna un solide coup de pouce au candidat UMP, dont on imagine bien sûr qu’il n’aura ensuite pas dû se sentir, du tout, redevable.
Au moment même où les verts sacrifiaient leur absence d’espoir présidentiel et leur candidate qui n’était en fait même pas vraiment des leurs (signe que les verts ne sont pas tombés de la dernière pluie acide), au moment où ,même, ils acceptaient de n’être plus que verdâtres (paradoxalement, la situation actuelle voit la candidate à la présidentielle être écologiquement plus radicale que les membres les plus importants du parti), EDF sortait sur toutes les chaines un spot publicitaire visant à assurer la promotion de la pomme de discorde : le fameux Reacteur Pressurisé Européen, que les intimes, ainsi que tout ceux qui ne le connaissent pas, appellent « EPR ».
Ce spot, on peut le voir ici : www.video.tf1.fr Je l’intégrerai ici dès que… j’y arriverai !
Du spot en question, il n’y aurait pas grand-chose à dire : images attendues de la construction en cours filmée en longs panoramiques aériens, annonces tellement rassurantes qu’elles en deviennent flippantes (« EDF vous invite au cœur du nucléaire », on a quand même envie de dire « non merci », mais il en va des réacteurs nucléaires comme des outre-mondes décrits par les religions : on a d’autant plus foi en eux qu’on ne peut pas aller vérifier sur place si la réalité confirme, ou pas, ce qu’on en dit), si les cols blancs étaient torse nu, on se croirait dans une pub Manpower des années 80 ; mais comme il faut rassurer, tout le monde porte les lunettes de sécurité sans doute capables d’arrêter les radiations, on se la joue modeste afin qu’on ne sente pas une seconde que la construction est déjà réputée foireuse, que le principe même de ce réacteur est douteux, que les plafonds du budget sont d’ores et déjà explosés, que le frère jumeau de notre EPR, en Finlande, a pris un énorme retard, qu’on met les équipes de construction sous pression, ce qui augure on s’en doute, d’une construction tout à fait sereine, bref, on met en scène cette bonne conscience qu’on n’affiche jamais autant que lorsqu’on en manque un peu trop, et on clâme fort qu’en somme on maîtrise ce dont on n’a même pas idée, pariant que bien entendu, ce qui est arrivé sur tous les autres continents n’aura jamais lieu en Europe.
Déroulement prévisible donc, mais le meilleur est pour la fin : ce spot publicitaire s’achève sur une invitation à aller voir son complément sur TF1news.com, le versant internet du service d’information de la première chaine. Un site d’information qui fait de la publicité pour un réacteur nucléaire ? Une chaine qui voit, donc, la rédaction de sa branche « information » liée à un discours publicitaire ? C’est que sur TF1 rien n’est tout à fait impossible en matière de collusion entre les fins et les moyens. Bien entendu, il faut se dire que le fait que la chaine appartienne au groupe Bouygues, qui est le maître d’œuvre du chantier, n’y est pas vraiment pour rien. Il faut se dire dès lors que tout propos tenu sur cette chaine à propos de ce chantier relève de la publicité, et non de l’information, et que dans la mesure où cette construction est un enjeu majeur de l’élection présidentielle (l’est il vraiment ? On n’en sait rien, mais les medias et les équipes de campagne en décident ainsi, on est bien obligé d’opiner vaguement), tout propos tenu sur cette chaine à propos de politique, et de quoi que ce soit finalement, relève de la même logique.
Est-ce une découverte ? Pas vraiment. Et ça ne concerne pas que TF1 : l’Europe a été, la semaine dernière, balayée par un nuage de particules radioactives. Ni le pays qui semble les avoir émises (elles semblent avoir un passeport hongrois), ni les ministères concernés, ni les rédactions des journaux télévisés ne semblent avoir jugé bon d’en informer la population, qui pourrait s’émouvoir et adopter une opinion générale non conforme avec les projets industriels des entreprises privées qui ont quelque chose à gagner à ce que cette opinion leur soit favorable. Surpris, on l’est d’autant moins qu’il y a quelques jours, le journal la Tribune voyait EDF annuler soudainement son contrat publicitaire, pour la simple raison que dans un article, on supposait qu’EDF pourrait renoncer aux réacteurs de type EPR. On comprend donc comment ces entreprises fonctionnent, et jusqu’à quel point, pour elles, propagande et communication sont indiscernables.
