Je fais pas exprès, ça tombe comme ça tout cuit sur mon écran, alors que je cherche même pas.
L’extrait est issu d’un documentaire intitulé « Mein Kampf, c’était écrit – les bréviaires de la haine« . Je suis désolé pour le décalage son/image, mais en l’occurrence, ce n’est pas trop trop gênant. Le documentaire fut diffusé sur Arte, il le sera sans doute de nouveau un jour ou l’autre.
A force, ça en deviendrait comique, si derrière ça il n’y avait pas, aussi, quelque chose d’un peu inquiétant. Parce que, mine de rien, tout y est : le contrôle de la publication des informations dont on fait soi même l’objet, voire même dont on est soi même l’auteur, l’attaque de la presse sur le terrain judiciaire, la main sur le coeur et les mots géniaux : « J’ai changé », la volonté de nettoyer, et de tracer un trait sur ce que le passé pourrait avoir de contraignant.
Et une fois de plus (Nicolas Princen, puisque tu nous regardes, un ptit salut…), il ne s’agit pas de dire que sous prétexte de ressemblance, il y a coïncidence. Simplement, on peut observer que les tactiques sont les mêmes, et qu’elles sont toujours efficaces. Et si il ne s’agit pas de déporter qui que ce soit (ce qui ne signifie pas que l’expulsion des sans papiers se fasse de manière acceptable, ni leur traque, ni leur repérage, ni même l’évaluation du chiffre à atteindre pour satisfaire la part de l’électorat qui n’a voté que pour cette raison (et il en va de même pour la politique visant les fonctionnaires, qui vise moins une quelconque efficacité budgétaire qu’à satisfaire une classe d’électeurs revancharde, qui en veut aux nantis, aux puissants de ce monde, à ceux qui exercent sur eux un pouvoir dictatorial, qui les spolient de leurs biens, à ceux qui font sombrer la France, en d’autres termes, vous les avez reconnus, les fonctionnaires, sangsues du pays)), mais il s’agit bel et bien de faire tomber une à une toutes les garanties que le peuple pouvait avoir contre ceux dont il est la proie : les prédateurs économiques.
Du coup, on doit se contenir au principe connu : comparaison n’est pas raison. Cependant, on peut aussi se rappeler que l’intelligence implique de créer des liens, y compris entre ce qui semble n’avoir rien de commun. Là, on peut quand même considérer qu’il n’est pas nécessaire de forcer les ressemblances, elles sont là, devant nous, on en est même gêné tant on aimerait bien ne pas si souvent les croiser. Pour autant, la réflexion consiste à se méfier des apparences. Ce n’est pas parce qu’un gouvernement utilise les ficelles de propagande auxquelles des gouvernements précédents ont eu recours que pour autant leur politique est semblable. Néanmoins, cela ne suffit pas à dédouaner tout à fait nos gouvernants, parce qu’on peut considérer, même si cela semble gravissime, que ce n’est pas spécifiquement dans le sarkozysme qu’on trouve des similitudes avec des pratiques relevant du nazisme, mais dans la manière dont le libéralisme capitaliste réduit l’humain à sa valeur d’usage. C’est d’ailleurs là le projet global d’une certaine orientation du développement technique. La chose a été montrée chez Gunther Anders (oui oui, c’est une référence récurrente, et ça me plait bien de l’amener là, lui, juste après avoir dit tout le bien que je pense de Bruce Bégout, parce que j’aime aussi bien la manière de celui ci de larguer le monde tel qu’on le connaît, avec ses vicissitudes telles qu’on les connaît quotidiennement, avec les inquiétudes que ça suscite en nous, actuelles, tellement actuelles, et qui nous semblent nous contraindre à nous positionner là, tout de suite, de manière supposément super pertinente, alors que bien sûr ce n’est là qu’une forme de l’Etre, par laquelle on se laisse abuser, pour revenir à une relation plus ancienne, moins encombrée d’intentions, de visées, mais j’aime aussi la manière dont Anders balance comme ça, à un moment donné, tout ce qui pourrait constituer une pensée très profonde, juste parce qu’on a des missiles nucléaires braqués sur nos capitales, qu’on vit en permanence sous cette menace tout de même un peu particulière, qui renverse notre rapport au monde, en nous y engluant, comme si le réel, dans un tour de force dont la matière a le secret, nous avait pris au piège et nous contraignait à une pensée d’urgence, et pourtant véritablement philosophique, parce que l’être humain aurait réussi à générer les conditions d’enfermement de sa propre réflexion, sans qu’on puisse se payer le luxe d’une pensée plus essentielle, telle que Bégout nous la propose; bref, les deux références me semblent tout à fait complémentaires), elle a été aussi montrée dans le livre de François Emmanuel, puis le film de Nicolas Klotz qui en a été tiré, La Question Humaine : la simple notion de ressources humaines, par exemple, est un aveu de réduction de l’humain au simple rang de ressource exploitable. Or, sans organiser de camps, on peut affirmer que la politique que nous connaissons n’a de cesse de réduire les français (mais cette même politique est bien entendu pratiquée sur la planète toute entière, abattu à l’avance serait le pays, la région, l’entreprise, l’individu qui envisagerait les choses sous un autre angle…) à leur valeur d’usage, d’où cette obsession de le mettre au travail, qui est lui même totalement réduit au simple emploi, cadre dans lequel l’homme peut être plié (alors que le véritable travail devrait au contraire lui permettre de se déplier, de s’épanouir (ce qui ne signifie pas qu’un quelconque actionnaire doive alors se frotter les mains, parce que l’économie n’est pas un terrain d’épanouissement (ou alors il faudrait assimiler ce concept à celui de rendement, ce qui ne se peut tout simplement pas)).
