D’où venons-nous ? On dirait que nous sommes tous nés dans les années 80. Notre cynisme, nos limites, nos horizons, nos lunes dans nos caniveaux, nos idéaux au vide-ordure, notre manière de nous servir sans y toucher, tout ça apparaît là, à la croisée de chemins dont on sait maintenant qu’ils nous mènent, eux aussi là où nous en sommes, nulle part. Holtzwege urbains, trajets noctambules, vitres ouvertes, coude à la portière, surfant sur les pavés dont les suspensions sophistiquées de nos bolides nous isolent; anesthésiés. Ce soir, on va en boite; on est à la veille du grand soir, à deux pas; autant dire qu’il plane sur la ville et le pays qui l’environne, pas encore décentralisé, comme une odeur de futur brûlé. Sous le capot des grosses cylindrées qui roulent les mécaniques, ça sent le roussi. Au beau milieu du pavé, en vigie, frôlé par les pétro-nomades et les Robinsons à roulettes, empêchant les turbo-Bécassines de négocier leurs créneaux au volant de leur équivalent du moment de la Mini Clubman, supposément unique dans leur déco standardisée, Gilles Chatelet se tient, attentif, à l’écoute des discours émergents. Ce soir, rue du Faubourg Montmartre, les murs ont des neurones.
« Un dimanche soir de novembre 1979… Personne ne voulait manquer la « soirée Rouge et Or ». Tout ce qui avait compté, comptait ou prétendait encore compter avait promis de venir : brillants universitaires ralliés à la Nuit, anciens et futurs ministres, mondains professionnels, jeunes condottieri de la mode, prédateurs et chasseurs de têtes.
Pourtant, pour Fabrice – le maître de cérémonies -, il n’était pas question de « rester entre nous », entre « entendidos » comme disent les Brésiliens, entre gays chic et tantouzes de première, bref entre ceux qui, d’un coup d’oeil, reconnaissent et saluent ceux qui savent porter haut trois générations de parasitisme élégant. Fabrice ne voulait pas entendre parler de « dernier été indien ». Il voulait que la Rouge et Or soit un bizutage parisien généralisé : celui des entendidos, des condottierri de la mode et des jeunes de banlieue, sans savoir d’ailleurs qui allait bizuter qui…
Fin diplomate, Fabrice avait bien saisi que la Nuit serait la meilleure lettre de créance pour la modernité à la française : il fallait trouver un équilibre délicat entre le cérémonieux et le bordélique, le farouche et l’élégant, pour saluer l’entrée de la France dans la société tertiaire de services.
Fabrice avait cette expérience de l’élégance et du bordélique : il était celui qui avait fait « bouger la Nuit à Paris », avait réussi à faire danser ensemble le voyou à la mode, le commissaire-priseur de Drouot et le professeur au collège de France, à donner du swing à la collision des mondes de l’Argent, de la Mode, du Savoir et même à faire que les plus audacieux des sans-monde puissent épicer le potage du grand monde. Avec cet instinct très sûr du grand parvenu, il avait su reconnaître le premier le vacillement infime de la société française qui voulait s’électrifier avec d’autres rythmes et flairer d’autres odeurs. Mais tout cela semblait encore bien étriqué : il fallait passer du concept de boîte au concept de « grand espace »; comme l’avait fait son ami-rival Mike avec le Club 54, en offrant à New-York une usine à danser et à suer, gorgée de toute la pétulance des gladiateurs blacks et latinos.
Comme au club 54, la boîte devait réunir l’argent, la mode, la presse mais aussi – c’était le voeu le plus cher de Fabrice – la rue et le talent. Il fallait parier sur l’élégance de masse : tout le monde pouvait être un entendido, un citoyen de la Nuit, mais pour Fabrice, ce « tout le monde » ne regroupait pas n’importe qui et surtout pas ces individus obscènes qui prétendaient s’imposer par leur statut social. Sur ce point, la Goulue rouge – sa truculente collaboratrice – était implacable : volontiers indulgente envers les gladiateurs, elle ne tolérait aucune insolence d’un nabab de l’agro-alimentaire ou d’un directeur de cabinet ministériel.
