De deux choses l’une :
ou bien Guaino & c° sont tellement géniaux qu’il serait dommage de ne lire leurs discours qu’une fois,
ou bien dans les secrétariats de l’Elysée, on est un peu payé à rien foutre.
Toujours est-il que quand il s’agit de s’adresser aux agriculteurs, on les prend suffisamment pour des cons pour leur ressortir au mot près de longues séquences d’un discours prononcé neuf mois plus tôt. Et histoire d’enfoncer le clou, notre bien aimé président, qui ne peut pas ne pas savoir qu’il ressort le même sketch pour la seconde fois, va introduire son speech par les mots suivants : « Je ne suis pas venu tenir un discours que vous avez déjà entendu ». On imagine assez bien les discussions précédant ce grand moment : « Nicolas, je vous écris un nouveau discours pour les bouseux ? – Non non Guaino, vous avez mieux que ça à faire, trouvez nous donc quelques bons mots pour Frédéric Lefebvre, il est en petite forme ces dernières semaines, je vais leur refaire le discours de l’autre fois, de toute façons, les pécqueneaux sont comme les poissons rouges, ils n’ont pas de mémoire à long terme. Pour faire d’une pierre deux coups, je recaserai la bonne vieille formule de la terre comme identité nationale, ça flattera la tendance extrême droite de la France profonde ». Et voila comment on ressert deux fois les mêmes plats, à l’Elysée (pour des hommes qui se tapent des repas à 5000 € par personne, ça fait un peu mesquin, non ?), quand il s’agit d’inviter au dîner de cons du jour la paysannerie française que Sarkozy doit, ce jour là, et malgré ses réticences, caresser dans le sens du poil.
Heureusement, en France, une petite équipe de journalistes repère ce genre de choses. On profitera de cette séquence mélangeant parfum de scandale (ou plutôt de mépris) et amusement public pour se demander pourquoi ces éléments d’enquête journalistique sont systématiquement produits par cette petite équipe d’irréductibles journalistes dont Yann Barthes est le visage et qui en quelques très courtes minutes de Petit Journal, passe réunions politiques auxquels ils semblent bien être les seuls journalistes à se rendre, discours présidentiels, propos de campagne, au crible d’un regard qui est tout simplement critique. Jamais un seul JT ne repère quoi que ce soit de ce genre. Ils ont pourtant d’autres moyens, et c’est censé être leur mission…
L’extrait vidéo vient donc de cette géniale séquence quotidienne qu’est le Petit Journal sur Canal+ :
Finalement, si on aime la terre, on aime finalement moins les paysans, qui ne sont pris en considération que parce qu’ils sont, à l’approche de nouvelles élections, les voix de la terre auxquelles on ne peut pas dire clairement « Tirez vous, pauvre cons », et que le citoyen lambda, ne mettant jamais les pieds dans une exploitation agricole, voit encore le cultivateur comme une sorte de croisement en Yves Duteil, Gérard Klein et Hugues Aufray, pas comme un déverseur de produits chimiques : mais on sait d’où vient cette double lecture du paysan dans cette manière décomplexée qu’a l’UMP de lier ces temps ci identité nationale et terroir. Si les nègres du président arrêtaient de piller Pétain quand il s’agit de parler à la France profonde, ils pourraient nous sortir quelques autres références, voisines, mais prenant moins de gants avec le même sujet.
En effet, les formules de Sarkozy, sur la terre, humus de l’identité nationale française (comme si il n’y avait de terre qu’en France, et d’agriculteurs qu’hexagonaux) sont finalement tirées de la rhétorique pétainiste : tout le monde a connecté son discours, prononcé deux fois, à l’annonce faite aux français par le maréchal Pétain, le 25 juin 1940, des conditions de l’armistice :
« Ce n’est pas moi qui vous bernerai par des paroles trompeuses. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal. La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe en friche, c’est une portion de France qui meurt. Une jachère à nouveau emblavée, c’est une portion de la France qui renaît. »
Ce qui est génial, c’est que si on relit le passage, on s’aperçoit qu’à aucun moment on ne parle des paysans eux mêmes, il ne s’agit que de la terre. C’est un seigneur, ou quelqu’un qui se croit tel, qui parle de ses terres dont il aime qu’elles fructifient. Mais quand le même courant de pensée décrit les paysans eux mêmes, c’est une autre image qui apparaît. Quittons Pétain, mais allons vers Lucien Rebatet, fasciste revendiqué, auteur d’un roman parait-il bon (Les deux Etendards, mais il y en a tellement d’autres, des romans parait-il bons…). Dans son ouvrage intitulé Les Décombres, il raconte son itinéraire personnel, et son implication dans la seconde guerre mondiale, sous un angle forcément un peu particulier. Un passage s’intéresse à la visite d’incorporation, moment où Rebatet se trouve, avec tous les hommes de sa classe d’âge, dans le plus simple appareil, sous le regard des médecins sélectionneurs. Mais un autre voyeur les observe, c’est l’auteur lui-même, qui a ces mots au sujet de ceux qui viennent du monde agricole :
« Les visites d’incorporation ont commencé pour toute ma fournée. Ce sont des cérémonies interminables. Elles offrent tout loisir pour contempler à l’état de nature un bon millier de mâles français. Il s’en faut de beaucoup que ce spectacle soit réconfortant. La race de ma province a sans doute toujours été plus résistante que belle. Mais elle est réellement abîmée, négligée. Il faut dix bouches pour réunir trente-deux dents intactes. Les ptoses, varices, hernies, ulcères, scrofules sont en nombre incroyable. Les moeurs d’un régime et d’un peuple se jugent aussi dans ce défilé de paysans, avec leurs ventres énormes et mous sur des cuisses rachitiques et des genoux en boulets, leurs échines arquées, leurs omoplates décollées, leurs thorax étiques, leurs mâchoires pourries, leurs oreilles suintantes, leurs estomacs aigris, leurs foies décomposés. Je ne suis qu’un citadin de carcasse solide mais d’apparence fort modeste, un gratte-papier confiné dans des imprimeries empestées, avec quelque cinq mille nuits de veille derrière lui, mais du moins sobre et lavé. Je me situe dans une très honorable moyenne parmi tous ces hommes de la terre et du grand air. »
Lucien Rebatet, Les Décombres, p. 156 (oui, mes lectures m’étonnent parfois moi-même un peu !)
