Plouf plouf, chopons deux infos au hasard dans le jeu des sept familles dont on nous abat les cartes tous les soirs à 20h.
Première info : un donneur de sang porte plainte contre l’établissement français de don du sang.
Deuxième info : Eric Hazan, patron de la maison d’édition La Fabrique, est entendu comme témoin par la sous-direction antiterroriste, dans le cadre de l’affaire de Tarnac.
Point commun entre les deux infos : l’Etat y apparait comme particulièrement protecteur, très sensible à notre bien être à nous, petits administrés fragiles, qui nous effrayons d’un rien. Dans le premier cas, nous sommes certains qu’en cas de coup dur, nous ne recevrons pas du sang provenant d’un homosexuel, dans le second, nous sommes certains que l’Etat a à l’oeil des groupuscules de dangereux terroristes, ainsi que les intellectuels qui pourraient les inspirer.
Nous pouvons dormir tranquilles, sur nos deux oreilles (ce qui demande un polochon un peu mou, ou des aptitudes de contorsionniste peu communes), les services de l’Etat nous protègent. Ils ont nos ennemis dans le collimateur.
Evidemment, si on a mauvais esprit, on peut se demander : la mesure gouvernementale est elle la réponse à une inquiétude ? ou bien est elle la cause de cette inquiétude ? Soyons pragmatiques : quand tout le monde est appelé à donner son sang, il y a nécessairement dans la population des donneurs, un certain nombre d’entre eux qui sont séropositifs. On peut présumer que ceux qui le savent, et viennent donner leur sang, animés d’une évidente intention très très méchante ne vont pas dire lors de l’interrogatoire qu’ils sont gays, ou qu’ils ont eu des comportements à risques ces derniers mois. Donc, s’il existe des personnes aussi mal intentionnées, on peut être sûr qu’elles donnent très tranquillement leur sang au moins une fois, qu’elles sont dépistées par les tests systématiques qui sont faits sur chaque prélèvement, et qu’elles n’y reviennent plus (à moins de voir en elles un équivalent de la chauve souris de Bigard, qui décidément, nous veut vraiment beaucoup de mal!). Maintenant, on le sait bien on peut être séropositif sans le savoir. Cela concerne les gays, et jusqu’à preuve du contraire, cela concerne aussi les hétérosexuels. Jusqu’à preuve du contraire, les hétérosexuels ont des relations sexuelles, comme tout le monde. Sont elles plus protégées que la moyenne ?
Bonne question. Et il est difficile d’aller voir sur place comment ça se passe. Quelques indices tout de même ? Allons y : si vous avez déjà vu des films porno, vous avez sans doute remarqué quelque chose d’assez intéressant : les films gays sont le plus souvent protégés (en d’autres termes, ils mettent en scène des rapports avec préservatif). Ce n’est pas une règle universelle, et il y a un courant bareback important, mais on va y revenir. Pour les films hétéro, la non protection est la règle, et seuls quelques exceptions osent les plans avec préservatif. Quelle est la réaction de chaque communauté ? En fait, il n’y a pas de vraie communauté hétérosexuelle, tout simplement parce que les hétérosexuels bénéficient de la bonne conscience de ceux qui se sentent en majorité. D’autre part, la majeure partie des hommes hétérosexuels sont des pères de famille qui ne communiquent pas beaucoup sur le fait qu’ils se regardent un film de temps en temps. Dès lors, il y a peu de risques qu’ils écrivent des lettres ou signent des pétitions pour se plaindre de la promotion permanente de la prise de risque qui est faite dans les films qui leur sont destinés. Il existe, de fait, une communauté gay. Et les films porno sont une telle partie de la culture de cette communauté que lorsque des studios ont commencé à proposer des productions bareback, cela a immédiatement fait débat. En d’autres termes, quand l’une des communautés fonctionne sur le silence, l’autre est consciente et débat, parfois violemment, de son propre rapport à la contamination. Et d’autre part, si les films porno font partie aujourd’hui de l’éducation sexuelle, alors les gays sont mieux éduqués à la prévention des conduites à risques que leurs semblables hétérosexuels. C’est d’ailleurs à cela qu’on repère un lieu de drague gay : l’amoncellement de capotes usagées abandonnées sur place (argument totalement non recevable, je l’admets bien volontiers !)
