Entendez vous, dans nos campagnes, siffler ces féroces soldats ?

In "CE QUI SE PASSE", CHOSES VUES, MIND STORM
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On ne saura trop remercier les siffleurs pro-tunisiens d’avoir eu l’idée de manifester leur pensée sans doute assez limitée hier soir au stade de France : aujourd’hui, avalanche de réactions politiques. Ca tombe plutôt bien, au moment où les milieux financiers jugent que tout le fric mis sur la table par les états pour les servir, c’est pas tout à fait suffisant, et que les bourses, après un jour de bienveillance à notre égard, se vautrent de nouveau, mieux vaut avoir une story alternative à proposer au quidam.

Quelques milliers de crétins qui sifflent la marseillaise, ça tombe plutôt bien, le jour où Christine Lagarde doit se demander comment elle va bien pouvoir expliquer à ses serfs électeurs concitoyens qu’elle continue à employer le concept de « croissance négative » quand les USA parlent, eux, désormais, de récession. Merci donc aux supporters de l’équipe de Tunisie de fournir aux porte flingue parole du gouvernement les avirons nécessaires pour faire mine d’avancer dans une mer houleuse.

En plus, ils nous permettent un de ces épisodes de pseudo politique dont on commence à être friands (mieux vaut y prendre goût, sinon il faudra se faire au goût de la bile, à force d’avoir la nausée) : aujourd’hui, plein d’idées fusent pour endiguer les sifflets. Annuler le match dès que ça siffle (mouiiiii) pour nos mininstres de la jeunesse et des sports, interdire les siffleurs de stade (hmmm hmmmmmm…) pour Copé (ce qui serait plutôt drôle, puisqu’il faudrait identifier plusieurs dizaines de milliers de personnes), ne plus organiser de matchs entre France et pays du maghreb (oserais je proposer qu’on n’organise plus de matchs de foot du tout ?) pour Laporte. Lâchons nous, aujourd’hui on peut tout inventer : ce qui est important, c’est de focaliser l’attention sur ce drame national en espérant que le spectateur ne verra pas que derrière les courbes dont tout le monde se félicitait hier ont repris une pente du genre inquiétante.

On ne s’inquiétera donc SURTOUT PAS de voir que des français (oui, Bernard Laporte, ils sont français ceux qui sifflent, et la province étant française aussi, ça n’a a priori pas grand intérêt de délocaliser les matchs en province, si ce n’est d’admettre qu’il y a peut être un léger problème politique posé en région parisienne, peut être même aux abords proches de ce stade si bien nommé « stade de France ». A la limite, les choses étant ce qu’elles sont, et le nom de ce stade étant finalement plus une provocation qu’autre chose dans ce tissu urbain pour le moins délaissé, on peut s’estimer heureux que les siffleurs daignent encore y aller avec en tête d’autres projets que d’y foutre le feu.

Il serait peut être bon de se souvenir que les stades existent exactement pour ça : défouler une population qui n’a que peu d’autres motifs de satisfaction en dehors de ce sport qui porte en lui exactement l’attitude d’un nombre non négligeable de concitoyens : l’attente d’un évènement qui est de l’ordre de l’inespéré. Les sifflets témoignent d’une tension que le stade est là, précisément là où il est, et pas ailleurs, pour permettre à cette tension de s’exprimer là, sur le lieu même du problème, et pas ailleurs. Si les politiques ne veulent plus entendre l’hymne national sifflé, il faudra donc qu’ils désertent eux même la place (il y aura d’ailleurs peut être moins de sifflets, parce que tant que Bachelot et Laporte seront dans les gradins, on peut comprendre l’envie de huer tous en choeur). Et si les français qui sont attachés à leur hymne et à leur nation ne veulent plus les entendre sifflés, il faudra qu’ils pensent à proposer aux populations qui entourent ce stade autre chose que ce lieu de défoulement. On a voulu parquer les énergies ici. Elles y sont. Et on se plaint.