Allez, soyons médisants quelques secondes : si toi, lecteur, tu ressens quelque trouble à la lecture de ces lignes, si tu aimes les ambiances de vestiaires, les corps masculins tels qu’ils sont dans la réalité, et non tels que les films de propagande (que ce soit Les Dieux du stade par Riefenstahl ou Les Dieux du stade par le Stade Français) les mettent en scène, si toi aussi tu sens bien qu’il y a chez Rebatet un regard qui est loin d’être insensible à la vue de ses semblables dans leur plus simple appareil, méfie-toi : tu ferais peut être bien partie de ces gens qui sont capables d’être émus par les lutteurs de 40 ans, et je me demande si, au-delà du dégoût affiché pour ces corps étrangers à sa propre nature, il n’y aurait pas chez Rebatet une tentation pour cette mauvaise vie là. Parcourir les pages de récits de « lutte » de ce personnage là, c’est se trouver dans un univers qui transpire la virilité et la fascination qu’elle provoque sur celui qui en est le témoin. Le problème de la fascination, c’est qu’elle est autant une attirance qu’une répulsion. Chez le fasciste qui nous occupe ici, c’est ce second effet qui prédomine, mais on ne peut pas s’empêcher de soupçonner qu’il ne s’agisse, finalement, que de dénégation. Mais revenons aux paysans auxquels la droite s’adresse : si, dans une version électronique des Décombres, on fait une recherche sur « paysans », on ne trouve que des détails de cet acabit. En revanche, une recherche sur le mot « paysage » permet d’atteindre des passages tels que celui qui suit :
« Nous sommes bien partis pour la zone des armées, mais pour celle des Alpes. Le ridicule est fidèlement attaché à mes pas de troupier.
J’ai du moins découvert, chemin faisant, l’admirable vallée de la Drôme, que je rougis d’avoir ignorée jusqu’ici. A huit heures du matin, elle a toute la lumière, les valeurs ocrées, bleutées et argentées des Corots d’Italie ; leur dessin aussi, vieilles citadelles méridionales, petits villages en colimaçons, premiers cyprès de pleine terre, châtaigniers et chênes verts agrippés aux collines sobres. Bientôt, les lignes, toujours aussi pures et nettes, se font plus tourmentées. Le coteau devient montagne, la Drôme bleue et rapide devient torrent et parle des neiges qui barrent l’horizon. La nature est en veine d’imagination et prodigue toutes ses fantaisies. Eboulis colossaux et harmonieux, ravins, falaises, gorges, cimes, chaque tournant du chemin est une surprise nouvelle. Le ciel latin est de tous côtés escaladé par des rochers étranges et élégants. C’est le paysage qui comble toutes mes prédilections, le Midi et l’Alpe, la noblesse d’une terre déjà provençale, mais soulevée d’un lyrisme qui fouette incomparablement l’esprit. »
Ibid, P. 178
La terre sans ceux qui la travaillent, la géographie sans l’homme, le paysan mis sous terre, réduit à son statut de bête de somme nécessaire. D’ailleurs, quand Rebatet parle de l’agriculture, ce dont il se soucie, c’est de voir les juifs être propriétaires de la terre et du bétail.
Tel est le discours qui se tient encore sur les agriculteurs : tellement attachés à la terre par le regard politique qu’ils y sont embourbés, tellement abstraits qu’on oublie, quand on leur parle, au-delà des financements qui ne font qu’alimenter cette activité censée être elle-même nourricière, de les rappeler à leurs devoirs devant cette terre qui est, dès lors, elle même abstraite, puisqu’on la glorifie tout en la polluant.
On sent bien, derrière ces mots dont on semble suffisamment fier pour se permettre de les servir plutôt deux fois qu’une, le double langage et la double pensée d’une droite qui n’est en fait pas si à l’aise que le discours veut bien l’affirmer avec le matériel idéologique qu’elle manipule. Encore un effort pour être totalement décomplexée ?
