La Chine n’est grande que parce que le reste du monde est à genoux devant lui-même (libre adaptation…)

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Extrait de La démocratie dans quel état ?, ouvrage collectif sorti aux éditions La fabrique (encore, se dit-on), dans la partie prise en charge par Slavoj Zizek, ce questionnement qu’il serait peut être bon qu’on mette une bonne fois pour toutes sur la table, afin de décider ce que, politiquement, on veut à la fin :

Dans son texte, intitulé De la démocratie à la violence divine, Zizek s’appuie tout d’abord sur une analyse de l’idée selon laquelle la démocratie s’installe uniquement dans les sociétés qui sont parvenues à un développement économique suffisamment puissant pour pouvoir porter cette forme politique, et la permettre. Et dans ce cadre, il s’intéresse au cas particulier de la Chine, en l’envisageant tout d’abord selon cette logique, pour ensuite la renverser :

« Y a t-il meilleur argument en faveur de la voie chinoise du capitalisme – par opposition à la voie russe ? Après l’effondrement du communisme, la Russie a adopté une « thérapie de choc » en se jetant directement dans la démocratie et sur la voie rapide du capitalisme. Le résultat a été la faillite économique (note de l’auteur, ici : Il y a de bonnes raisons de se montrer ici paranoïaque : les conseillers économiques occidentaux d’Eltsine qui suggérèrent cette voie étaient-ils aussi innocents qu’il y paraissait ou servaient-ils les intérêts américains en travaillant à affaiblir économiquement la Russie ?) Les chinois, au contraire, ont emboîté le pas au Chili et à la Corée du Sud en utilisant sans complexe le pouvoir autoritaire de l’Etat pour contrôler les coûts sociaux du passage au capitalisme, évitant ainsi le chaos. En somme, loin d’être une absurde anomalie, l’étrange association du capitalisme et du régimslavoj_zizek1e communiste s’est avérée une bénédiction (à peine) déguisée. Le développement si rapide de la Chine ne s’est pas fait malgré le régime autoritaire communiste, mais bien grâce à lui. Pour conclure sur un soupçon à résonnance stalinienne, on peut se demander si ceux qui s’inquiètent du manque de démocratie en Chine ne sont pas plus inquiets encore de constater le rapide développement qui fait de ce pays la prochaine superpuissance mondiale en menaçant la suprématie occidentale.

Un autre paradoxe est également à l’oeuvre ici. Par-delà toutes les railleries faciles et les analogies superficielles, il existe une profonde homologie structurelle entre l’auto-révolution permanente maoïste qui cherche à lutter contre l’ossification des structures d’Etat, et la dynamique propre au capitalisme. On est tenté ici de paraphraser le mot de Bertolt brecht : « Qu’est ce que le cambriolage d’une banque comparé à la fondation d’une nouvelle banque ? » Que sont les déchaînements de violence destructrice des gardes rouges dans la Révolution culturelle, comparés à la véritable Révolution culturelle nécessitée par la reproduction capitaliste, soit la dissolution permanente de toutes les formes de vie ? La tragédie du Grand Bond en avant se répète aujourd’hui sous forme de farce, avec le saut dans la modernisation capitaliste, le vieux slogan « une fonderie dans chaque village » resurgissant sous la forme « un gratte-ciel dans chaque rue ».
L’explosion du capitalisme chinois ne serait-elle donc pas défendable, sur un mode quasiléniniste, comme une espèce particulière de NEP prolongée (la nouvelle économie politique, adoptée de 1921 jusque vers 1928 par une Union soviétique dévastée après la guerre civile), le parti communiste exerçant fermement le contrôle politique et se réservant la possibilité d’intervenir à tout moment pour annuler les concessions faites à l’ennemi de classe ? Portons cette logique jusqu’à l’extrême : étant donné la tension qui existe dans les démocraties capitalistes entre la souveraineté démocratique-égalitaire du peuple et les divisions de classes de la sphère économique, état donné d’autre part les prérogatives que l’Etat se réserve par exemple en matière d »expropriation, le capitalisme lui-même n’est-il pas une espèce de grand détour de type NEP sur la voie qui, si elle était directe, conduirait des relations de domination féodale ou esclavagiste à la justice égalitaire communiste ?  »
Slavoj Zizek – De la démocratie à la violence divine, in La démocratie dans quel état ?

Vient alors ce à quoi nous devrions peut être nous atteler un peu plus consciemment :

« Et si la deuxième étape démocratique promise, celle qui doit suivre la vallée de larmes autoritaire, ne devait jamais arriver ? Ce qui est gênant à propos de la Chine actuelle, c’est peut être le soupçon que son capitalisme autoritaire puisse être non pas un simple rappel de notre passé non pas la simple répétition d’un processus d’accumulation capitaliste qui dura, en Europe, du XVIe auXVIIIe siècle, mais un signe de l’avenir ? Qu’arriverait il si l' »association victorieuse du knout asiatique et du marché boursier occidental » se révélait plus efficace économiquement que notre capitalisme libéral ? S’il apparaissait que la démocratie telle que la comprenons n’est pas une condition, ni un motif, mais un obstacle au développement économique ? »

Voila. Bon sujet de dissertation, dont on ne sait pas combien de temps nous avons pour le traiter. Peut être la conclusion et la réponse en sont d’ailleurs déjà écrites.

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