Alors, officiellement, ce sont les chiffres qui parlent : 10% des gays seraient séropositifs, alors que seuls 0,2% des hétéros le seraient. Le chiffre peut étonner. Tout d’abord, il suppose qu’on ait compté les homosexuels, ce qui a priori n’a jamais été fait. D’autre part, on ne sait pas trop dans quelle catégorie il faut classer tous les pères de famille qui se rendent de temps en temps dans tel ou tel bois, avec les sièges enfants soigneusement accrochés à l’arrière du scenic, histoire de passer un p’tit moment de « détente » avant de rentrer à la maison. Il suffit d’aller voir sur place, il suffit d’aller sur n’importe quel site communautaire pour être édifié. Bref, on cerne mal comment ces chiffres peuvent être pris au sérieux alors même qu’il s’agit d’un phénomène particulièrement difficile à mesurer.
Mais allons plus loin. Si on veut en avoir, des chiffres de contamination, le mieux est finalement qu’ils y aillent, les gays, donner leur sang, précisément parce qu’ils subiront un test, et qu’au moins, s’ils ne se savaient pas séropositifs, ils seront ainsi fixés, et ils ne seront pas conviés une nouvelle fois à donner leur sang (et, accessoirement, ils pourront tout simplement recevoir un suivi médical adapté). On a beau retourner le problème dans tous les sens, on cerne mal comment l’Etat refuse ainsi une si belle occasion de pratiquer du dépistage. Enfin, c’est pire que ça : le dépistage, finalement, on l’accepte pour la population straight, mais on la refuse aux gays en les excluant de la prise de sang. Même si l’explication est budgétaire, on cerne mal comment on peut subordonner ce test à un quelconque impératif économique, et ce d’autant plus que plus la maladie s’installe, plus le coût sera lourd économiquement. Enfin, humainement, on comprend mal pourquoi on encourage pour les uns ce qu’on refuse aux autres, tout en justifiant ce refus par la simple raison que ceux ci sont davantage en risque. Y a t il une explication à cela ?
On peut émettre une hypothèse ? Et si cela n’avait rien à voir avec un quelconque principe de précaution ? Et si, en période de crise, on ne faisait que détourner l’attention ? Disons le autrement : et si, comme souvent dans des périodes où une souffrance tout à fait objective va s’abattre sur les administrés, souffrance dont on cerne assez bien les causes, qui sont tout bonnement humaines, et si pour alléger le poids de la crise, on installait tranquillement d’autres ennemis, plus insidieux, plus diffus, au sein de la société ? Et si, davantage que le risque de perdre votre emploi (et on ne saura jamais très bien qui est l’auteur de cette perte, ce qui ne veut pas dire que les fautifs ne soient pas identifiables, mais qu’on se refuse, tous, à le faire parce qu’en gros, ces fautifs sont ce qu’on aimerait tous être), vous étiez persuadé qu’à cause des homosexuels, vous risquez d’être contaminé lors d’une transfusion sanguine ? Voila qui va permettre de donner un peu de crédit à certains membre des partis de droite, tous autant qu’ils sont, qui voient d’un certain mauvais oeil cette tolérance s’appliquer à ceux qui ne leur ressemblent pas. Voila qui permet de faire de la discrimination tout en ayant les mains blanches, innocemment (on a procédé de la même manière avec les juifs, au début : on justifiait par la science, avec des statistiques tombées de Dieu sait où, des explications sanitaires, on invoquait déjà le principe de précaution, qui faisait qu’on évitait de voir des juifs dans les piscines municipales. Ainsi, le bon peuple se disait que si une telle interdiction était prononcée, c’est qu’il devait bien avoir une raison, un danger qui demeurait caché, et auquel on croirait d’autant plus. Voila qui permet aussi d’occuper les esprits et d’indiquer aux citoyens de qui ils sont censés avoir peur. Ca permettra de faire mine de les protéger à bon compte. Et voila Bachelot, qui fustigeait les dames patronnesse à l’assemblée nationale, et ce contre son propre camp, qui aujourd’hui balance un couteau dans le dos de ses anciens protégés. Mais bon, on le sait, quand même, qu’à droite, on ne réussit pas avec les siens, mais contre eux, non ?
