Tout le monde sera à peu près d’accord pour considérer que la comm’ présidentielle est maîtrisée, hein ? Et il en va de cette chose maîtrisée comme des autres : l’important est moins, pour ceux qui la produisent, d’être efficaces que d’être en permanence convaincus qu’ils ont la main sur ce domaine. Ce qui est intéressant, c’est qu’on voit quand même, de semaine en semaine, cette maîtrise passer de la prestidigitation qui ratisse large dans le public cible à cette espèce de ringardise qui caractérise tous ceux qui, convaincus de leur savoir-faire, ne disposent en fait que d’un stock de techniques de communication dont la mise en oeuvre témoigne en réalité du temps auquel ils appartiennent, c’est à dire le passé. Autour de Sarkozy, ça commence à fleurer bon les techs de comm’ un peu datées : le dynamisme affiché quand le désastre global appelle un moment de réflexion (franchement, au point où on en est, et réduits à ce que nous sommes par la frénésie, est il nécessaire de s’agiter encore ?), la proximité feinte (proximité ? Quand on parle à quelqu’un dont le cercle familial se promène sur les crêtes de massifs de fric tellement élevées qu’elles doivent nécessiter de brancher sur son système respiratoire des machines diffusant des produits aptes à rendre supportable l’écart qui s’est creusé avec la « population », et qui trouve « normal » que l’écart de condition de vies entre les uns et les autres soit de l’ordre de la déchirure, y a t-il quelque proximité qui vaille ?), la prise en charge (« prise en charge » ? Comment peut on vouloir être « écouté », « pris en charge » par ceux là même qui nous démantèlent ?!), tous ces signaux qui semblent vouloir mimer le « on est tous dans le même bateau », sans doute le genre de signal que les rescapés du Titanic devaient lancer à ceux qui givraient encore dans les eaux glacées : « on est de tout coeur avec vous »; tous ces signes massivement colportés dans les foyers par les réseaux dont on aimerait bien débarrasser les signaux parasites, on les voit de plus en plus en transparence, et s’ils sont de moins en moins efficaces, ils n’en restent pas moins la mise en action de stratégies mûrement réfléchies.
Alors, on se demande bien pourquoi notre président, lorsqu’il s’adresse aux français, adopte un vocabulaire différent, selon l’interlocuteur auquel il est confronté. Ainsi, Lundi soir, à l’entendre, il y eut face à lui » Monsieur Le Ménahès », « Monsieur Bertheloot », « Monsieur Bils », « Madame Sophie Poux » et « Nathalie », « Martine », , « Samir », « Rex » ,« Bernadette », « Elodie » et « Marguerite ». Evidemment, il y avait aussi, reconnu à la hauteur du service qu’il rendait ce soir là (mais rabaissé, aux yeux de tous ceux qui le regardaient faire, à l’altitude à laquelle on s’installe lorsqu’on doit lécher un cul présidentiel (c’est à dire, en l’occurrence, assez proche de ces altitudes qui suscitent l’inquiétude face à une éventuelle montée des eaux, étant donnée la morphologie de notre actuel chef de village)), un «Monsieur Pernaut» dont on devinait qu’il était celui sur lequel le casting de la soirée avait été le plus soigneux : son cahier des charges se lisait dans sa complaisance et sa déférence envers celui dont on imagine assez bien qu’il aime à se croire la voix dès qu’il lance les premiers mots de son JT quotidien.
En somme, si on est breton, chef d’entreprise, français de souche de manière générale, et homme, on mérite la reconnaissance présidentielle et l’usage du patronyme. Mais si on fait partie de ces français dont on se dit, en « off », qu’ils ne doivent pas être auvergnats d’origine, en se frottant les côtes de rires partagés, ou bien si on est une femme, alors on a droit au prénom. Le casting s’était préservé du cas particulier qu’aurait constitué un paneliste qui serait doté de plusieurs stigmates sociaux simultanément : pas de chômeuse s’appelant Rachida au programme lundi soir, ça brouillerait sans doute le message, et puis accessoirement, ça mange pas de pain de montrer au bon peuple qui doit se rendre prochainement dans les urnes que les chômeurs sont blancs, et que les profs s’appellent « Samir ». Seule la condition de productrice de lait suscite un ponctuel « madame Sophie Poux », sans doute provoqué par l’enracinement à la terre (on connait la chanson depuis quelques discours adressés aux agriculteurs à ceux qui voient dans les agriculteurs une image confortant leur propre fantasme national), et par la médiatisation chronique de la situation des producteurs de lait (on a plaisir, tout de même, à se dire qu’on a une équipe dirigeante qui est warholienne dans l’âme, n’accordant sa reconnaissance qu’à ceux qui ont déjà eu leur quart d’heure de gloire télévisuelle (d’ailleurs, le panel de français triés sur le volet ne sortait pas de nulle part : tous faisaient partie des intermittents de l’interview déjà diffusés par TF1 dans tel ou tel reportage, et on sait comment les journalistes ont à coeur depuis maintenant longtemps de trouver au sein du peuple ceux qui seront considérés comme des « vrais gens »)).
Sarkozy, Nathalie, M. Bertheloot and co
Si on postule que tout dans l’exercice de comm’ était maîtrisé, (et la soirée de lundi n’était rien d’autre que cela, il n’y avait là rien qui put ressemble, de près ou de loin, à ce qu’on peut appeler « politique », ce n’était en définitive qu’une visite d’une dame patronnesse à ses malades, par pure courtoisie (parce que de tous temps, être dame patronnesse, c’est se poser comme élu du peuple)), alors l’usage circonstancié du prénom ou du nom a valeur de message. Et comme ce qui définit le message dans ce genre de soirée, c’est le destinataire, c’est à dire celui qui fait partie des quelques millions de quidams qui vont poser leur cul devant TF1 pour un bon moment d’édification des masses, dans une simplicité soigneusement mise en scène, finalement, le fait que notre président refuse de prononcer les mots « Monsieur Kazadi », ou « Madame Perriot » en dit long sur l’électorat qui est visé. Et comme jusqu’à preuve du contraire ce type est notre élu, ça en dit long, aussi, sur nous mêmes.
Finalement, pas besoin d’un débat sur l’identité nationale, le boulot est déjà fait : avec un gouvernement qui articule son discours sur les sondages d’opinions (et on aimerait bien qu’ils soient publiés, d’ailleurs, les sondages effectués pour la gouverne de notre présidence, parce qu’ils doivent être un de ces miroirs qui toussote de gêne lorsqu’on lui demande « miroir, Ô beau miroir national, sommes nous le peuple le plus beau ? », avant de nous renvoyer à la gueule, notre bonne mine souriante, avec des gros bouts de mépris envers ceux qu’on appelle en douce les « pauv’ gens, et de racisme convivial, aussi). Notre identité, elle se déduit le plus précisément des discours qu’on nous tient.