A l’imbécile qui aurait demandé : « La Nuit, la Mode, combien de divisions ? », Fabrice aurait répondu : « Le caprice et l’élégance, voici mes divisions ! » Il savait que celui qui avait séduit la Nuit en effleurant ses mains gantées de souveraine gagnait l’anneau magique, bienveillant envers ceux qui vivent dans la volupté, mais impitoyable pour les polichinelles osant se réclamer d’une quelconque hiérarchie sociale.
Fabrice savourait son triomphe : dans quelques instants, il donnerait le signal. Les lourdes écluses de velours noir et pourpre qui gardaient l’entrée de la grande salle de bal allaient s’ouvrir avec toute la lenteur majestueuse des portails d’une caverne d’Ali Baba pour libérer un ruissellement de centaines de corps impatients de mordre la belle pomme de la modernité.
Chacun attendrait le coeur battant le moment où une diagonale de laser ou un cône mobile de lumière fixerait son mouvement ou sa figure dansée mise au point pour la fête pendant des heures entières. Andy n’avait il pas dit que tout le monde serait désormais une star… pendant une seconde ? Il avait promis de venir, mais pour une nuit seulement. Il fallait se faire pardonner cette visite trop rapide : Fabrice avait reçu par le dernier Jumbo 747 une gigantesque corbeille rouge et or constellée de superbes gymnastes astronautes tout juste capturés au Studio 54 au nez et à la barbe de Mike. Fabrice goûtait le « genre américain », comme on disait alors, mais il souhaitait équilibrer le butin de poitrails musclés et de gueules saines offert par Andy par quelques prototypes de sexy parisien, certes un peu moins volumineux, mais vifs, avec ces culs de félins balancés à la française.
Là encore, la nuit s’était montrée bonne fée : Fabrice n’avait que l’embarras du choix pour piocher dans son vivier de beaux lévriers de banlieue disponibles et arrogants, parvenus par l’animalité et fiers de l’être, piaffant avec cet air farouche qui prétend décourager tout approche pour ne se soumettre qu’aux plus audacieux. Fabrice souriait… La Goulue rouge venait tout juste de lui chuchoter qu’il était bien le Prince de la Nuit ! Grâce à lui, tout le monde aurait une miette des voluptés de Borgia, de Talleyrand. Décidément, qui n’aura pas connu la fin des années 70 n’aura pas connu la douceur de vivre, ce frisson d’escarpolette où l’Histoire balance entre un Ancien Régime et les fracas d’une Révolution.
Pour beaucoup ici, ce soir, Paris, l’Europe, la planète entière seraient aussi légères qu’une bulle de savon : le prince de la Nuit savait que le maître n’est pas tellement celui qui possède mais celui qui peut déclencher, le gardien du feu des seuils et des pivotements, capale de susciter des milliers de gestes. Fabrice excellait à confectionner telle ou telle espèce de « jeune bien dans sa peau » : un prince de la Nuit ne doit il pas faire fructifier les tranches d’âge, les générations et les catégories sociales en les croisant et en les ensemençant de looks, comme le gentleman-farmer sélectionne les meilleures pondeuses et les meilleures vaches laitières, et, bien sûr, les étalons aux saillies les plus prometteuses ?
Tout près de la corbeille offerte par Andy, ceux que Fabrice appelait les Quatres Smokings commentaient la soirée : « Quel culot, ce Fabrice ! Tout ce qui fait la Nuit en Europe est ici… avec un peu de banlieue. Mais n’a-t-il pas pris un peu de risques ? Ne confond il pas la politique des banlieues et la haute couture ? »
« Allons, les Quatres Smokings ! Cessez de bougonner ! Et pourquoi la politique des banlieues n’aurait elle rien à voir avec la haute couture ? » riposta aussitôt la Goulue rouge, postée à quelques mètres. Les Quatre Smokings s’inclinèrent en souriant sobrement. L’intervention était bien ajustée, juste aux frontières de l’insolence… Les Quatre Smokings, qui jusque là s’étaient laissé coincer sur le canapé des gens d’âge certain, étaient ravis : ils pouvaient enfin adopter le ton modeste et vaincu des célébrités qui, cédant à la foule, acceptent de renoncer à leur incognito.