Alors, l’affaire de Tarmac, même combat ? Une interview dans les inrocks, cette semaine, donne le ton. C’est Eric Hazan lui même qui s’y exprime, après avoir été entendu par la cellule antiterroriste. Rappelons simplement pourquoi : Julien Coupat, le seul de tout le fameux groupuscule de Tarnac qui soit aujourd’hui en prison, détenait un petit livre que chacun d’entre nous peut acheter chez son libraire du coin : L’insurrection qui vient, rédigé par ce qu’on nommera, conformément au livre lui même, le « Comité invisible » :
« il y a une logique à cela : c’est de l’antiterrorisme, ce ne sont pas les faits qui sont criminalisés, ce sont les intentions, puisque c’est une justice préventive. C’est dit très clairement : l’antiterrorisme vise à prévenir les attentats, les troubles à l’ordre public. A partir de là, il faut connaître les opinions, les prises de position… Les livres que tu détiens, ceux que l’on trouve chez toi, et a fortiori ceux dont on pense que tu les as écrits, deviennent des pièces du dossier. L’antiterrorisme n’a plus rien à voir avec la loi. C’est un moyen de contrôle de la population.
(…) Quand la police, au sens large du terme, repère une zone hostile -je ne dis pas un groupe ou une mouvance, je dis bien une zone-, elle procède par coup de filet. On met tout le monde en cabane et après on les libère : en l’occurrence pour Tarnac, huit sur neuf… On parle de libération, mais les huit restent en liberté conditionnelle, avec une surveillance policière extrêmement intense, sans pouvoir se parler ni se rencontrer. C’est un moyen pour neutraliser, casser les relations, circonscrire une zone non conforme, de véritable hostilité au pouvoir en place. »
Les inrockuptibles n°699 – P.22
Ainsi, derrière deux informations prises au hasard, ou presque, ce qui se dessine, c’est une logique, et une politique, c’est à dire une technique de gestion du peuple, et une manière de conserver le pouvoir. Si on devait la définir, on pourrait reprendre les mots de Hazan, presque à la lettre : on repère les lieux de résistance potentielle (et c’est important, de préciser qu’il s’agit de simple potentiel, parce que de résistance réelle, finalement, ce gouvernement n’en connait que dans ses propres rangs : il n’y a qu’au sein de l’UMP que certains commencent à réaliser vraiment ce qui se passe, le PS étant apparemment trop occupé à jouer les vierges effarouchées pour faire « comme si » eux même n’auraient pas agi de même s’ils étaient au pouvoir, alors que leur décidément inébranlable adhésion aux principes du marché les aurait amené, mécaniquement, à une politique à peu près semblable, la seule différence, c’est qu’ils n’ont pas de têtes de gondoles aussi efficaces qu’une Dati, qu’une Yade, qu’une Lefebvre ou qu’un Sarkozy en personne), on repère donc une possibilité de résistance, et au lieu d’en souffrir, on en fait un outil de pouvoir, quite à sacrifier ainsi une partie de la population. On pourrait prendre n’importe quel dossier actuel, et observer que c’est cette méthode qui est utilisée : crise des banlieues ? On met d’abord tout le monde dans le même plat, on donne des banlieues une image globale, on applique à l’ensemble de ces quartiers une politique répressive, on y met physiquement le feu, et ensuite on ne s’en occupe plus (quelqu’un a t