Mais jusque là, il était extrêmement rare que le lien direct du département « info » de la chaine soit apposé sur une publicité. C’est même sans doute la première fois qu’une telle chose arrive. Ca confirme la tendance qu’ont les « affaires » à prendre en mains la politique, et à forcer la main au peuple, à le dépasser, et à continuer de financer la richesse personnelle des plus riches avec ce qui reste des deniers publics. Parce que finalement, ça revient à ça : si jamais on devait ne pas construire cette centrale, la conséquence la plus rude tomberait sur le groupe Bouygues, qui n’est pas une abstraction mais un ensemble d’intérêts privés, de personnes très concrètes qui ont des avantages à tirer de ces décisions (et qui devront bien, un jour, connaître une certaine forme de précarité, eux aussi, d’une manière ou d’une autre (mais on y reviendra prochainement)). Si on peut prendre en considération les emplois créés localement autour de ce chantier, on ne peut quand même pas considérer le projet dans son ensemble comme un don que Bouygues, Areva et EDF font à la communauté nationale. L’argument de l’emploi ne tient d’ailleurs qu’à moitié : partout où ce genre de centrales s’installe, l’emploi généré est très particulier : on fait venir des employés qualifiés venus d’ailleurs, ce qui induit un développement économique local, du fait de l’augmentation de population, qui ne dure que ce que dure une centrale nucléaire. Mais on ne peut pas dire qu’on emploie massivement ceux qui, déjà là, cherchent de l’emploi. En revanche, en échange, on propose des stages d’été aux jeunes du coin. L’embauche large de la population locale est donc un phénomène collatéral, un peu illusoire. On notera plutôt une profusion d’équipements (terrains de sport, médiathèques, etc.), et quelques hébergements provisoires pour les prestataires qui, à travers l’Europe, prennent tous les risques au cœur des installations nucléaires, afin de les maintenir sans entrer dans les statistiques sanitaires du personnel EDF, puisqu’ils n’en font pas partie (sur ce point, par exemple, le petit commentaire audio qui accompagne le spot publicitaire fait doucement sourire). Enfin, on ne voudrait pas profiter de l’actualité, mais écrire ces quelques lignes au moment où Areva annonce la suppression d’un bon millier d’emplois en France permet de sourire, un peu.
Mais à tout prendre, s’il y a une enquête qu’on aimerait voir mise en œuvre, ce n’est pas celle qui porte sur la manière dont on manipule, sur ces sujets, l’opinion française. A ce sujet, la messe est dite. En revanche, on serait curieux de savoir comment la Finlande, pays jusqu’à maintenant tout à fait prudent sur la question nucléaire, n’exploitant que deux réacteurs, et suffisamment conscient des conséquences à long terme de ce choix pour avoir mis en œuvre, depuis les années 80, la construction d’un site d’enfouissement destiné à accueillir, à partir de 2100, ses déchets radioactifs, et de les protéger pendant 100 000 ans (oui…), projet qui, à l’heure actuelle, ne connait aucun équivalent en France, ce beau pays qui fait tourner, sans aucun regard vers l’avenir, une cinquantaine de réacteurs (j’avais écrit, pour l’outre-monde, un article à propos du documentaire, Into Eternity, sorti cette année qui avait pour objet ce site d’enfouissement). On aimerait savoir par quel mystère la Finlande si prudente a signé la construction d’un EPR dont, comme tout le monde, elle ne sait rien. Qui sont les vendeurs ambulants qui lui ont fait la proposition, et qui l’ont convaincue, quel prix on leur a fait, combien sont payés les commerciaux qui ont conclu le contrat, et comment ils le sont. Voila une enquête intéressante.
On ne doute pas que l’Etat lance de lui-même de telles investigations, puisqu’il en va de l’intérêt de tous…
Les illustrations sont extraites du film Holocaust 2000. Ceux qui l’ont vu savent pourquoi !