Ce petit triomphe mondain dépassait même toutes leurs espérances : la consternation avait terrassé le canapé d’en face, celui des cyber-Wolves, quatuor de jeunes cuistres et gibier de toutes les modes que la Goulue rouge n’avait pas daigné visiter… Il devenait urgent que Cjharles-Eric – le « chef de meute »- improvisât une contra attaque : « Allez, Charles-Eric ! Vas-y mon grand loup ! Jette ton cri meurtrier… N’oublie pas que tu es notre chef ! Sois sans pitié pour l »étatique qui pollue encore tes artères … ! » Charles-Eric savait qu’il devait s’éxécuter : après tout, il était bien le chef de meute. Mais il fallut bien vite déchanter : le grand loup ne réussit qu’à émettre une espèce de beuglement bien plus proche de la plainte d’un ruminant que du somptueux cri de victoire d’un prince de la prédation.
La situation tournait maintenant au désastre pour les Wolves. La pression ricanante des Quatre Smokings, exercée à quelques mètres, devenait insoutenable ; il fallait, de toute urgence, trouver un autre canapé moins exposé et surtout soustrait aux patrouilles de la Goulue, désormais humiliantes pour toute la meute.
Pathétiques jeunes snobs tentant de surnager dans ce qu’il aurait déjà fallu appeler le post-gauchisme ! Sans le savoir, ils feraient école par centaines de miliers avec leurs « faut pas s’leurrer », leur « ça m’interpelle quelqu’part » et surtout leur « à mon avis, personnellement… ». Ils croyaient partager avec Fabrice cette fameuse niche du snobisme de première main, cet oeil du cyclone infiniment paisible et infiniment fragile où sont censées naître les « idées » qui, ensuite, prennent leur envol pour embraser le monde et retomber bien vite, impitoyablement, singées et défigurées. Comme beaucoup d’autres gogos, les grands dadais de la cyber-meute se prenaient pour les princes des réseaux et des déclics, alors qu’une force centrifuge des millions de fois plus puissante qu’eux les avait déjà relégués dans les provinces subsidiaires du snobisme de deuxième main, dans ces satrapies lointaines où la mode exile cruellement ceux qui croient avoir trouvé la bonne combine pour s’installer tout juste derrière les locomotives, sans savoir qu’ils sont déjà contaminés par ce que les mondains redoutent le plus : la ringardise.
Un simple hochement de tête de Fabrice et ce fut l’apothéose : la corbeille dégoulinait de jeunes gladiateurs qui simulaient un raid contre la foule… C’était le délire, tout le monde voulait son barbare ! La Goulue jubilait : c »était elle qui avait eu l’idée du commando sexy. « Regarde, Fabrice… Quelle ambiance magnifique ! Ton ami Mike est enfoncé ! » La Goulue était un peu comme le miroir magique de Fabrice. Cette fois encore, le miroir avait tranché : « Ô prince, je ne te connais pas de rival par-delà les montagnes, par-delà les océans. Même New-York l’orgueilleuse doit s’incliner.
Pourtant, Fabrice restait inquiet. Quelque chose lui échappait et semblait basculer du mauvais côté. Etait il lui-même, comme les Cyber-Wolves, déjà trahi par l’oeil du cyclone ? Mieux que quiconque, il était passé maître dans la diplomatie des caprices et dans l’art du cocktail. Il devinait combien celui de l’Argent, du Talent et du Journal était instable, aussi subtil que ce fameux point critique triple des physiciens où cohabitent les états gazeux, liquide et solide. Le pacte de ces trois puissances, même envoutées par l’anneau magique de la Nuit, n’était qu’un marché de dupes, une paix d’Amiens où tout le monde sait qu’un vainqueur devrait, tôt ou tard, être désigné.