il récemment entendu parler du plan Marshall pour les banlieues ? Quelqu’un, dans l’équipe tout de même très servile du Grand Journal a t-il posé la question à Fadela Amara ? Inutile de vous refaire toute l’émission : non, il n’en est plus question). L’école ? On pointe les profs qui ne bossent pas assez, on affirme qu’on va « mettre de l’ordre là dedans », on affirme que les chercheurs ne trouvent pas, et que c’est une raisons suffisante pour « mettre de l’ordre là-dedans », les sans-papiers ? On met tout le monde dans le collimateur, on fait des descentes, on tient des discours stigmatisant, montrant que le véritable problème de la France est celui-ci, et au cas par cas on va médiatiquement sauver tel ou tel sportif de haut niveau pour montrer que la gauche n’a décidément pas le monopole du bon coeur. Les chômeurs sont donc tous des feignasses qui dilapident l’argent de l’Etat par plaisir de rester sous la couette le matin pendant que les braves gens se lèvent pour aller travailler, les RMIstes sont des arnaqueurs, les malades dépensent indument l’argent de ceux qui sont en bonne santé, les pauvres ne font quand même pas grand chose pour devenir riches, les africains n’ont pas le sens de l’Histoire… On pourrait prendre ainsi chaque catégorie de la population qui n’est pas majoritaire, chaque catégorie qui pose problème pour montrer qu’à chaque fois, on a le même discours globalisant, et stigmatisant. Les dissidents politiques et les gays ne sont donc pas plus particulièrement visés; ce sont juste les héros du moment de la dramaturgie politique.
Est-ce efficace ? A priori, ça ne devrait pas marcher : on se trouve tous à un moment ou à un autre dans le collimateur gouvernemental et à ce titre, on ne devrait pas pouvoir adhérer longtemps au discours, ni supporter les mesures prises. Car, après tout, nous sommes finalement assez peu nombreux à passer entre les mailles du filet. Pour cela, il faudrait gagner suffisamment pour se payer sa propre santé, être propriétaire de son logement, n’avoir jamais touché aucune aide de l’Etat pour ne lui être redevable de rien, être blanc, actif, bien pensant, en bonne santé, sans inquiétude vis à vis de l’avenir, marié, des enfants. Regardons le pays, les WASPs à la française sont tout de même une minorité. Comment le pouvoir tient il à ce petit jeu ? Parce que bien que ponctuellement victimes du discours présidentiel (le gouvernement ne servant que de caisse de résonnance), nous sommes néanmoins le plus souvent dans le camp de ceux qui sont susceptibles d’avoir peur. Comme malade, je suis certes stigmatisé comme coûtant trop cher à l’Etat, mais je suis aussi victime potentielle des gays qui donnent leur sang contaminé, et les chômeurs me prennent l’argent qui pourrait servir à la sécurité sociale. Comme gay, je suis victime de l’homophobie latente (ou simplement instrumentalisée) du pouvoir, mais j’ai aussi à craindre les étrangers qui ne m’aiment pas, des chômeurs qui réduisent mon pouvoir d’achat. Comme étranger sans papiers, je suis décrit comme un parasite, mais j’ai à craindre des chômeurs qui dans le désespoir accepteraient bien les sales boulots qu’ils refusaient il n’y a pas si longtemps, et qui constituent mon gagne pain. Comme étranger régularisé, j’ai à craindre ceux qui sont irréguliers, etc.