Puisqu’il est de bon ton de gémir ici (le jkrsb ne nous avait pourtant pas vraiment habitué à ça, tout rigidifié qu’il est par son nietzschéisme galopant et son baden powellisme / kiplingisme latent (j’en ai longuement conféré avec Argos dont il a prétendu faire une chienne dépourvue de tout besoin de tendresse quand son âme de huskie rêve depuis toujours de câlins)), je vais aussi y aller de ma petite larme. Je sais depuis ce matin que je dois faire une conférence lundi après-midi à un groupe de japonais. Conférence en français certes, traduite en simultané (ça n’aide pas vraiment à faire des phrases élaborées, ni à développer une pensée un brin sophistiquée), mais pour laquelle le traducteur (dont on souhaite dès maintenant qu’il n’ait pas une culture purement littéraire) sera amené à traduire des expressions aussi simples que : sas de décontamination à cinq compartiments, fibres fines et fibres OMS, microscopie électronique à transmission analytique, microscopie optique à contraste de phase, mésothéliome, etc.
On sait depuis Tintin, le péril jaune et autres joyeusetés racistes que les asiatiques sont impénétrables et que le bouddhisme en a fait des êtres relativement détachés des pulsions bêtement humaines, on craint néanmoins de connaître un grand moment de solitude si les questions après l’exposé portent sur l’âge du capitaine ou le plus proche point de vente Louis Vuitton…
Pour le coup on regrette franchement de ne pas être amené à leur parler de maintenance dans le nucléaire via les interventions des entreprises extérieures (autre sujet de ma prédilection) comme le jkrsb dans le texte précédent : on ses ent déjà comme de futurs grands points communs à venir depuis Fukushima.
Et tant qu’on y est, autant se faire un peu de publicité : http://livres.edpsciences.org/ouvrage.php?ISBN=978-2-7598-0096-4
Ai-je gémi ?
Je ne pensais pas déjà gémir ! Je me prépare mentalement à devoir supporter le tsunami économique qui va nous tomber dessus, ayant pris de mauvaises habitudes d’attachement aux objets, et donc aux moyens qui permettent des les acquérir.
Je pensais, dès lors, m’entrainer à ne pas trop gémir plus tard, et je m’aperçois que je le fais déjà, alors que la douleur n’est pas encore là (parce qu’on en est là, vis à vis de la crise, comme les patients auxquels l’infirmier a dit qu’il allait les piquer, et qui à la seule vue de la seringue, gémissent déjà d’un douleur qui n’est encore qu’à venir. Bref, on dirait que je ne suis pas encore assez endurci (mais mon degré d’embourgeoisement est excessif, je le reconnais)).
Mais peut être le nucléaire est il le seul domaine dans lequel on puisse gémir sans honte : après tout, on peut raisonnablement dire que le désastre est certain, et que si on ne gémit pas pour soi même, on peut le faire au nom de ceux qui, nécessairement, en souffriront un jour. La limite du gémissement, c’est que malgré tout, on peut dire qu’on aura mérité ce qui nous arrivera, en tant qu’espèce.
La thèse tenue dans l’ouvrage proposé en fin de commentaire me semble, comme la notice l’indique, pouvoir être élargie à l’ensemble de nos dispositifs : nos méthodes de management, et de représentations du travail consistent finalement à faire faire le plus dangereux, et le plus nécessaire, par des personnes qui n’ont pas d’identité, que personne ne voit, qui passent à travers les études statistiques, à peu près à la manière dont la radioactivité traverse la matière : d’autant plus indetectable qu’on ne souhaite pas vraiment les discerner. C’est sans doute l’un des ressorts les plus profonds de notre manière de produire et de vivre. C’est, aussi, une dette bien plus grave que celle sur laquelle on se penche suffisamment pour y choir, dans la mesure où on voit mal quelle rigueur pourrait y mettre fin, et ce qui pourrait permettre de la rembourser. Mieux encore, il est probable que chercher à rembourser cette dette financière conduira à creuser cette dette humaine.
Les gémissements ne faisaient pas référence à ce texte précis, mais plutôt à celui concernant la dure condition du certifié. J’avais d’abord pensé à le poster en réponse, puis j’ai changé d’avis, sans modifier le texte qui l’aurait pourtant mérité. Je fais un mauvais intervenant de blog.
Je ne croyais pas avoir écrit tout ça dans ce bouquin et je ne soupçonnais pas non plus mes co-auteurs de l’avoir fait. Si pourtant, le jkrsb lit tout ça en filigrane, je crois que je vais commencer à comprendre pourquoi le dit livre n’a pas vraiment plu à une certaine catégorie de lecteurs qui ne se sont pas privés de le faire savoir à qui de droit…