L’heure allait bientôt sonner de remettre les pendules à l’heure ! Il faudrait moins de trois ans pour dissiper le charme et assurer le triomphes des années 80, écoeurantes d’ennui, de cupidité et de bêtise, années des « révolutions conservatrices » néolibérales, années cyniques de Reagan ou de Tatcher… et de l’hypocrite trivialité de l’ère Mitterrand, années de la contre-attaque planétaire des imbéciles ulcérés par l’arc-en-ciel de générosité et de liberté entrouvert pendant quinze ans. L’heure serait désormais celle de la Main invisible du marché, qui ne prend pas de gants pour affamer et broyer sans bruit, invincible parce que faisant pression partout et nulle part, mais qui, pourtant, comme Dieu a besoin des hommes, avait besoin d’une voix. Elle était toute désignée. La Contre-Réforme néolibérale, mercenaire zélée, allait offrir les services classiques de l’option réactionnaire, ceux d’une alchimie sociale capable de transformer en force politique ce qui finit toujours par exsuder des classes moyennes : crainte, envie et conformisme.
Ce sera précisément tout le travail de sape – somme toute assez obscène – de l’ère Mitterrand : émasculer une tradition de gauche combative pour installer les niaiseries des démocrates modernistes, en prenant soin de « se démarquer » des gesticulations trop criardes de l’administration Reagan. Il s’agissait de promouvoir une capitulation élégante – à la française – devant l’ultimatum de la Main invisible, en le présentant comme un rendez-vous incontournable avec la modernité, et même comme l’utopie libertaire ayant enfin atteint l’âge adulte. Les années de triomphe de l’ère Mitterrand allaient aussi être celles d’une déroute spectaculaire de l’intelligentsia française, pourtant gorgée de talent et de générosité, qui avait su trouver les leviers d’Archimède capables de faire vaciller les énormes barges de préjugés et d’imbécilité séculaires maintenant captifs les femmes, les homosexuels, les détenus, et bien d’autres encore. Toutes ces agitations et toutes ces luttes, souvent conduites avec acharnement jusqu’à la victoire, avaient fini par irriter les Metternich contemporains – les conseillers de la Trilatérale – ulcérés par ces poignées d’agités qui peuvent contaminer des milliers de jeunes gens raisonnables. Les pays latins et leur tradition révolutionnaire – en particulier la France – étaient montrés du doigt comme de plus en plus « ingouvernables » avec leurs militants très actifs, leurs intelligentsias subversives, leurs puissants syndicats qui seraient autant de viscosités nuisibles à la fluidité du futur Grand Marché mondial.
Mais, en France, l’intervention de la Trilatérale était superflue : l’infatuation et l’esprit de chapelle allaient, comme d’habitude, venir à bout de l’intelligentsia française, qui était un peu le navire amiral de la subversion européenne. Les années 60 avaient été celles du naufrage du « matérialisme dialectique » qui, peu à peu, avait perdu toutes ses griffes ; il avait fallu céder le terrain au « nietzschéisme » qui, à son tour, commençait à s’effriter. Hegel, Marx, Nietzsche n’avaient bien sûr rien à voir avec tout cela, mais toute grande pensée, si affûtée soit-elle, périt toujours entre les mains de vestales trop zélées. Les vestales ne manquaient pas : nitzschéisme vagabond qui errait de Zarathoustra à la CFDT, nietzschéisme mondain pour les plus éveillés – aussi indispensable aux dîners parisiens que l’entremets de la maîtresse de maison – et enfin post-nietzschéisme postmoderne pour les plus demeurés ou les plus provinciaux, lassés des « grands récits » et des « luttes ringardes » qu’ils n’avaient jamais eu le courage de mener. Le style Cyber-Wolf, apolitique et blasé, commençait à pulluler : comment résister à la délicieuse frivolité de ceux qui se faisaient fort de « chier sur le négatif », qui croyaient avoir enfin trouvé le secret de la jubilation permanente et prétendaient cultiver des orchidées dans le désert sans avoir à se préoccuper de l’épineux problème de l’arrosage ? Merveilleux Jardiniers du créatif qui voulaient s’envoler avant d’avoir appris à marcher et qui avaient oublié que la liberté, si elle ne réduit pas au caprice et au rêve, est aussi la maîtrise concrète – et souvent douloureuse – des conditions de la liberté.