Ainsi, nous sommes le principal moteur de cette manière de faire de la politique, et ce parce que nous persistons à considérer avant tout notre intérêt privé dans les affaires en cours. Le principe est vieux comme le monde, et en ce qui concerne notre gouvernement actuel, on ne peut pas dire qu’on soit surpris : la campagne présidentielle s’est faite sur ce ton, en valorisant précisément ce principe; désormais, on désignerait les vrais problèmes, sans langue de bois. Et chaque problème est une catégorie de la population. Et tout l’édifice tient à ce que la majorité a tout de même plus à gagner qu’à perdre dans les mesures promises, qui consistent toujours à sacrifier quelqu’un. L’important étant que les autres semblent être davantage sacrifiés que soi même. Ce faisant, ce que nous ne respectons pas dans le contrat social, c’est le principe de l’intérêt général, qui n’est jamais le résultat de l’addition des intérêts particuliers, puisque ceux ci sont nécessairement divergents. Ce qui est rompu, c’est le lien social. Et étant donné la nature des choix politiques effectués, on comprend qu’on veuille le rompre, ce lien, puisque c’est celui par lequel, précisément, on met entre parenthèse, dans la sphère politique, son petit intérêt personnel pour prendre en compte les autres autrement que comme des ennemis ou des concurrents. Autant dire que l’attitude politique, au sens plein du terme, est exactement l’inverse des valeurs soutenues par le discours « politique » actuel. Et si on peut désigner nos hommes et femmes politiques comme les organisateurs de cette dépolitisation, nous en sommes cependant les principaux acteurs, parce que nous pensons en être les bénéficiaires.
Maintenant, pour se faire une idée de ce que tout ceci donne en acte, on peut le lire, ce fameux « L’insurrection qui vient« . L’éditeur le distribue gratuitement en format pdf, tapez « insurrection qui vient .pdf » dans n’importe quel moteur de recherche, et vous tomberez dessus. On conseillera aussi un autre texte, plus court, qui s’intitule « Mise au point ». C’est tout d’abord particulièrement bien écrit, même si on peut ne pas être d’accord avec absolument tout. Mais surtout, l’évidence, c’est que ce qui anime ces gens là, ce n’est pas l’avantage personnel qu’ils peuvent retirer de leurs idées politiques, et ce n’est pas ce qui caractérise l’électeur majoritaire actuel, et ce n’est pas ce à quoi on incite cet électorat massif, non plus.
Nous sommes tous amateurs de sécurité et de protection; on a bien saisi ce manque de refuge qui nous inquiète, et « on » a compris que le meilleur moyen d’assurer notre sécurité, c’était de créer nos ennemis de toute pièce. Et comme des enfants, nous croyons encore aux grands méchants loups.
Juste un point technique : le fait de refuser le don du sang aux homosexuels ne ressortit pas à mon avis au principe de précaution, mais simplement à une logique de prévention mal comprise (nous sommes d’accord là-dessus). La différence entre les deux, précaution et prévention, peut paraître ténue, mais au-delà du débat sémantique, il y a là des aspects sémiologiques intéressants. Le lecteur intéressé pourra consulter par exemple (mais vu le prix je conseille plutôt de le voler plutôt que de l’acheter) un ouvrage collectif intitulé simplement « La question de la précaution en milieu professionnel » paru chez EDP Sciences sous la direction d’Olivier Godard. Au hasard, dans ce livre très intéressant, j’extrais un chapitre vraiment passionnant intitulé : « De l’histoire vraie d’une prévention manquée à l’histoire reconstituée d’une précaution non délibérée : de l’amiante aux fibres de substitution ; les fibres céramiques réfractaires. »
Si, si, c’est très bien je vous assure et après ça, vous ne confondrez plus précaution et prévention.
je dois avouer que j’espérais assez l’intervention d’un spécialiste sur la question, et davantage d’information sur la question, qui demeure tout de même délicate. S’il ne s’agissait pour nos gouvernants que de protéger les individus, il n’y aurait même pas débat. Mais on sent quand même dans cette affaire qu’on marche allègrement dans les domaines de l’incompétence et de l’instrumentalisation. Et l’inquiétude, c’est que justement, les politiques de précaution soient parfois uniquement un instrument de maîtrises des populations, et des esprits.
Et si la prévention est l’acte qui consiste à prévenir, on peut s’étonner de ce que la mesure concernant le don du sang ait finalement pour logique de prévenir des gens sains qu’il y a des malades imaginaires (au sens où on les imagine baisant à droite à gauche, se contaminer, puis venir donner leur sang sans que celui ci soit testé) qui pourraient les contaminer, alors qu’on ne va précisément pas saisir l’opportunité d’effectuer là les tests permettant de prévenir ces malades, qu’on préfère dès lors laisser dans l’ignorance de son état.
