Si Blanche Neige était une folle perdue au fond des bois, il est probable que la pomme présentée par la sorcière marâtre aurait pris les traits de la bonne bouille d’Asher Roth. Pensez donc, un savant mélange de Dustin Hoffmann période « dites donc, Miss Robinson, c’est votre fils qui bronze au bord de votre piscine ? », d’un Bruce Springsteen millésimé « Dancer in the dark » (euphorie générale chez tous ceux qui sont réceptifs aux phéromones mâles), et bien entendu, d’Eminem, profitant du fait que le petit prince en personne s’en soit allé soigner ses addictions chez Sir Elton John (qui vire bon père de famille, ce qui semble constituer une conclusion finalement logique, après avoir été l’oncle farceur du monde du spectacle). Même 7 nains ausi doués que Désiré Bastareaud ne pourraient pas lutter, alors, contre la tentation du rappeur redneck.
A vrai dire, si Asher Roth était français, on le fuirait à toutes jambes, le vent porteur drainant vers nos narines aiguisées les effluves du produit calibré. Mais voila, ce produit est américain, et dans un pays dans lequel être un produit de sa culture ou être un produit tout court est indiscernable, on peut voir dans ce personnage déjà panoplisé (Asher Roth bien propre sur lui, Asher Roth énervé, Asher Roth déguisé en Mark Hollis (ère Such a Shame), Asher Roth écrivain contrarié composant sur son laptop sur la cuvette des chiottes, Asher Roth à poil (le même que le précédent, en fait), Asher Roth zen, et tout plein d’autres encore, soigneusement rangés dans leur blister glacé, à conserver intacts et à collectionner sur le rebord de la cheminée) une sorte d’accomplissement, un climax.
Parce que voila, le jeune homme est aux confluents de tout ce que les musiques populaires américaines savent bien faire : du rap, mais aussi des mélodies, des humeurs, de la joie de vivre, une satisfaction manifeste (bien que par moment surjouée, ce qui jette forcément un doute), de l’énergie et au bilan des morceaux qui le plus souvent font leur boulot un peu au-delà de ce à quoi on pourrait s’attendre : derrière la présentation confectionnée par des experts en marketerie se trouve le supplément d’âme qu’on ne pensait même pas croiser, ou qu’on aurait pu croire étouffé sous les exigences de la production manifestement millimétrée, à tel point que quelques grandes pointures, en matière d’âme, viennent en voisins rendre visite à Asher Roth, histoire de venir décoller en sa compagnie sur les compositions simples mais aptes à accompagner les étés plus ensoleillés que celui qu’on traverse en ce moment. Parmi les fées qui sont venues se pencher sur le berceau, on retiendra tout particulièrement Cee-Lo (et on se dit que s’il se déplace, c’est peut être que ça en valait le coup, et ça vaut toutes les lettres de recommandation du monde), Busta Rhymes, Chester French (on va y revenir), ou Keri Hilson.
De la bonne compagnie en somme, et des entremetteurs de choix pour un album auquel on aime s’attacher autant pour le son dont il est porteur que pour la manière dont il ne respecte absolument pas les règles qui veulent d’habitude décerner tel rôle à tel type de musicien. Ici, comme chez Eminem, mais en moins sombre et torturé, parce que moins introspectif, moins théatral aussi, mais plus adolescemment festif, plus ensoleillé sans tomber dans les simplifications, le rap (qui est plutôt une question de samplification) devient universel, et c’est sans doute le meilleur avantage qu’il puisse trouver à être devenu commercial, sans forcément s’être vendu, dans la mesure où la forme actuellement la moins sincère de musique rap consiste précisément à mimer avec une telle précision les personnages et les formules du passé, avec tous les détails si typiques des banlieues américaines telles que ce courant musical nous a appris à les imaginer, qu’il s’agit davantage d’un positionnement personnel sur une scène à laquelle on a envie d’appartenir, au milieu de regards qu’on souhaite reconnaissants des efforts effectués pour les séduire que d’une démarche sincèrement musicale. Au moins, Asher Roth échappe à ces schémas attendus, ce qui permet de se concentrer sur le plaisir à écouter des flots de mots jouer sur les beats, sans volonté de sembler être quoi que ce soit de déjà répertorié.
Et maintenant, lecteur, vois-tu, je pense à toi et à ton éventuel manque de familiarité avec le rap. Alors je ne mets pas en écoute un extrait de l’album, parce que le plaisir ne serait peut être pas au rendez vous. Comme les musiques vivantes, celle ci réclame sans doute qu’on la regarde en train de se faire. Alors, rien de tel qu’une improvisation pour se faire une idée du charme singulier dont Asher Roth est capable. Ca a l’air matinal, ça n’a rien à voir avec la frime à laquelle le rap nous a habitués, ça semble juste naturel, et qu’un rouquin ait adopté à ce point les codes musicaux de ce courant est comme une promesse d’avenir. Les choses changent, et tout espoir n’est peut être pas interdit :
Bien entendu, on n’est pas du tout d’actualité avec cette chronique : trop tard pour l’actuel album, (Asleep in the bread Aisle), sorti en 2009, trop tôt pour le prochain, (The Spaghetti tree), qui sortira d’ici la fin 2010. Je suis pas dans le rythme, je sais.