Master Minc

In "CE QUI SE PASSE", CHOSES VUES, MIND STORM, PROPAGANDA
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Se battre comme un beau diable, voila la devise que semble avoir choisie Alain Minc. Comme on a du mal à l’imaginer adulte (qui, au-delà de 9 ans, se peignerait d’une telle manière ? Qui semblerait en permanence aussi satisfait qu’un enfant content d’avoir bien fait ses devoirs ?), on supposera qu’il y eut un moment, dans son enfance, où Alain Minc dût lire quelqu’histoire de club des cinq, dans laquelle était mentionnée cette expression, désignant l’attitude de ceux qui, se croyant bras droit du Bon Dieu, font les diables, et se démènent, gigotant dans tous les sens, prenant des poses et effectuant des prises, telles qu’ils les ont vu faire, à l’identique, pour la beauté du geste.

Coup sur coup, deux actes de sacrifice.

Le premier, celui qui a du coûter beaucoup à Minc, étant donnée l’humiliation que ce moment génère dans ses interventions médiatiques, a consisté à vouloir prendre la défense d’Eric Besson, contre Stéphane Guillon, en écrivant à destination de ce dernier un portrait au vitriol à l’eau oxygénée, pensant le lire à l’antenne juste après le passage du portraitiste en titre de France Inter. Manque de bol, Minc s’est trouvé devant une absence : mal renseigné, il ne savait pas que le Jeudi, ce n’est pas Guillon qui tient le micro, aussi était il tout attristé d’avoir sur les bras sa composition écrite pour rien, à tel point qu’il ne put s’empêcher d’en livrer des bribes à droite à gauche, fier de lui comme peut l’être un collégien qui vient de coucher dans son carnet intime les boursouflures de son coeur ardent. Le lendemain, sur Canal+, Guillon lui-même, à la lecture du texte en question, reconnaîtra la naissance d’un nouveau comique, l’épisode où Minc traite son interlocuteur de cocaïnomane ayant le double intérêt de le conduire sur les pentes escarpées de la calomnie (mais ça, depuis les élections régionales, ça semble faire partie de la rhétorique de campagne de l’UMP, et ça semble ne plus devoir être puni par la loi), et de faire preuve d’un comique sans doute involontaire, (on imagine difficilement Minc cynique) : Sous-entendre que Guillon carbure à la cocaïne pour protéger les plus hautes sphères de l’Etat a quelque chose d’innocemment naïf qui ferait plaisir à voir si cet aveuglement n’était pas le fait d’un type qui donne son avis sur tout (c’est une chose) à des oreilles qui sont trop contentes de voir dans ces opinions la validation qui leur manquait pour pousser le bouchon politique toujours un peu plus loin. On imagine combien Besson a du se sentir défendu par un tel petit soldat à l’humour de plomb. On imagine aussi combien les divers plateaux tv ont du ensuite avoir le sentiment de rejouer en live quelques scènes du dîner de cons quand il fallait y accueillir la raie ambulante pour lui demander un avis éclairé sur le monde tel qu’il va et les affaires telles qu’elles s’y mènent, à ceci près que le benet, ici, a un pouvoir que lui envieraient pas mal d’esprits véritablement éclairés.

Le second, c’est le meurtre du père. Ne l’oublions pas : Minc est en âge de nous faire son Oedipe. En politique, quand tout s’effrite, que les conseillers historiques du président commencent à bander mou, qu’ils ne se donnent même plus la peine d’écrire de nouveaux discours à un patron suffisamment occupé à autre chose pour ne pas s’apercevoir qu’il prononce plusieurs fois de suite les mêmes propos, il est temps de montrer qu’on pourrait aisément prendre la place de ceux en qui la foi commence à mettre le drapeau en berne. Position idéale de ceux qui aiment le pouvoir s’en avoir envie d’en supporter la responsabilité, le poste de conseiller est manifestement avidement recherché, et Minc a du se dire que la première occasion de se signaler serait la bonne. Autant dire que l’hospitalisation de son père a du briller à ses yeux comme une aubaine. Au-delà de l’entreprise de storytelling (la simple idée de Minc menant des réflexions économiques dans les couloirs de l’hôpital où est soigné son propre père en dit long sur le niveau d’obnubilation dont souffre le personnage, et si il n’y avait pas un patient sur un lit de malade, on pourrait même se marrer en l’imaginant arpentant les couloirs de l’hôpital, en train de chercher à droite à gauche des sources d’économies pour le pays), au-delà de la soudaine implication de la vie privée dans la réflexion politique, il s’agit bien de glisser en douce, l’air de rien, une idée nouvelle dans le paysage des idées : il y aurait un âge au delà duquel il ne serait plus pertinent de payer les frais de santé, particulièrement si ceux-ci sont élevés. Economiquement, c’est imparable : la meilleure manière de remettre de l’argent au sein des corps caverneux des budgets de l’Etat, c’est de ne plus payer un certain nombre de prestations sociales. Et tant qu’à faire, autant taper sur celles qui coûtent le plus cher. Les maladies touchant les plus vieux sont évidemment moins intéressantes, économiquement parlant, que la vaccination imaginaire (mais financée quand même) de tous les français contre la grippe (et plutôt deux fois qu’une, tant qu’on y est) : le soin des vieux, c’est du temps, de la présence, ça coûte, et ça ne rapporte rien à personne. Mauvais calcul.