On diffuse donc une peur irrationnelle et on maintient une insouciance, elle aussi déraisonnable.
Je n’ai pas encore volé cet ouvrage sur la précaution, mais il me semble que, finalement, ce que fait ce gouvernement, ici comme dans pas mal d’autres domaines, ne relève ni de la précaution, ni de la prévention.
On en viendrait presque à se demander s’il prend vraiment soin de la population. Si on était paranoïaque (ce qu’on n’est bien sûr pas (mais les paranoïaques disent tous ça)), on se demanderait si finalement, on ne nous voudrait pas du mal.
Bonjour Messieurs !!
La différence entre précaution et prévention tient à la nature du risque contre lequel on souhaite se prémunir, non ? Lorsqu’il s’agit de se protéger contre un risque certain, connu (mais dont il s’agit d’empêcher la survenue), il me semble que l’on parle dans ce contexte, de prévention. En revanche, en matière de risques « incertains », de risques possibles ou simplement de dangers, il me semble alors qu’on parle de précaution (cf. loi Barnier de 95: « …l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement [ou à la santé] à un coût économiquement acceptable… »).
Après, se pose le problème du risque perçu/risque objectif, et il me semble que ce qui se passe pour le don du sang tient beaucoup plus du premier type de risque que du second. Il me semble qu’avec ce qui s’est passé il y a quelques années, dans les années 80 et un peu 90, l’affaire du sang contaminé, il doit y avoir vraiment aujourd’hui une peur ambiante et irrationnelle que ça se reproduise (et peut être notamment chez les gouvernants).
Mais j’ai l’impression quand même, aussi, que si on veillait à être un peu plus compétent cette peur pourrait n’être plus qu’un mauvais souvenir.
Bravo Lulu, tu as tout compris sur la difféfence entre précaution et prévention et dire qu’il y a des abrutis qui écrivent 250 pages pour en arriver au même résultat. Ils ne doivent que ça à faire, à moins (horresco referens) qu’on ne les paie pour ça.
Quant au livre, il n’est pas vraiment nécessaire de le voler, je dois pouvoir en offrir un exemplaire si besoin est, je n’ai pas dû épuiser mon service de presse.
Pour ma part, bien sûr si et seulement si vous avez un exemplaire en trop dont vous ne savez pas quoi faire, ce serait très volontiers. J’ose imaginer alors que vous êtes l’auteur du chapitre « vraiment passionnant », non ?
Du moins, les prénoms concorderaient 🙂
Que le jkrsb serve d’entremetteur pour l’adresse !
Merci beaucoup !!! Je le lirai très certainement cet été, pendant mes jours de repos, il faut dire que le sujet m’intéresse particulièrement: dans le cadre de mon mémoire, au tout départ, je n’imaginais pas encore avoir à me frotter à ce principe, or c’est maintenant beaucoup le cas (voilà pourquoi je n’ai aucun mérite à connaître la différence entre précaution et prévention, c’est notamment quelques articles d’Olivier Godard qui m’ont éclairé à ce sujet).
Vraiment, merci beaucoup encore une fois. Tu es d’accord Youri pour servir « d’entremetteur » ? 🙂
Michel, je souhaitais vous poser une question, vous qui êtes un familier du principe de précaution: pensez-vous que ce soit un principe qui, dans le domaine de la gestion des situations d’incertitude et de danger (j’entends par ce terme, non pas un risque avéré, mais en quelque sorte un « risque du risque », un risque en puissance), appelle à l’instauration de ce que certains auteurs en sociologie nomment une « démocratie dialogique » ? A un dialogue accru entre société civile, experts et décideurs (pour que la première participe de son propre avenir et le choisisse, sans bien sûr faire fi des rôles respectifs des experts et des décideurs) ?
