Il est suffisamment rare de voir coïncider son attirance naturelle pour la musique régressive et l’exigence de connaître quelque expérience nouvelle quand on s’envoie des sons dans les neurones.
C’est qu’après avoir vu ce qu’on a vu dans le post précédent, on avait besoin de se laver un peu les neurones.
Ca fait quelques jours que l’album Narcissus, de Pacific!, dont c’est la deuxième production, tourne sur ma platine et dans mon lecteur MP3, et ce titre en particulier a l’étrange pouvoir de faire croire qu’on est en train de surfer sur un nuage en compagnie de Dragonball. On s’attend presque à entendre débarquer la voix de Dorothée, avec ses effets de manège à sensation.
Paul Klee nous avait prévenus : « Le monde, sous sa forme actuelle, n’est pas le seul monde possible ».
On peut donc toujours regarder notre monde et se dire « Il aurait pu en être autrement ». Et l’art est cette tentative pour percer ce qu’on appelle la « réalité » pour, à travers ces fenêtres nouvelles, apercevoir ces autres dimensions potentielles.
Sur l’ensemble de l’album, on a à de nombreuses reprises cette impression de se retrouver dans le flux des images animées qui ont accompagné l’enfance des actuels quarantenaires, réinjectant dans les mémoires des pans entiers d’environnements sonores semblant sortis tout droit des Mystérieuses Cités d’Or sans pour autant singer ces univers, ni nous y ramener comme on reviendrait en arrière. Il n’y a pas ici de nostalgie mais une manière de jouer avec la mémoire des sons, d’y puiser des bribes, des structures, pour en faire les fondations pour de nouveaux édifices sonores. Dès lors, que cela puisse rappeler ce que fit, par exemple, Tangerine Dream pour le générique de Tonnerre mécanique ne permet pas de rendre compte des effets produits par cet album. S’il s’agit de nostalgie, c’est de manière paradoxale, puisque c’est au souvenir de la musique de l’avenir qu’on est confronté, comme si on était mis devant notre propre présent, tel qu’il aurait pu être si nous ne nous en étions pas éloignés.
Il faut dire que si ces compositions peuvent sembler regarder tout droit dans la mémoire de la musique pop des décennies précédentes, c’est que Narcissus est un album de commande, une musique qui doit constituer la bande son d’un ballet de danse contemporaine qu’on devrait pouvoir découvrir dans quelques semaines à Göteborg. S’il s’agit de ce personnage mythique qui se complaisait dans sa propre image, le paysage sonore devait lui même jeter un regard sur sa propre image, et apparaître comme une forme d’écho.
Bienvenue donc dans notre propre monde qui nous regarde de loin, sur sa trajectoire parallèle.
Une question va me tarauder toute la journée. Espérons, pour eux, que les autres lecteurs de ce blog ne seront pas dans les mêmes affres : qui de Jean-Pierre Foucault ou de Michel Drucker sera le premier à choisir ce morceau comme indicatif de sa prochaine émission entièrement nouvelle et néanmoins tellement dans la continuité de ce que tu aimes depuis ces trois siècles que nous avons passés ensemble, ô mon public adoré et bavouillant sur les têtières patiemment crochetées (oui, oui, la tête à l’envers) ?
Après ça, on est heureux de lire que Dominique Grange, c’est musicalemet daté et on se prend à penser qu’on petit coup de Macarena nous filerait un sacré coup de jeune !
Comment ça, je m’énerve ? Mais non, je frôle l’épilepsie à la Ian Curtis, le plus nietzschéen des chanteurs post punk ou cold wave, je ne sais plus !
Si jamais je devais me poser la question, je dirais que Drucker choisit plutôt ses génériques parmi les musiques qui sont aux yeux des retraités ce que sont censés écouter les jeunes. Foucault, lui, c’est plutôt ambiance doo-wop passé à la moulinette de l’easy listening, genre « ne bou gez sur tout pas je m’in tro duis en dou ce dans vo tre sa lon mais sur tout ne chan gez rien à vos ha bi tu des… ».
Je verrais plutôt Canal + récupérer ça pour en faire un jingle ou son coming next.
Maintenant, la comparaison avec Dominique Grangé est un peu délicate, dans la mesure où il me semble que les chansons de celle ci se veulent édifiantes, brossant le tableau d’une situation pour un public qui voit déjà les choses sous cet angle là, afin que la chanson soit l’exact réplique du paysage mental des auditeurs. Le problème, c’est que pour ma part, quand j’entends Dominique Grangé, j’ai l’impression qu’elle veut VRAIMENT revenir à un « avant » tout à fait mythifié, réduit à des signes facilement reconnaissables (je vois les casquettes genre Gavroche, les blousons vintage, les gros yeux face à celui qui ose porter des baskets un poil trop colorées, alors qu’on fait de si beaux souliers en cuir, les instruments de musique so roots, et les intérieurs soigneusement agencés pour donner l’impression de ne pas être soignés. Romain Duris quoi. En gros).