Bien sûr, on aurait bien aimé leur trouver un autre ennemi commun que nous mêmes. Mais d’un autre côté, puisqu’ils ne sont pas complètement crétins, ils ont peut être pigé que finalement, notre manière de gérer ces territoires nous désignait de fait comme leurs pires ennemis. On l’a d’une certaine manière bien cherché.

Et encore, on peut se satisfaire d’une chose : ces populations n’ont pour le moment qu’à choisir entre deux équipes de foot. On peut vraiment croiser les doigts pour qu’un jour elles n’aient pas à choisir entre deux armées, parce que rien ne dit qu’on aura finalement fait le nécessaire pour rendre ce choix évident.

Je vois déjà plein d’objections fuser. Moi même en écrivant cela, je ne peux pas m’empêcher de penser que, tout de même, si vraiment la Tunisie était un endroit où il fait si bon vivre, alors tout ce ptit monde y retournerait, et y serait heureux, ce qui n’est pas le cas. Mais de toute évidence, la vie par chez nous n’est pas, de manière décisive, aussi plaisante qu’on aimerait le croire. Bien sûr, on peut trouver que ces gens là font un peu la fine bouche. Après tout, ils bénéficient de tout ce paysage économiquement favorable qui est le nôtre. Voila.

Si on peut se permettre, ça pourrait quand même montrer une chose : le fric ne suffit pas à créer un attachement. C’est plutôt rassurant. Mais ça montre aussi que finalement, en dehors de cette configuration économique qui est la nôtre, nous n’avons plus grand chose à proposer, et le peu de choses qui valent le coup, une population globalement plutôt restreinte se les garde jalousement (je vous renvoie vers la manière dont les beaux quartiers parisiens font systématiquement planter toutes les tentatives d’implantation à leur proximité de logements apportant un peu de mixité sociale dans leurs environs, sur le thème « les immeubles d’appartements, c’est bien pour la banlieue, mais ici ça n’est pas conforme à nos critères esthétiques ») ou bien les détruit méthodiquement, parce que ces choses là font concurrence au secteur privé, qui en fait des produits. On le verra bientôt quand le bac se passera sur le principe des modules et que les lycées de banlieue n’auront à proposer que des modules professionnalisant autour de ce que nos ancêtres romains appelaient le négoce, c’est à dire, pour eux, les tâches qu’on confiait aux esclaves. Alors, le tunisien, on l’aime bien quand il est ouvert tard et qu’il a le bon goût d’avoir encore en stock une ou deux baguettes (hein ? Il vous reste plus que des galettes à 23 heures ?) au beau milieu de la nuit. Mais si l’épicier du coin peut trouver son compte dans cet arrangement un peu condescendant, il est possible que son fils, qui se voit mal reprendre l’affaire (il voit mal pourquoi il devrait se tuer au boulot comme son père quand ses copains de classe visent, eux, un de ces emplois où on est suffisamment libre le soir pour pouvoir, au pire, aller faire un tour chez l’arabe du coin pour se dépanner. Mais comme il n’aura pas cet emploi là, et qu’il le sait, il est possible qu’il considère la France comme une mauvaise blague du destin, et qu’il fantasme la Tunisie de ses ancêtres comme une terre promise dont sa méconnaissance politique cache les aspects les plus sombres et dont il oublie qu’elle ne l’attend pas, elle non plus.

Bref, surtout faisons comme si le problème était le comportement des spectateurs des matchs de foot, et que cela ne témoignait de rien de hautement plus problématique dans ce pays. Et sans doute, si on laisse les choses aller, il est probable que dans peu de temps, on se réunira de nouveau pour se demander ce qu’on peut bien proposer à ces jeunes à qui, on le sait, peu d’emploi sera accessible et sans doute, rapidement, un élu dans une réunion proposera « et si on construisait un stade ? »

Il faut se faire à cette idée : un stade est avant tout un dispositif politique, et le simple fait qu’on doive préciser que certains matchs sont amicaux indique que les autres ne le sont pas. On le sait aussi : quelle que soit la manière dont on définit le match qui sera joué, si on entasse tout ce p’tit monde dans des stades, c’est avant tout parce que, avant tout, on n’est pas amis.

Et comme la musique adoucit, elle, les moeurs :

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2 Comments

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