J’ai l’impression que le principe de précaution ouvre un espace à la délibération collective… puisqu’au fond, dans un monde irréductiblement incertain, trop complexe pour qu’on prédise de ce qu’il sera à long terme et compte tenu des propres limites internes à la science(c’est l’un des nombreux points sur lesquels O. Godard, dans sa déconstruction du concept de « preuve scientifique », sans être relativiste, m’a paru pertinent: « la science n’est pas plus capable, de façon durable, d’apporter la preuve définitive de l’absence de dommage que celle de l’existence d’un dommage »), un monde où l’on finit, à peu près, par « savoir que nous ne savons pas », où il n’y a pas de certitude, où il n’y a pas d’expert infaillible… tout ceci n’appelle-t-il pas à un renouvellement de la démocratie, c’est à dire à un régime dans lequel la « vérité », si il y en a une, est élaborée dans et par la confrontation, l’opposition, le dialogue ?
Peut-être que je mélange un peu tout…
A travers le lanceur d’alerte notamment, un dialogue est supposé s’établir entre la société, les scientifiques (« experts ») et les décideurs politiques. Rien de bien nouveau en fait, si on y réfléchit bien, puisque selon Lénine, la cuisinière devait apprendre à gouverner l’état. Pour autant, tout cela me semble bien vain et surtout bien hasardeux, dans la mesure où, pour me référer à mon expérience personnelle, le dit expert (pour autant que j’en sois un) a souvent bien du mal à se faire une opinion : aujourd’hui la connaissance scientifique n’est plus l’affaire de Pic de la Mirandole modernes puisque les connaissances à acquérir, à confronter, à synthétiser, dépassent largement les facultés d’un individu.
Alors oui, on peut rêver à un intellectuel collectif, qui pourrait s’exprimer notamment à travers ces jurys de citoyens. Je crains bien, pourtant, que ce ne soit un peu illusoire et que le risque de manipulation de l’opinion ne s’y épanouisse ni mieux, ni plus mal que dans la vie de tous les jours.
Il faut douter de tout. Il faut pourtant un jour prendre des décisions, faire des choix qui impacteront le futur. Je ne vois pas dans la vie de tous les jours de grands progrès de la démocratie qui associeraient mieux le « peuple » au choix de son destin. Bien au contraire. La société du spectacle est bien là pour détourner son attention de ce qui le regarde au premier chef : les dialogues et débats qu’on nous propose à la télé (enfin ce que j’en imagine, je n’ai pas la télé et je ne la vois qu’à l’étranger souvent dans des langues que je ne maîtrise pas toutes !) sont de la poudre aux yeux. On ne peut pas dialoguer entre deux pages de publicité et avec un animateur rivé sur l’audimat qui veut du sang à la une : mais vous connaissez votre Bourdieu par coeur, ce n’est pas la peine que je me la pète ! On ne peut surtout pas exposer un raisonnement un tant soit peu élaboré.
Maintenant si ces sujets vous intéressent, je peux encore vous suggérer un excellent ouvrage paru chez cet éditeur honorable qu’est EDP sciences et qui s’intitule « L’émergence des risques » duquel j’extrais non pas un courrier de Jean-Pierre Liégeois, jeune lecteur du Var, mais deux chapitres passionnants intitulés :
– « Des recettes pour empêcher un risque d’émerger : le cas de l’amiante » et
– « Attention ! L’émergence d’un risque peut en cacher un autre : le cas des chloramines dans les piscines et dans l’industrie agro-alimentaire ».
Comme l’ouvrage en question vaut quand même 39 euros et que je ne voudrais pas que vous risquiez votre liberté à le voler, et que, par un heureux hasard, j’ai en ma possession quelques exemplaires du service de presse, je ne manquerai pas de vous en faire parvenir un exemplaire à condition que le jkrsb se mette enfin à son rôle d’entremetteur et me communique votre adresse.
Message personnel au jkrsb : l’adresse « Shining » est-elle encore valable ? L’extension du courrier chaud est-elle mondiale ou française ?
Merci beaucoup de votre réponse, et de votre proposition, que j’accepte également volontiers ! En revanche, je crois que deux bouquins de cette épaisseur (du moins je les imagine épais en raison de leur prix) risque de vous occasionner une dépense à l’envoi assez conséquente ! Si vous le voulez bien, je pourrai vous retourner un chèque afin de vous dédommager.
