Certains jours, on se prendrait presque à regretter la naïveté dont on faisait preuve dans les années 80 en matière de lutte contre le racisme, quand on se donnait bonne conscience en portant une petite main « touche pas à mon pote ». Certes, faire de l’étranger un pote a priori, c’est faire de lui, de toutes façons, cet étranger qu’il FAUT aimer, et pas ce citoyen avec lequel on est dans un espace commun, mais au moins, en ces temps là, il y avait un minimum de mobilisation mentale possible contre un certain nombre de phénomènes qui, dès lors, ne pouvaient tout simplement pas se produire.
Il semblerait qu’on se soit aujourd’hui habitués à un certain nombre de faits et de propos : le passé judiciaire d’un candidat PS fait l’objet d’une enquête scrupuleuse et de propos relevant, d’un point de vue pénal, de la diffamation de la part des soutiens de la liste opposée aux régionales ? Aucun problème. L’affaire n’est relayée au JT de TF1 et Canal+ que lorsqu’aucun démenti ne lui est offert. En somme, ces medias sont tout simplement complices du mensonge lorsqu’il a lieu, mais se refusent à toute information lorsque les faits sont établis. Mieux encore : quand, enfin, on tient sur le plateau du Grand Journal de Canal+ le patron de l’UMP lui même, on n’obtient de lui aucune condamnation de la diffamation, et il en rajoute sur les accusations. Bien entendu, il n’explique à aucun moment le fait que pour Ali Soumaré, quelques lignes sur son casier judiciaire posent problème là où pour un certain nombre de responsables politiques représentants de l’UMP, ces lignes semblent n’en pas poser. On n’aura pas davantage d’explications sur le fait qu’une enquête impliquant davantage qu’une simple investigation journalistique ait été effectuée sur ce candidat particulier, ni sur le fait qu’une fois les accusations les plus importantes démenties, le premier secrétaire de l’UMP ne relève même pas qu’en effet, certaines des accusations étaient fausses, préférant sceller pour de bon dans l’esprit de l’électorat visé l’association simple : individu noir = délinquance. La naïveté des années 80 aurait mis des milliers de personnes dans la rue pour empêcher cela; il semblerait qu’aujourd’hui on se soit fait à cette idée. Dans la video qui suit, on remarquera le ton, tout à fait typique du discours UMP depuis maintenant un moment. On remarquera que maintenant, les hommes politiques, quand on leur fait une objection sur un argument qui n’est pas soutenable, répondent juste « Vous m’indiquerez quand je pourrai continuer », ce qui signifie que le discours doit s’écouler en un monologue qui ne doit rencontrer que des hochements de tête d’approbation. Ce que les journalistes offrent souvent.
On remarquera, au passage, que lorsque Georges Frêche se trouve un peu malmené par son propre camp, les medias lui sont grand ouverts pour lui permettre de riposter (sur Canal, longuement). Ali Soumaré subit des attaques mediatiques qu’on peut juger bien plus graves, et c’est Xavier Bertrand qui est invité pour venir justifer des attaques, alors même qu’on sait qu’elles sont mensongères. Magique, non ?
Mais, à la rigueur, de la part d’un parti politique qui se sait souffrant d’un manque de reports de voix au second tour des régionales, on peut à la limite comprendre (accepter, c’est autre chose, mais on saisit assez bien la logique qui préside à ces stratégies de communication). En revanche, on peut se demander dans quelle mesure il est compréhensible qu’une entreprise telle que la SNCF joue, elle aussi, la carte de la stigmatisation des populations étrangères. Ainsi, Les contrôleurs de trains de midi-Pyrénées ont ils trouvé dans leurs casiers des affichettes leur conseillant de se méfier d’une partie précise des usagers : les roumains. On voit d’ici l’ambiance dans les trains, si la logique d’opposition des populations entre elles devait se développer de cette manière, et si de manière générale, les origines des uns et des autres devaient systématiquement donner lieu à ce genre de schémas. Voici le texte que la SNCF diffuse :
« Ces dernières semaines des soucis ont été rencontrés avec des Roumains.
En effet de nombreux vols de bagages ont été constatés.
Nous vous demandons de redoubler de vigilance.
Par ailleurs tous les faits de roumains doivent être signalés au PCNS »
Libre à chacun de deviner ce qu’est un « fait de roumain ». On devine que leur simple présence suffit, et on attend juste une seconde notice nous indiquant comment les reconnaitre. Ce qui, dans la logique des choses telles qu’elles se font ces temps ci, devrait constituer l’étape suivante de notre lent, mais sûre, glissement vers ce qui constitue de plus en plus clairement notre point de chute.
On prendra comme un signe des temps le fait que ces initiatives, qui ne sont que les relais d’une volonté qui se veut, de plus en plus, politique (même si elle constitue, en fait, la négation même de la « polis » telle que nos ancêtres ont pu, en leur temps, en bâtir l’idéal), ne provoquent aujourd’hui qu’un très faible écho. On notera, aussi, que si ces initiatives sont prises, c’est pare qu’il est de bon ton, dans l’espace public tel qu’il est devenu, de les prendre, et qu’on n’y craint plus de réprobation majeure. Ici encore, le plus saisissant n’est pas tant que les propos soient tenus, que ce que la tenue de ces propos suppose de complaisance envers eux, a priori.