La Contre-Réforme néolibérale allait prendre sa revanche sans faire de cadeaux aux Jardiniers du créatif. Chaque idée, fût-elle la plus généreuse, être impitoyablement retournée comme un gant, ruminée pour resurgir sous la forme d’une réplique cauchemardesque, un peu comme la Méchante Fée de la fable fait vomir crapauds et vipères à ses victimes dès qu’elles ouvrent la bouche. Laissons donc parler la Contre-Réforme et admirons l’espèce de magie proprement démoniaque avec laquelle elle se faisait fort d’exaucer tous les voeux des Jardiniers du Créatif :
« Vous voulez affirmer la Différence et même, si j’ai bien compris, affirmer un droit à la Différence. Merci pour le cadeau ! Nous n’en demandions pas tant. Vous nous avez aidé à polir notre lanterne. Nous ne dirons plus que telle race est supérieure à telle autre – le racisme de papa, c’est bien fini -, nous dirons simplement qu’elles sont différentes. La modernité n’est elle pas le respect de la Différence ?
– Vous souhaitez le moins d’Etat possible ? Si vous saviez à quel point nous sommes d’accord ! Il est temps de dégraisser l’Etat-providence : il ne faut pas être trop corpulent pour être un veilleur de nuit efficace. Allons-nous, encore longtemps nous épuiser à maintenir sous perfusion la Santé et l’Education nationale ?
– Vous avez dit nomadisme et mobilité… Ici encore, notre audace va vous surprendre : nos entreprises vont « nomadiser » plus vite – pardonnez ce néologisme – que vos routards les plus allumés. Il y aura évidemment, à New-York, à Paris ou à Londres, un peu plus de monde sur les trottoirs. Mais, après tout, n’est ce pas déjà le cas à New Delhi, à Caracas ou à Sao Paulo ? Pourquoi les pays riches seraient ils privilégiés ?
– Vous voulez réserver quelques strapontins à la créativité, au « chacun son truc », pour parler un peu vulgairement. Qu’à cela ne tienne ! Vos ordres sont des désirs ! Nous allons vous donner du « chacun son truc » à pleine louche, mais bien sûr épicé de nos ingrédients préférés : l’envie, le narcissisme, l’esprit possessif – dont vous savez bien qu’ils sont la matière première de nos démocraties-marchés.
– Vous êtes lassés des oppositions et des frontalités dialectiques. Vous voulez inventer une espèce de diplomatie du continu… Faites encore un peu d’effort pour vous rapprocher de nous et vous verrez que le marché aime la fluidité – comme vous – et qu’il déteste toutes ces revendications ringardes, toutes ces manifestations de la nostalgie et du ressentiment, toutes ces crispations de privilèges et toutes ces viscosités sécrétées par des syndicats dinosauresques incapables de s’intégrer à la généreuse mobilité sociale des démocraties-marchés.
– Vous souhaitez une Université plus expérimentale et festive ? Allez-y ! N’hésitez pas ! Faites toutes les « expériences » que vous voulez, si elles ne coûtent pas grand chose. Mais attention ! Il faut suivre la règle du « chacun son truc ». Vous verrez à quel point nous sommes aussi capables de créativité.