Je m’aperçois que je me devrais de donner quelques précisions: dans mon travail, je m’occupe d’une affaire de santé publique liée à la question de l’ostréiculture sur le bassin d’Arcachon. Pour assurer la sécurité sanitaire, un bio-test est mis en place lors de chaque « période à risque », or depuis quelques années ce bio-test est fortement contesté (faux-positifs, faux-négatifs, non-reproductibilité inter-labo), et ce d’autant plus que sa positivité a été déclenchée à plusieurs reprises sans que l’on en connaisse, scientifiquement, la raison. Ceci n’empêchant pas « automatiquement » l’application d’un principe de précaution de type « éradicateur » du risque (aussi incertain, et peut être même inexistant, soit-il).
Finalement, ma question valait surtout par rapport à la politique de précaution: j’ai peur que, avec des gouvernants qui font du « risque zéro » un impératif (et qui se cachent derrière l’affirmation, sans investigation supplémentaire, du « c’est la société qui veut que »), sans doute parce qu’ils croient que du moins ça n’entretiendra pas la défiance à leur égard (il y a bien, malheureusement, une gestion politique du risque), on aille droit vers un PP de plus en plus totalitaire et dogmatique (alors qu’il n’est pas, dans sa définition, ainsi).
Dans mon cas particulier, c’est l’ostréiculture qui est en jeu, et elle l’est parce que, j’ai l’impression, on devient intolérant au moindre risque (comme si vivre n’en était pas un, comme si on voulait nous faire croire qu’on a la mainmise sur tout ce qui bouge). D’un point de vue local, où l’ostréiculture a un je ne sais quoi de « familial », de patrimonial aussi, cette intolérance n’existe pas, l’acceptabilité du risque y est certainement meilleure que ne le pensent les décideurs (qui raisonnent à un point de vue global).
Et il n’y a pas, si vous voulez, d’intervention possible de la société civile sur la décision, pas de débat ou de controverse sur les mesures de précaution à prendre: pour les autorités politico-administratives c’est, ici en tout cas, quand l’incertitude est palpable, systématiquement la fermeture.
Je crois que, au niveau de la décision, il y a peut être, trop, en situation d’incertitude scientifique (alors même que la notion de certitude scientifique est à relativiser), une focalisation sur le scénario du pire (qui n’est qu’un des scénarios possibles), et ce peut être parce qu’ils ont le souci de ne pas être pris au dépourvu, ni « en faute »…
Quand le principe de précaution est excessif, j’ai peur que, au mépris de certaines petites activités économiques locales par exemple (mais qui ne sont pas aussi que cela), on interdise tout pour un risque peut être souvent plus perçu que réel…
Je m’absente pour une quinzaine de jours. Notre ami jkrsb sera probablement revenu de sa promenade scolaire d’ici là.
Pour ma part j’attaque la rédaction de mon mémoire, j’espère ne pas faire trop fausse route… J’espère également que jkrsb sera, d’ici là, de retour. A bientôt et bonne continuation !
Mille excuses à tous deux, mais j’étais effectivement un peu absent des ondes, pour cause de déménagement, je vous mets en contact dans les plus brefs délais. Je saisis plein de choses en vous lisant, mais je réagirai plus tard : pour l’heure, des piles de cartons m’attendent !!
Il n’y a pas le feu : j’ai repris mes vagabondages est-européens pour une bonne quinzaine de jours et je ne procéderai aux expéditions (franco de port et d’emballage) qu’à mon retour. Et n’espérez pas de post significatif : les claviers bordures ou syldaves, ce n’est définitivement pas ma grande passion !
Vous êtes trop gentil avec moi, Michel ! J’espère pouvoir vous rendre un jour un « service » de même nature (sans doute vous enverrai-je, aussi, un livre ou deux, en revanche il me faudra me renseigner sur ce qui pourrait vous faire plaisir !) 🙂
Il me tarde ta réaction Youri 🙂
A bientôt !