C’est bien ça, avec ce post, on apprend enfin quelque chose de fondamental : François Bayrou est bien un homme de droite, puisqu’il en a les lectures, et même de l’extrême, apparemment…
Au fait, François, sors un peu du corps de Youri Kane ! 🙂
PS : pour répondre au dernier commentaire, je suis au regret de vous faire savoir que la précarité n’a jamais sauvé personne, et encore moins la précarité « Mc donaldienne », bien au contraire !!!
François ?
Je ne connais pas de François qui ait élu domicile en moi !
Et… en quoi découvre t on ici même que Bayrou serait de « droite » au sens où je l’ai entendu ? (bon, qu’il soit de droite, on s’accordera là dessus, nul doute à ce sujet (il l’est tout autant que Villepin, on peut même dire qu’ils ont les pieds dans es mêmes sabots, à tel point qu’il faudra bien que l’un piétine l’autre un jour), mais pourquoi le lier aux propos tenus ici même ?)
Okay, visiblement, je n’ai pas été assez explicite, mais trop allusif. Pourtant, ça me paraît clair : les derniers posts convergent tous vers une critique mordante et systématique du gouvernement et de ses acteurs (dans l’ordre d’apparition : Lionnel Luca, Eric Besson, Joelle Ceccaldi-Raynaud et et et … le petit Nicolas !)
Il me semble donc inévitable de voir, derrière tout cela, apparaître la belle figure du Béarnais dissident.
De là découle mon observation concernant tes lectures (cf Rebatet) qui révèlent la véritable appartenance politique de François Bayrou, puisque comme je l’ai démontré plus haut, Youri Kane = F.Bayrou. (Vive les équations et mon 1/20 en maths au bac S) 🙂
Bref, je suis incompris mais pas surpris, et ce ne sera pas la première, ni la dernière fois d’ailleurs !
Quant au tandem « de Villepin/Bayrou », je pense qu’ils se feront piétiner tous les deux par de bien plus gros sabots que les leurs.
Euh… je ne crois vraiment, (mais VRAIMENT) pas être à tendance bayroutiste (bayrousienne, bayrouesque ?) !) Je ne sais pas si Bayrou lit Rebatet, mais si je le lis, ce n’est pas par sympathie, c’est juste que je pense que lire par sympathie est une des manières les moins intéressantes de lire. Je préfère voir comment se présentent d’autres pensées (sinon, à quoi bon lire ?)
Du coup, ça fait pas mal d’éléments de ton raisonnement qui semblent un peu fragiles : yourikane=bayrou, ça ne me semble pas du tout démontré.
Quant à la critique systématique de la droite, va falloir que je passe à autre chose, ça devient une facilité. Cela dit, le post que je conserverais, c’est celui sur Luca, car cette déclaration « parlante », personne ne l’a relevée.
Enfin, une fois que Bayrou et Villepin se seront piétinés tout seuls, effectivement, il y aura bien des charognars pour venir s’essuyer les pieds dedans, avec le secret espoir d’y récupérer quelques électeurs, sans doutes.
Attention à ne pas négliger la petite dose d’ironie et la GROSSE dose de provocation contenues, ici, dans mes propos…
PS : nous sommes passés à l’heure d’hiver (-1) 🙂
Ouf !
L’heure indiquée pour les messages semble être l’heure universelle (c’est à dire celle que personne n’a à sa montre) 🙂 Sauf exploration très profonde dans les codes du blog, je ne peux pas la modifier !
Putain (non, non, pas Pétain, je refuse de me mettre au diapason du ton qui semble régner ici comme ailleurs ces jours-ci), tu m’auras tout fait, jkrsb ! Mais Rebatet, non franchement ! Et même pas avec l’alibi d’une critique cinématographique à laquelle d’autres ont pu se référer dans les années 60 ou 70, non, du brutal, de l' »oeuvre littéraire » !
Je sors de la librairie où j’ai appris que la prochaine Pléiade à paraître sera consacrée aux Lettres de Céline. Tout ça commence à me fatiguer : je vais finir par être de gauche, moi !
Bon, je ne me suis pas laissé abattre et je me suis acheté les deux tomes du Théâtre élisabéthain et celui des Philosophes confucianistes.
Héhé, bon je vais rassurer tout le monde : je ne lis pas vraiment Rebatet, j’avais besoin d’une source pour valider certaines inspirations dont il me semble qu’elles sont lues par certains conseillers, sans que ce soit pleinement assumé dans les discours. J’ai juste ouvert le pdf des Décombres, et je suis juste allé chercher dedans ce qu’il me fallait. Cela dit, j’y ai découvert un truc homoérotique pas assumé (non plus) auquel je ne m’attendais pas vraiment, comme ça, mine de rien, sans avoir l’air d’y toucher, Rebatet distille sa dose de testostérone au fil de ses pages. On dirait un Renaud Camus qui ne se connaitrait pas lui même, finalement (tant que je suis dans les références qui fâchent… :)). Ca ne me semble pas inintéressant de se coltiner un peu d' »esprit français » tel qu’il est capable de s’exprimer, parfois !