Bon, pourquoi pas. Je préfère ça à la panoplie Zara/Rolex/Weston/Blackberry/Audi de l’homme stressé censé être contemporain. Mais j’ai du mal avec les panoplies quand elles sont un peu trop attendues, et qu’on a l’impression qu’elles veulent déjà, par elles mêmes, donner des leçons de vie aux autres.
Pacific! on peut dire qu’au moins, ça se limite à être de la musique; aucun discours, absence totale de propos, si ce n’est musical, nostalgie des sons presque pionniers de l’electro pop, mais sans mettre tout ça sur un socle, puisque c’est de la musique pour bouger ses fesses (ou au moins le pied (un doigt ? Même pas ?!!!!)), et que ce sont ceux qui écoutent qui sont censés poser sur les podiums, conscients que le quart d’heure de gloire est purement anonyme, gratuit, futile.
J’imagine que je n’arrange pas mon cas si je dis que c’est dionysiaque, comme tout ce qui peut tourner de près ou de loin autour des boules à facettes.
Pour être honnête, j’ai toujours eu le sentiment que, justement, la veine dans laquelle se trouve Dominique Grangé avait oublié qu’il doit y avoir un mouvement physique dans la musique révolutionnaire, quelque chose dans la construction qui dit « Maintenant, tais toi et danse », sans quoi on se condamne à faire la révolution en demeurant un poil coincé du cul.
Alors, la fusion est elle possible ? A mon sens, elle existe : le rap l’a compris, quand il plaque ses textes parfois bien plus pertinents, parce que plus lucides sur ce que sont devenues les moeurs, les corps, les idées, sur des rythmiques elles aussi conformes à ce qui met les corps, aujourd’hui, en mouvement, avec parfois des clins d’yeux appuyés aux ancêtres chanteurs réalistes et auteurs d’hymnes qui accompagnaient les soulèvements populaires.
NTM a en son temps un peu réussi ce genre de choses, Public Enemy a aussi joué ce rôle à sa manière, ou aujourd’hui, ceux que j’ai déjà évoqués dans cette même colonne, Bruit qui Court.
J’ai bien résisté à la tentation d’en faire une question de génération, n’est il pas ?
Pour tout dire, je n’écoute pas Dominique Grange très souvent. Je me contente de passer une ou deux chansons d’elle dans les manifs. A cela plusieurs raisons : je ne trouve pas qu’elle ait une très jolie voix, je trouve la musique un peu ringarde, très datée (même quand elle la réenregistre en 2008 pour un album dessin/CD avec son compagnon Jacques Tardi), c’est une ancienne mao, et s’il y a bien une espèce de militants que j’exècre c’est les maos (anciens ou survivants, genre Badiou qui préface d’ailleurs l’album cité précédemment) et les connards d’Action directe incapables de reconnaître leur sottise (bon on les laisse au NPA, c’est là qu’ils seront le mieux !). Mais je trouve que pour les manifs c’est bien, même si on préfère quand même finir avec Sebben che siamo donne (La Lega), Bella ciao ou Bandiera rossa ! Probablement parce que c’est plus entraînant, mais aussi parce que c’est plus ancré dans la réalité sociale de toutes les époques et que le caractère factice des chansons de Dominique Grange réapparaît alors assez facilement. Mais ça fait chier les bureaucrates syndicaux, alors…
Plus intemporel encore et pourtant ô combien ancré dans une période précise (et nul pour les manifs !) : The partisan de Leonard Cohen. Ce qu’on en fait en l’arrangeant musicalement, n’a en réalité guère d’intérêt : et même quand Noir désir et 16 Horse power le reprennent, il n’y rajoutent à vrai dire pas grand chose. Pourtant leurs voix qui n’ont rien à voir avec celle de Leonard Cohen portent la même magie. Parce que la chanson transcende son interprète, parce qu’elle est chromosiquement liée à la résistance, à toutes les résistances.
Quant au rap, j’attends encore de voir quelle chanson survivra au-delà de sa sortie du hit parade (des charts comme dirait le jkrsb) de NRJ !
Moi aussi je peux donner dans la musique régressive, genre easy listening, mais c’est plus fort que moi, il faut que j’y trouve un intérêt culturel. Ainsi pour se désintoxiquer les oreilles mises à mal par les goûts pervers de jkrsb, je suggère Jean Bart et son « Modern style », chanson qui me poursuit depuis des années. Je dis très clairement préférer la version originale en suisse à celle, chichiteuse, de Françoise Hardy. Vous pouvez trouver ça sur votre YouTube habituel.