Entre deux nuages de cendres nous parviennent d’Islande des échos, des voix, qui témoignent que si règne là comme ailleurs l’inquiétude économique, une chose est certaine cependant : une âme demeure, qui ne semble pas être à vendre, et elle s’exprime à travers des chants qui parviennent à être singuliers sans être folkloriques. C’est d’ailleurs sans doute là un signe distinctif des cultures encore vivantes : elles n’ont pas besoin d’enfermer leurs particularisme dans le chloroforme; elles laissent faire et les germes poussent d’eux mêmes.
FM Belfast, c’est un peu ça. Originaire de Reykjavik, ce groupe produit une musique électronique, mais incarnée, vivante, respirant fort, sans doute pour mieux combattre les effets du froid, énergique et légèrement nostalgique; pop, en somme.
Musicalement, comme on dit, ça se laisse écouter. Mais le groupe devient plus intéressant quand il s’associe au duo de Daniels (Daniel Scheinert et Dan Kwan), pour produire un clip tout en jeux de mouvements sur le titre Underwear. Que ce titre n’éveille pas dans le lecteur lubrique qui sommeille en tout lecteur des pulsions qui penseraient s’assouvir dans ces quelques minutes de vidéo : d’assouvissement de ce genre il n’y a point dans ce clip, même si la fin en justifie le titre. Il s’agit plutôt d’un travail sur les mouvements relatifs des corps et des regards portés sur eux, le point de vue étant sans cesse posé quelque part, on ne saurait trop dire où, entre le point de vue objectif sur des êtres qui dansent et l’accompagnement de ces corps en mouvement selon leurs propres trajectoires. Ce travail prend toute sa consistance lorsqu’une période d’accalmie permet à l’une des danseuses de regarder son propre mouvement dans le miroir, mais décalé, insaisissable mais pas tout à fait circonscrit au seul instant présent.
On pense à Merleau-Ponty, parce que ces danseurs semblent faire, au sens où lui en parle, l’expérience de la chair. On y pense aussi parce qu’adoptant, par l’intermédiaire des réalisateurs, ce point de vue flottant, on ne voit pas ces danseurs comme des objets, mais plutôt comme des projections de nos mouvements internes, à moins qu’ils ne projettent sur nous leur propre énergie motrice. Si la chair est ce qui de moi déborde du corps sensible pour éclabousser, repeindre le monde, mais si c’est aussi ce qui en moi est touché par le monde, alors il n’y a pas de regard porté sur ces danseurs, mais une participation incarnée à leur propre mouvement. On pense aussi à Rousseau et à sa manière de concevoir l’art débarrassé de toute représentation pour devenir une présence pure. On pense à David Delachapelle filmant le krump dans Rise. On pense enfin à l’art brut, dans la manière qu’ont ces artistes de ne même pas glisser entre eux et le monde l’épaisseur de l’art, dont ils n’ont que faire, parvenant ainsi sans même le chercher à devenir pures projections, et écrans sur lesquels projeter.