Voila ce qui est en jeu, finalement. Et c’est une guerre finalement bien plus universelle que celle qui a consisté à viser telle ou telle population parmi les humains pour les soumettre ou les éliminer, puisqu’en l’occurrence, c’est l’écrasante majorité des humains qui est visées par une minorité tout à fait restreinte, et que la prise en otage se fait avec les services publics comme rançon, et les moyens essentiels de subsistances comme moyen de chantage (ça ne met pas la puce à l’oreille de qui que ce soit, le fait qu’après avoir amplement investi dans l’immobilier, avec les ravages qu’on connaît déjà, et ceux qu’on va connaître dans les temps futurs, les fonds de pension investissent désormais dans l’agro-alimentaire (avec les conséquences qu’on connaît déjà) ?). Alors, dans ces conditions de guerre qu’on peut appeler civile (un terme qu’utilise par exemple, comme pierre angulaire de sa propre analyse de « ce qui se passe », Eric Hazan, dans son journal par exemple (Changement de propriétaire – La guerre civile continue; le Seuil, 2007) ou dans son analyse du vocabulaire spécifique au néo-libéralisme, croisant ainsi des lumières déjà allumées chez François Emmanuel déjà cité plus haut.
Bref, les parallèles ne sont pas une simple excitation gratuite de la pensée, ni une manière de jouer les Cassandre. Simplement, le plus posément possible, on peut tout de même repérer des schémas en action, en mettre en lumière les signes, et se préparer non pas à voir ressurgir ce qui a déjà eu lieu (l’histoire ne repasse pas les plats tels quels, ce serait un peu facile, et attendu), mais à voir apparaître des formes nouvelles, s’appuyant néanmoins sur des principes passés. Et le fait que la similitude ne soit pas exacte ne signifie pas qu’il faille pour autant être rassuré : tous ceux qui se renseignent un peu, tous ceux qui voient, quotidiennement, ce qui se passe, savent qu’il y a au contraire motif à s’inquiéter, et qu’il y aura encore, sans doute, des occasions de constater qu’on ira plus avant encore dans le cynisme de l’exploitation, dans la désignation de certains comme inutiles, poids morts de nos sociétés contre lesquels on excitera les majorités bien pensantes, fières d’être désignées par le pouvoir comme la bonne conscience de l’humanité (comme d’autres, en d’autres temps et dans d’autres lieux, se sentirent valoriser d’être désignés kapo, ou de pouvoir dénoncer ces poids morts).
Nombreuses seront dès lors les occasions de repérer, comme un leitmotiv de l’orientation que nous avons choisie (ou que nous n’avons pas su empêcher), les similitudes, les parallèles, comme autant de symptômes, qu’il faudra bien continuer à faire parler.
« Pouvoir étatique et pouvoir de la richesse se conjuguent tendanciellement en une seule et même gestion savante des flux d’argent et de populations. » J. Rancière, La haine de la Démocratie, (je ne sais plus quel page…)
Merci encore pour ce livre que j’ai lu depuis que tu en as parlé 🙂
Je suis en tout point d’accord avec toi, mais j’aimerais rajouter, peut être, une chose, sur la question de la volonté de régler à tout prix la question du déficit budgétaire.
Pour l’économiste J.P. Fitoussi, les États (du moins ceux qui font partie de l’Europe, et c’est surtout ici de la France dont il est sujet) mènent une politique de rigueur budgétaire et monétaire parce que c’est là le souhait, l’intérêt, des groupes auprès desquels, par le fait qu’une croissance en berne et un chômage quasi-structurel fait augmenter les dépenses sociales de l’État tout en diminuant ses ressources, ses rentrées fiscales, ils se sont endettés.
