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Bien sûr, quand on commence un blog, et qu’on aborde des domaines comme le cinéma, la littérature ou la musique, on est amené à se demander ce qu’on va mettre en avant, particulièrement quand il s’agit des premiers posts. Bon là, j’ai commencé avec Gainsbourg, ça va, ça donne une forme de légitimité musicale à l’ensemble, le lecteur va se dire qu’il peut faire confiance à la rubrique “Pop Music” de ce blog, qu’il pourra cliquer les yeux quasiment fermés et les oreilles grandes ouvertes sur les pistes proposées en écoute. En même temps, Gainsbourg, c’était pas vraiment une grosse prise de risques. Reste à transformer l’essai. Plein de propositions élitistes me viendraient assez facilement en tête, mais finalement, je me suis dit que j’allais d’abord parler ici de ce que j’écoute le plus dès que je mets les écouteurs dans mes oreilles, que je sors, et que je choisis dans mon lecteur ce qui va m’accompagner dans mes longs déplacements vers le boulot (entre autres). Et actuellement, l’album qui constitue systématiquement mon compagnon de route, c’est le dernier album de Daran, Le petit peuple du bitume. Il est probable que de Daran vous connaissiez principalement un titre, “Dormir dehors“, qui était sorti en 1994, dans l’album 8 barré, quand il sortait encore ses disques sous le nom “Daran et les Chaises“. Depuis, les Chaises ont disparu, et Daran sort néanmoins régulièrement des albums qui jusque là, ont toujours réussi à proposer quelques titres intéressants.Mais le petit peuple du bitume semble être le premier album dont on n’a envie de sauter aucune piste. Tout d’abord il se présente bien comme un ensemble cohérent, avec une sortie bouclant sur le premier titre, il développe une certaine ambiance, sur laquelle on reviendra, et on a l’impression qu’après pas mal d’expérimentations dans les albums précédents (parfois accoustiques, parfois blues, parfois plus electro), Daran ait réussi à faire prendre le ciment de son propre style, autour d’un rock qui fait parfois furieusement penser à Pink Floyd, ou plutôt aux albums solo de Roger Waters : morceaux ne refusant pas d’être longs, de développer des ambiances, de laisser la guitare prendre le relais pour décoller après les mots trop plombants, production vraiment soignée, compositions qui embarquent les oreilles et tout ce qu’il y a entre elles, qui prennent l’auditeur par la main pour l’emmener en plongée pour presqu’une heure, une heure qui à chaque écoute me semble longue, sans que ça soit un défaut, mais juste parce que Daran parvient à installer posément ses mélodies, ses textes, et qu’on a l’impression que l’album se déroule avec une force tranquille que je n’avais pas encore perçue dans ses précédentes compositions. Aboutissement musical donc, mais aboutissement dans les textes aussi. Ca a l’air vraiment compliqué d’écrire des chansons en français. Soit on va vers la véritable poésie (comme dans la plupart des chansons de Bashung, par exemple), soit on se dirige vers le ludique (genre Lio, Elie Medeiros), soit on est entre les deux (Jacno, Taxi Girl…). Mais il y a peu de place pour les textes de chanson qui seraient un peu l’équivalent français des chroniques sociales que parvient à faire, aux USA, un Bruce Springsteen. Eh bien voilà, plus j’écoute le petit peuple du bitume, et plus je retrouve dans cet album cette aptitude à décrire un univers social, une ambiance d’époque par l’intermédiaire de tranches de sentiment décrites souvent à la première personne. Et c’est rare que des chansons en français parviennent à décrire ce qui constitue finalement notre pays, dans ce qu’il a de modeste, de même pas marginal, mais plutôt de simplement populaire, avec toutes les frustrations, toutes les colères rentrées, toutes les rages impossibles à exprimer parce qu’on ne sait même plus sur quoi elles portent, sans tomber dans le pathétique. Daran, a su là trouver un flow qui permet justement de maintenir tout le temps la distance avec le pathétique, et donc avec le ridicule (et ça, il n’y avait pas toujours échappé auparavant). Il a une manière bien a lui de sembler finir une phrase musicale sur une affirmation, et de la dépasser néanmoins avec quelques mots, quelques notes supplémentaires qui vont apporter une nuance supplémentaire, et donner vie à la chanson, comme si on était plongé dans les pensées de quelqu’un d’autre. Du coup, il peut se permettre d’aborder des choses qu’on voit rarement abordées dans la chanson française, telles que la misère (et on tremble d’effroi devant ce que des chanteurs plus connus pourraient faire de ce genre de thème, en trois minutes trente de violons degoulinants de bons sentiments, là où Daran installe en neuf minutes un paysage dans lequel le souffle des SdF produit au petit matin la brume matinale dans laquelle se réveillent nos cités (le petit peuple du bitume)), ou bien ce sentiment étrange qu’on peut avoir quand on pense avoir atteint un stade où on s’est sorti d’affaire, on vit bien, et où néanmoins on regarde en arrière sur les temps plus durs en se demandant si, par hasard, ce confort ne serait pas, un peu, une trahison (au moins), ou bien encore ce caractère glacé et glaçant que peut avoir la beauté quand elle n’est qu’un agencement de formes conçu pour nous satisfaire (belle comme). Je pourrais citer chaque chanson de cet album. Je serais tenté de les mettre toutes en écoute, juste pour les faire découvrir (vous savez, comme on est capable de tanner ses potes en leur faisant écouter une par une, en leur imposant un silence religieusement reccueilli, toutes les chansons qu’on trouve importantes, en oubliant que pour eux, c’est peut etre pas tout à fait le moment). Du coup, pour que l’album reste à découvrir, je mets juste en écoute un titre de l’album, qui me semble témoigner de l’ambiance générale, et dont je n’ai pas parlé précédemment (mort ou vif), accompagné de Dormir dehors, non seulement pour rafraichir les mémoires, mais aussi parce que même si à l’époque certains avaient considéré ce titre comme une forme de trahison, il m’avait déjà semblé que c’était dans ce ton là que Daran pouvait trouver une forme d’accomplissement. Et le petit peuple du bitume me semble avoir compris cela, et l’avoir pleinement réalisé. Et j’y rajoute un titre qui est tiré de l’album précédent (Pêcheur de pierres), qui contient quelques pépites, telles qu’une sorte d’église.