De toute façon, il va falloir se faire à cette idée qu’on commence à nous seriner gentiment : c’est bien beau de vivre si longtemps, mais trop, c’est trop. Il va falloir penser à crever un peu plus tôt. Sauf, évidemment, si on a les moyens de se payer des soins post-mortem, sauf si on a assez de fric ou de patrimoine pour financer la vie au delà de la date de péremption. Autant dire que la proposition a l’avantage de la pertinence et de l’à-propos, puisque par un heureux hasard, ce sont bien les plus riches qui coûtent le plus à la collectivité, puisque ce sont ceux qui vivent le plus longtemps (si ce n’était pas le cas, ça ferait bien longtemps qu’on prendrait en compte la pénibilité et l’espérance de vie dans les calculs de retraite, ce dont on se garde bien, évidemment).

Bien sûr, pour ne pas être taxé de monstruosité, Minc se garde bien de vouloir généraliser son beau principe à toutes les personnes âgées : seules seraient concernées celles qui en auraient les moyens. Autant dire qu’on voit mal à partir de quand on peut considérer que certains en ont les moyens, et d’autres pas. Autant dire surtout qu’il s’agit une fois de plus de glisser une nouvelle idée en douce, et de la laisser doucement s’installer dans les esprits, afin de les préparer. On nous vantera certainement encore le système de santé anglais, qui priorise certains patients en plaçant les autres au second plan des soins, et on nous dira enfin qu’on n’a pas le choix : le secteur privé n’a plus les moyens de prendre en charge les personnes âgées. Que les plus riches d’entre elles aillent financer le secteur privé, de leur présence désormais lucrative (alors, quand les cliniques se seront fait une spécialité d’accueillir à prix d’or tous les fêlés du col du fémur les plus friqués de l’hexagone, on pourra même décider de subventionner leur louable activité, histoire de mettre de la moquette sous les déambulateurs). Et comme la loi de la nature (et Minc ne cesse de rappeler à quel point le marché est notre « oxygène », qu’il n’y a pas d’autre réalité que lui même, qu’il n’existe aucune alternative en dehors de l’ordre dont il bénéficie) commande qu’on ne conserve que ceux qui sont en état de produire, on proposera ensuite de ne plus financer, non plus, les soins des enfants. Après tout, une forte natalité, moins coûteuse, permettra qui plus est de proposer aux entreprises des employés moins souffreteux, la sélection naturelle ayant éliminé ceux qui pourraient faire perdre de précieuses ressources en congés maladie.

Une fois de plus, quand on est actionnaire, on trouve que les impôts font un peu moins mal au cul à payer, quand on les verse directement à des personnes privées, dont on fait soi même partie, plutôt qu’à l’Etat, qui en fait nécessairement mauvais usage, puisqu’il capte cette ressource dont on est privé quand on est « investisseur » (entendons, de nos jours, « bénéficiaire »).

Replongeant au fin fond de ma bibliothèque, je m’aperçois que Minc n’a rien inventé : en 2003 sortait un petit roman de Jean-Michel Truong, intitulé Eternity Express. Le quatrième de couverture disait ceci :

« Dans un futur proche. Toujours plus assoiffés de nouvelles technologies, les investisseurs mondiaux n’ont pu anticiper le sinistre krach boursier qui vient de frapper l’Occident aux portes du chaos. Aujourd’hui incapable d’entretenir cette génération de baby-boomers devenus pauvres et vieillissants, l’Union est contrainte de voter la fameuse « loi de délocalisation du troisième âge ». L’idée est simple : un TGV rempli de retraités qui, via l’Europe centrale puis la Sibérie, file jusqu’en Chine, direction Clifford Estates, luxueux ensemble d’habitations et lieu rêvé pour finir ses jours. Mais cette première expédition ne tarde pas à dévoiler son lot de surprises et de personnages troubles… »

Autant prévenir, les amateurs de littérature n’y trouveront pas tout à fait leur compte. En revanche, ceux qui aiment tisser un lien entre les compositions écrites d’Alain Minc et ces « lots de surprises », et ces « personnages troubles » pourront trouver dans ce roman une fable tout à fait adaptée aux temps qui courent.

Il me semble qu’on pourra aussi lire, ou voir Soleil Vert (Richard Fleischer, 1973)

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