– Vous voulez capter les puissances créatrices du chaos – ce qui est bien normal pour les Jardiniers du créatif – et remplacer les grands choix politiques par une cyber-politique qui laisserait émerger des solutions gracieusement délivrées par auto-organisation à partir du désordre, comme le beurre finit par flotter gentiment sur le babeurre ? Allons, encore quelques centimètres et nos doigts se toucheront… débarrassez vous totalement du politique et de son volontarisme. Il suffit d’être patient : le chaos des opinions et des microdécisions finit toujours par accoucher de quelque chose de raisonnable. »
Les Jardiniers du créatif avaient voulu jouer à fond Nietzsche contre Hegel et souvent contre Marx. Ils s’étaient trompés de cible ; ce n’était ni la chouette de Hegel, ni la taupe de Marx, ni le chameau de Nietzsche qui nous surprendrait au détour du chemin : c’était Malthus, le colporteur des conservatismes les plus infâmes, toujours souriant et affable, qui guettait le gogo pour marchander avec lui toute la pacotille libertarienne du nomadisme et du chaotisant. »
Gilles Chatelet – Vivre et penser comme des porcs. De l’incitation à l’ennui et à l’envie dans les démocraties-marchés; 1998
Ca ne nécessite aucun commentaire, on reconnaît bien là l’articulation historique dont notre temps est l’enfant, ou l’effet. Et bien sûr, pour ne pas aller chercher les portes de sortie là où se trouvent les pièges les plus grotesques : « remplacer les grands choix politiques par une cyber-politique qui laisserait émerger des solutions gracieusement délivrées par auto-organisation à partir du désordre, comme le beurre finit par flotter gentiment sur le babeurre » : quelqu’un a t-il une meilleure définition de la démocratie participative telle qu’une certaine Turbo-Bécassine nous la propose ?… On n’en est manifestement pas sortis de cette auberge. Et tant qu’on y demeure, un peu comme les personnages de Bunuel, dans l’Ange exterminateur, enfermés que nous sommes par des blocages qui sont tout intérieurs, mais trouvent un écho dans le paysage, dans lequel ils trouvent un allié de poids, on pourra dire que, d’une certaine manière, ce sera, indéfiniment, notre fête.
Je ne sais pas quelle est la vision que Turbo-Bécassine (S. Royal ?) a et propose de la démocratie participative.
Mais sincèrement, je suis fatigué, écœuré, de voir que le destin, l’avenir ou tout ce que vous voudrez, de millions d’êtres est dirigé ou façonné par une poignée seulement (comparativement parlant) d’individus, qui n’ont aucun droit à se prétendre plus compétents que les autres, et qui pourtant font tout pour le faire croire (ce sont eux les vrais porcs, ou les « salops »). Et que sont, ou que reste-t-il des « grands choix politiques » (vaste blague) lorsque ces derniers ne sont pas tant déterminants que déterminés, quand ils se bornent à ne décider qu’en vue de favoriser la pérennisation de ces « démocraties-marchés » (ce qui passe nécessairement par l’entreprise de « porcifier » l’humanité) ?
Démocratie participative, ça semble un peu dangereux, mais ça semble aussi plus démocratique que l’idée de démocratie représentative (il n’y a pas à avoir, ou en tout cas c’est un oxymore, de professionnels, de représentants patentés, de l’universel disait Castoriadis). Et qu’est-ce qui nous dit que donner la chance à chacun de participer à la vie de nos démocraties ne nous donnerait pas la chance de redevenir au plein sens du terme des citoyens, des types capables de gouverner et d’être gouvernés, des personnes plus responsables en somme ?
Ben, on pourrait penser que, puisque dans les temps qui viennent on n’aura pas tant que ça à bosser, ça devrait libérer du temps pour s’investir en politique, ça, non ?
D’ailleurs, il sera question de cela dans un tout prochain post !
Chouette ! 🙂
Ben alors, il vient quand ce post ?! On tire-au-flanc ?! 😉
(et paf, pour la peine, je suis sûr que tu prendras encore plus ton temps 🙂 )