Rigueur monétaire pour juguler tout risque d’inflation (et ainsi ne pas être remboursé en « monnaie de singe », dont la valeur est moindre que celle d’auparavant), rigueur budgétaire pour que les États ainsi endettés soient et restent solvables auprès de ces créanciers.
L’idée que l’État ne soit plus en situation de déficit budgétaire est positif, parce que cela ne peut le rendre que plus indépendant pour mener ses politiques économiques.
Maintenant, si le « pouvoir étatique » envisage de se conjuguer au « pouvoir de la richesse » (ce qui semble être bien le cas, conformément à l’idéologie néo-libérale, voir ultra-libérale, dans laquelle nous baignons), il me semble que le premier n’en sera que d’autant plus empressé et puissant pour fournir au second toutes les « matières premières » dont il a besoin pour se développer toujours « mieux et plus », toujours davantage, et cela toujours, au final, au profit des détenteurs de capitaux et au détriment des « autres », sans compter la fameuse part des « surnuméraires », des « inutiles au monde », en ce qu’ils sont en trop par rapport aux besoins de ce « monde ».
Je sais pas, mais oui, je pense qu’il faut continuer à en parler, et je trouve ça bien que tu le fasses 🙂
biz !
bon, eh ben, pour moi ce n’était pas encore tout à fait une porte ouverte… bref…
Les deux parties de ton commentaire peuvent être articulées : la réduction du déficit budgétaire est en même temps une nécessité et un outil de propagande : nécessité si on parle en terme comptables (on voit mal comment on pourrait argumenter pour un déficit majoré, à moins d’affirmer qu’après tout, ce n’est là qu’une convention politique, qui peut être remise en question (ce qui arrivera certainement un jour ou l’autre)). Mais c’est un élément de propagande quand on l’utilise pour faire tomber toutes les règles que devaient jusque là respecter les dirigeants économiques, sous prétexte que l’abandon de ces règles est censé procurer davantage d’efficacité et de rentabilité. On le devine aisément : l’abandon de ces règles augmentera sûrement la rentabilité des entreprises, mais ne réduira en rien le déficit, ne serait ce que parce que les bénéfices industriels ne reviennent que peu à la communauté (en dehors de celle des actionnaires, évidemment), et que les pertes majeures, elles, sont collectivisées (on le voit en ce moment aux USA et en Angleterre, quand c’est l’Etat qui renfloue ou rachète les entreprises bancaires en détresse, on le voit en France quand Sarkozy promet (certes sans suite) de racheter des usines pour leur trouver des débouchers industriels et maintenir l’emploi.
Et bien sur, aujourd’hui, la demande claire de l’abolition des 35h, par l’UMP, ainsi que de la déreglementation du temps de travail, est un signe plutot interessant. Comme on dit dans les shows americains : « There’s more to come !! »
Oui, je pensais aussi à ces exemples: il semble que nous soyons bons pour ramasser les pots cassés, l’argent qui a servi à redresser certaines banques en difficulté sera-t-il rendu, ou a-t-il été donné « gracieusement », puisque en allant, finalement, de l’intérêt de la collectivité ?
Le règlement du déficit: nécessité comptable est-il prétexté, mais, je pense aussi, avant tout convention politique (ne pourrait-on pas défendre que, l’État, n’étant pas une entreprise, n’a pas à avoir cure de son déficit à court terme, surtout s’il est nécessaire pour qu’il continue de faire ce qu’il est supposé faire ?), convention européenne et économique (merci au diktat de la BCE, qui est totalement dans une logique de peur de l’emballement de la machine économique, et qui maintient l’arrivée d’essence à son plus bas niveau (ce qui fait le jeu des créanciers dont parle Fitoussi)). Et certes, il est vrai, outil de propagande…
Ce à quoi je pensais c’était: devenons un État svelte et sportif (un peu à l’image que Sarkozy aimerait donner de lui-même) et n’en soyons ainsi que plus performant pour seconder le pouvoir de la richesse, donc à une sorte de nécessité pour ne plus être en retard et pour ne plus, nous, l’oligarchie politique, retarder nos copains de l’oligarchie économique. Mais bon, ta réponse m’a fait comprendre que le déficit n’était pas vraiment le fond du problème, puisqu’il n’est pas voué de toute manière à se régler immédiatement, et ce même si, contrairement à ce qui est dit par les « experts » et les voix officielles, le SMIC, les 35h etc., bref toutes ces « règles » contraignantes pour le marché, tombaient. Il s’agit plutôt d’en exciper pour passer nos acquis au karcher, si je ne t’ai pas mal compris.
Bon, où on va, là ? Moi, j’espère que la démocratie, la véritable, va renaître de ses cendres, elle est tout de même encore, « à l’exception de tous les autres », le pire des systèmes que l’on ait trouvé.